02/11/2008
Sans sang – Alessandro Baricco (2002)
Genre : sans sens
u n
« Tito déplaça une panière de fruits. Il reconnut sur le plancher la forme d'une trappe. Il tapa un grand coup par terre avec sa botte, pour entendre quel bruit ça faisait. Il déplaça deux autres panières. C'était une petite trappe, découpée avec soin. Tito leva les yeux. Par une petite fenêtre on voyait, dehors, l'obscurité. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il faisait déjà nuit. Il se dit qu'il était temps d'en partir, de cet endroit. Puis il s'agenouilla sur le sol, et souleva le volet de la trappe. Il y avait une petite fille, là au fond, pelotonnée sur le côté, les mains cachées entre ses cuisses, la tête légèrement pliée en avant, vers les genoux. Elle avait les yeux ouverts.
Tito pointa son pistolet sur la petite fille. »
d e u x
« - Bonsoir, dit-elle.
L'homme leva les yeux de son journal. Il s'apprêtait à dire quelque chose, mais quand il vit le visage de la femme il s'arrêta, et n'alla pas plus loin. Il resta ainsi, à regarder ce visage. »
Cachée dans un trou, sous le plancher d'une ferme, la petite Nina assiste à l'assassinat sanglant de son père et de son frère. Pourquoi ont-ils été massacrés ? Il est vaguement question de règlement de comptes, aux lendemains d'une guerre. Mais l'on ne saura jamais laquelle, ni les raisons exactes du carnage. Un demi-siècle plus tard, Nina retrouve l'un des assassins, l'invite au café, se lamente sur la cruauté du destin, et le conduit dans une chambre d'hôtel... Et on s'arrête là, en se demandant où l'auteur à voulu en venir. On s'interroge, en quête d'explication et de sens : s'agit-il d'une fable, d'une parabole ? On le suppose. Mais on n'en trouve pas la clef : la vengeance ? L'engrenage de la violence ? La dépendance à l'horreur ?
« Le pays allait de l'avant, bien loin de la guerre, à une vitesse incroyable, en oubliant tout. Mais il y avait tout un monde qui n'en était jamais sorti, de la guerre, et qui dans ce pays heureux n'arrivait pas à redémarrer. Moi j'étais comme ça. »
Baricco habille de points de suspension une histoire rachitique. Rien de saisissant, rien de bouleversant, rien de franchement mauvais ou raté non plus. Entre-deux. Une belle écriture par moment, quelques très jolis passages, mais au final, cela reste confus et vain.
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Alessandro Baricco, Sans sang (Senza sangue), traduit de l'italien par Françoise Brun, éd. Albin Michel, 2003 (2002), 112 pages, 12 €.
L'avis de Lucile.
22:52 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, roman, guerre, vengeance
01/08/2008
Un secret – Philippe Grimbert [2004]
« Fils unique, j'ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J'avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible. »
Dès les premiers mots de son roman autobiographique, le psychanalyste Philippe Grimbert nous enchante et nous enchaîne. Car tout, le style élégant et dépouillé, le ton sobre et pudique, la sensibilité et l'émotion contenue, la construction du récit en un lent cheminement du narrateur dans sa quête de vérité, cette longue et respectueuse exploration d'un secret de famille, tout sonne juste. On comprend vite que ce roman est de ceux qui hantent longtemps la mémoire de celui qui s'y plonge. Et je voudrais tant convaincre ceux qui ne l'ont pas encore ouvert de le faire ! Mais comment m'y prendre ? Car le raconter serait le trahir ; l'analyser, l'abîmer ; en faire l'éloge, en dénaturer l'émotion... Quelques mots toutefois, en espérant ne pas trop en révéler...
Fils unique et petit garçon introverti, solitaire et maladif, le narrateur s'est donc inventé un aîné idéal, un double inversé, avec qui il converse dès qu'il en ressent le besoin, avec qui il se bagarre la nuit venue. Un frère beau et fort qui ferait assurément la fierté de ses parents, Maxime et Tania, deux athlètes reconvertis dans la vente d'articles de sport. Auprès de ses parents le garçon mène une existence en apparence simple et paisible, mais dominée par le silence qui règne dans sa famille. Un silence lourd et incompréhensible pour l'enfant, un silence qu'il devine empreint de honte et de culpabilité. Alors, sans oser poser de questions, le garçon se raconte des histoires et s'invente un passé magnifié : comment ses parents se sont rencontrés avant la Seconde Guerre mondiale, comment ils se sont aimés durant leur exil en zone libre pendant l'Occupation, comment lui-même est naît après guerre... Une belle histoire, idyllique, mais imaginaire. Jusqu'au jour de ses 15 ans, jusqu'au jour où Louise, une vieille amie de la famille et sa seule confidente, lui révèle enfin le secret de sa naissance issue de l'amour fou et coupable de ses parents. Une vérité bouleversante, mais qui lui permet enfin de se construire.
Un secret commence sur un mode intimiste, avec l'histoire simple d'une famille ordinaire, puis nous sommes entraînés au fil des pages dans l'Histoire : la Seconde Guerre mondiale, l'Occupation allemande, le génocide juif, l'ombre des camps... Et la recherche de vérité du narrateur, cette confidence qu'il livre au lecteur d'une voix qui s'étrangle peu à peu sous le doute et l'émotion, mêlant le basculement de l'Histoire à son vacillement intérieur. Ce récit autobiographique de Philippe Grimbert est un roman grave et néanmoins magnifique. Sa manière limpide de raconter une histoire de famille douloureuse rend l'ensemble plus bouleversant encore. L'histoire qu'il raconte est si fluide qu'elle paraît presque ordinaire. Il n'en est rien. Elle est universelle.
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Philippe Grimbert, Un secret, éd. Le Livre de Poche, 2006 (2004), 192 pages, 5,50 €.
00:45 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : philippe grimbert, littérature française, autobiographie, secret, guerre, génocide, famille, frères
21/05/2008
Terra Mater (Les guerriers du silence, tome 2) – Pierre Bordage (1994)
A Syracusa les Scaythes se sont rendus indispensables au maintien de l'Empire et sont passés à une phase supérieure de leur plan : après les Scaythes Inquisiteurs, sondeurs des pensées, sont arrivés les Scaythes Effaceurs, qui annihilent la volonté des humains et leurs souvenirs. Tout semble prêt pour l'avènement du chaos et rien ni personne ne semble en mesure de l'arrêter. Pourtant, quelques individus, quelques inconscients, semblent reliés par un lien qui les attire irrésistiblement vers une petite planète bleue, une planète légendaire, la terre des origines, Terra Mater. Terra Mater, sur laquelle Tixu Oty et Aphykit se sont installés il y a seize années et sur laquelle ils ont rencontrés le jeune Shari. Tous les trois ont appris à maîtriser le voyage sur la pensée et sont devenus des Guerriers du Silence. Et c'est afin de rencontrer ces êtres légendaires qu'un garçon de huit ans, Jek At-Skin, entreprend un voyage improbable vers Terra Mater.
Voici donc le second tome de la trilogie Les guerriers du silence. Autant le dire tout de suite, mon sentiment concernant ce tome est bien moins enthousiaste que pour le premier.
Tout d'abord dans ce roman-ci les personnages principaux du volume précédent, Tixu et Aphykit notamment, jouent un rôle plutôt effacé. Alors que je m'étais attachée à eux dans le premier tome, il faut attendre le dernier quart du livre pour savoir ce qu'il advient d'eux ! Qu'à cela ne tienne, me direz-vous, il doit bien y avoir de nouveaux personnages tout aussi attachants dans ce roman. Certes. Une multitude de nouveaux personnages même. Un amoncellement époustouflant de personnages que l'auteur tue presque aussitôt. Dans Les guerriers du silence il ne fait particulièrement pas bon être un beau jeune ado, ni un vieux sage décrépit : c'est fou ce qu'il en meurt ! Le récit a ainsi une fâcheuse tendance à sombrer dans le sang et le stupre, avec un regrettable penchant à la pédophilie. J'imagine bien sûr que tout cela est censé marquer la déliquescence de la Confédération, mais cette banalisation de la pédophilie est vraiment déplaisante.
Enfin les exergues de début de chapitre dévoilent parfois les dénouements de certaines scènes à l'avance ! Certes, la solution est vite trouvée : ne pas les lire, tout simplement, mais enfin, j’ai tout de même trouvé cela assez agaçant !
Bref, mon intérêt a sooooombré durant ce récit... et ne s'est légèrement ranimé qu'en toute fin, juste à temps pour me décider à ouvrir le 3e tome (comme quoi Bordage sait ménager ses effets !).
La trilogie des guerriers du silence est aussi constituée de :
- Les guerriers du silence (tome 1)
- La citadelle Hyponéros (tome3)
BlueGrey
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Pierre Bordage, Les guerriers du silence, éd. L'Atalante, coll. Bibliothèque de l'évasion, 2005, 1636 pages, 45 €.
L'avis du biblioblog.
18:30 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, roman, SF, Space Opera, guerre, religion
07/04/2008
Les guerriers du silence (Les guerriers du silence, tome 1) – Pierre Bordage (1993)
Quelques cent mondes composent la Confédération de Naflin, parmi lesquels la somptueuse et raffinée Syracusa. Mais dans l'ombre de la famille régnante, les mystérieux Scaythes d'Hyponéros (des non-humains venus d'un monde inconnu et doués d'inquiétants pouvoirs psychiques) trament un gigantesque complot dont l'instauration d'une dictature sur la Confédération ne semble constituer que la première étape. Avec la pleine complicité de l'Église du Kreuz, aux visées expansionnistes et totalitaires, et la force armée des mercenaires de Pritiv, les Scaythes vont brutalement tenter de prendre le contrôle de la Confédération. Et les moines-guerriers de l'Ordre Absourate, force protectrice de la Confédération, ne paraissent pas avoir les moyens de leur faire obstacle... Pendant ce temps Tixu Oty, un obscur employé d’une compagnie de voyages intergalactiques par transferts cellulaires, qui noie son ennui dans l'alcool sur la planète Deux-Saisons, voit sa vie basculer à l'instant où Aphykit, une belle Syracusaine traquée, passe la porte de son agence et le supplie de l'aider à échapper à ses poursuivants...
Bon d'accord, résumer 576 pages de SF en un paragraphe est un exercice périlleux, et je dois déjà avoir perdu 3/4 de mes lecteurs, au minimum ! Pour ceux qui restent, voici donc un bon premier tome d'un (a priori) bon Space Opera, avec tous les ingrédients inhérents au genre : univers interplanétaire, planètes exotiques, civilisations extraterrestres baroques, guerre intergalactique, enjeux politiques, questionnement sur l'avenir de l'espèce humaine... Le tout porté par un véritable souffle épique et agrémenté d'un brin de romance. On lit donc ce pavé avec plaisir et sans le moindre ennui ! Seul et tout petit bémol : des néologismes mal fichus et agaçants (ondemort, brûlentrailles, ovalibus, personnair, etc) qui reviennent à longueur de texte.
La trilogie des guerriers du silence se poursuit avec :
- Terra Mater (tome 2)
- La citadelle Hyponéros (tome 3)
BlueGrey
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Pierre Bordage, Les guerriers du silence, éd. L'Atalante, coll. Bibliothèque de l'évasion, 2005, 1636 pages, 45 €.
L'avis du biblioblog.
22:10 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, roman, SF, Space Opera, guerre, religion
17/10/2007
[cinéma] Un secret – Claude Miller (2007)
Genre : mélo historique
François est un petit garçon né juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, de Maxime (Patrick Bruel) et Tania (Cécile de France), ses parents juifs qui ont échappé au génocide. François est chétif et introverti, rêveur aussi. Pour ne plus voir la compassion dans les yeux de sa mère et la condescendance dans ceux de son père, il s'invente un grand frère, plus fort et intrépide que lui, un grand frère qui ferait la fierté de son père. Le jour de ses quinze ans Louise (Julie Depardieu), une amie de la famille, lui révèle une vérité bouleversante, mais qui lui permet enfin de se construire : le passé de sa famille et le secret qui entoure l'union coupable de ses parents et sa naissance.
La seule lecture du synopsis d'Un secret suffit à émouvoir (mais je ne peux vous en dire plus sous peine de gâcher le travail de dévoilement auquel se livre le petit François). Pourtant, je suis restée étrangement extérieure et "froide" à cette histoire, "non-impliquée". Pourquoi ne me suis-je pas sentie touchée par ce récit pourtant intrinsèquement bouleversant ? Peut-être parce que, en cours de film, je me suis rappelée avoir lu le roman très autobiographique de Philippe Grimbert dont est issu le film, et avoir pleuré à cette lecture. Forcément, connaissant par avance le secret dont le dévoilement progressif sert de focale au film, le film a perdu de son intérêt et j'ai aussi été plus attentive au reste : les acteurs, la mise en scène...
Et là, Miller n'a pas lésiné. Casting de choix où tous brillent, de Cécile de France (éclatante en femme fatale et survivante) à Ludivine Sagnier (tout en vulnérabilité) en passant par Julie Depardieu (malgré un énième rôle de bonne copine). Côté acteurs, mon seul bémol va à Patrick Bruel, certes sobre dans son personnage pas forcément sympathique, mais peu crédible en charmeur au regard magnétique. Côté casting donc, pas grand'chose à redire, mais côté mise en scène… Est-il vraiment besoin de tout surligner pour nous faire ressentir la prégnance du secret ? Claude Miller a opté pour une mise en scène hyper démonstrative, multipliant les effets incongrus, inutiles ou sur-signifiants : multiplication des points de vue, bouleversement chronologique, utilisation grandiloquente de la couleur (temps passé : guerre et après-guerre) et du noir et blanc (temps présent : 1985). Cette idée, qui va à l'inverse d'une convention établie, aurait pu servir le propos mais elle n'est ici qu'un simple "truc".
Ce film ne m'a finalement apporté qu'une seule chose : la furieuse envie de relire le livre de Philippe Grimbert.
BlueGrey
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Un secret
De Claude Miller
Avec Patrick Bruel (Maxime), Cécile de France (Tania), Julie Depardieu (Louise), Ludivine Sagnier (Hannah), Mathieu Amalric (François à 37 ans)...
Film français, 2007, 1h40
Film vu le 16/10/2007
18:30 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cinéma, film, amour, guerre, seconde guerre mondiale, secret