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26/01/2011

Frères de sang – Richard Price [1976]

Frères de sang.gifLe Bronx dans les années 1970. A 18 ans, Stony De Coco est a peine sorti de l'adolescence et se sent comme piégé dans une vie toute tracée qu'il n'a pas choisi : devenir électricien, comme son père et son oncle, et leur propre père avant eux. Piégé par sa famille italienne, fière et intransigeante : Tommy, son père coureur de jupons, immature mais aimant ; Chubby, son oncle obèse qui cache sous sa jovialité de façade la douleur d'une perte immense ; sa mère Marie dont les rêves sont devenus tragédies et qui se déchaîne en une violence psychique ahurissante sur son petit frère ; et surtout donc son petit frère anorexique, Albert, qu'il adore, et qu'il s'est donné pour mission de protéger ; quitte a y abandonner ses propres rêves et désirs ? Car Stony sait qu'il veut autre chose, quelque chose de mieux, mais il se retrouve piégé par la loyauté qu'il doit à son milieu, à sa famille, cette famille unie mais dysfonctionnelle... La vie ne peut-elle donc lui offrir qu'une seule voie ?

Frères de sang est un roman d'apprentissage d'un grand pessimisme, un roman noir et violent, au langage cru et au réalisme brutal. C'est aussi un roman d'une incroyable justesse et d'une grande subtilité. Les personnages notamment sont tous remarquablement dépeints : ambivalents et complexes, ils évoluent du début à la fin du roman. Et les relations qui se jouent entre eux, liens d'amour, liens de haine, retenue des sentiments, violence des mots et des gestes, sont intrinsèquement entremêlés en une tension qui va crescendo.

Malgré la violence et la noirceur du roman, à aucun moment Richard Price n'y intègre de point de vue moral. Avec un grand sens du détail et une acuité du regard certaine, il observe, décrit, raconte, mais n'émet pas de jugement de valeur, ni sur ses personnages et leurs défaillances, ni sur les situations et leurs injustices, laissant le lecteur libre de son interprétation.

Frères de sang est un récit poignant et parfois loufoque, étouffant et fascinant. Une tragédie de l'ordinaire qui entrecroise les thèmes du passage à l'âge adulte, du poids de la misère sociale et culturelle, de la lutte entre le besoin d'accomplissement personnel et le déterminisme familial et social. On en ressort choqué, sonné... et soulagé.

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e%2040.gifRichard Price, Frères de sang (Bloodbrothers), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Martinache, éd. Presse de la Cité, 2010 (1976), 390 pages, 21 €.

08/12/2009

La trahison de Thomas Spencer – Philippe Besson [2009]

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La trahison de Thomas Spencer.gifPaul et Thomas sont nés le même jour, le 6 août 1945, et ont grandi côte à côte à Natchez, dans le Sud des États-Unis. Depuis toujours ils s'aiment comme deux frères et sont inséparables, amis "à la vie à la mort". Thomas, le narrateur, a aujourd'hui trente ans, et il raconte leur histoire : l'enfance insouciante faite de baignades dans le fleuve Mississipi, les parties de pêche, les émois de l'adolescence, les petits riens et les grands événements qui vont jalonner leurs vies, forger leurs caractères, construire leurs personnalités et souder leur amitié qu'ils pensent inaltérable. Jusqu'à leur rencontre avec Claire...

L'intrigue est celle, classique, du triangle amoureux. D'où des péripéties un peu prévisibles et convenues : Découvrir la suite...

03/10/2009

Affliction – Russell Banks (1989)

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Dans une petite localité du New Hampshire, Wade Whitehouse, la quarantaine, est un homme en déliquescence. Divorcé deux fois de la même femme, devenu étranger à sa propre fille que pourtant il adore, il vit dans une caravane et travaille comme ouvrier d'une société de forage et policier municipal à temps partiel. Et, petit à petit, il sombre dans l'alcoolisme, la violence (hérités du père) et la dépression, en ruminant ses échecs. L'arrivée de l'hiver et de la neige, qui prive les habitants de Lawford de tout loisir autre que la fréquentation du bar local, n'aide en rien Wade à remonter la pente. Il bascule définitivement le jour où un citoyen en vue est accidentellement tué lors d'une partie de chasse au cerf. Dès lors, dévoré par l'obsession de découvrir un hypothétique assassin, il s'enfonce dans un désert de solitude et de folie, toutes ses tentatives pour en réchapper l'entrainant inexorablement plus profondément vers la déchéance. Découvrir la suite...

02/12/2008

Le Pays sans Adultes – Ondine Khayat (2008)

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Le Pays sans Adultes.gif« La vie, c'est pas pour les enfants. »

Slimane a 11 ans et vit dans une famille «complètement tordu». Son père «le Démon», alcoolique depuis qu'il a perdu son travail, est tout le temps en colère et déverse sa rage sur femme et enfants à coups de gueules et de poings. Sa mère travaille toujours plus, pour pouvoir payer le loyer. Heureusement il y a son grand frère Maxence le magicien, son «manuel de savoir-survivre». Maxence, il fait danser la vie, il imagine des rêves qui éloignent la peur, il invente des mondes heureux. Mais un jour Maxence n'a plus la force et décide de partir pour le Pays sans Adultes. Slimane tente de le suivre, mais il se trompe de chemin...

Ce livre touche, direct en plein cœur, par une certaine légèreté pour dire des choses pourtant grave. Sans emphase ni trémolos, la voix de Slimane, ses mots d'enfant, simples mais justes, son langage trituré très imagé, amusent, attendrissent, chiffonnent et percutent :

« L'autre jour mon frère Maxence s'est précipité pour la défendre, mais mon père lui a donné deux baffes et ça l'a fait saigner du nez. Je suis resté là, sans pouvoir faire un geste, à regarder le sang du nez de Maxence se mêler à celui de l'arcade sourcilière de maman. Ça faisait comme un ruisseau écarlate sur les dalles de la cuisine. Je connais pas le numéro du SAMU, alors je me suis juste avancé vers eux, et on s'est serré tous les trois très fort, pendant que des coquelicots fleurissaient sur mon tee-shirt blanc. » p 15-16

« Les battements de nos cœurs, c'est rien d'autre que les murmures de tous ceux qui habitent dedans. Quand il n'y a plus personne, il s'arrête de battre. Il faut un grand cœur pour y mettre tous les gens qu'on aime, et laisser de la place à tous ceux qu'on va aimer, mais qu'on ne connaît pas encore. » p 18

« - Et maman, elle nous aime ?
- Oui, mais elle est complètement paumée.
- Tu crois qu'elle a perdu son chemin ?
- C'est ça. Elle a pris la mauvaise route. Elle aurait dû revenir sur ses pas il y a longtemps.
- Pourquoi elle l'a pas fait ?
- Les adultes, c'est comme ça qu'ils vivent. Ils font des erreurs, et après, ils ont plus la force de tout recommencer.
- Les enfants, c'est pas pareil ?
- Non, parce que les enfants n'ont pas encore mis de barreaux autour de leur vie. »
p 125

« Je pleure parce que mon frère préféré était tellement triste qu'il est parti sans me prévenir. Je pleure parce qu'il ne m'a pas emmené avec lui alors qu'il avait juré craché. Je pleure parce que j'ai peur de ne plus jamais le revoir. Je pleure parce que je ne peux pas vivre sans lui. » p 155

Le style virevolte dans un mélange de noirceur et de pureté, de désespoir et d'ingénuité, de cynisme et de poésie pour esquisser un drame latent. Et cette lecture, loin d'être légère, est pourtant agréable et prenante : le récit est simple, beau et poignant.

 

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Ondine Khayat, Le Pays sans Adultes, éd. Anne Carrière, 2008, 334 pages, 19 €.

Cathulu et Brize ont aimé eux aussi !

Merci à Chez les filles et aux Editions Anne Carrière de m'avoir envoyé ce livre.

01/08/2008

Un secret – Philippe Grimbert [2004]

980d1abbfb4223cd3a0076e677f3c5b3.gif« Fils unique, j'ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J'avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible. »

Dès les premiers mots de son roman autobiographique, le psychanalyste Philippe Grimbert nous enchante et nous enchaîne. Car tout, le style élégant et dépouillé, le ton sobre et pudique, la sensibilité et l'émotion contenue, la construction du récit en un lent cheminement du narrateur dans sa quête de vérité, cette longue et respectueuse exploration d'un secret de famille, tout sonne juste. On comprend vite que ce roman est de ceux qui hantent longtemps la mémoire de celui qui s'y plonge. Et je voudrais tant convaincre ceux qui ne l'ont pas encore ouvert de le faire ! Mais comment m'y prendre ? Car le raconter serait le trahir ; l'analyser, l'abîmer ; en faire l'éloge, en dénaturer l'émotion... Quelques mots toutefois, en espérant ne pas trop en révéler...

Fils unique et petit garçon introverti, solitaire et maladif, le narrateur s'est donc inventé un aîné idéal, un double inversé, avec qui il converse dès qu'il en ressent le besoin, avec qui il se bagarre la nuit venue. Un frère beau et fort qui ferait assurément la fierté de ses parents, Maxime et Tania, deux athlètes reconvertis dans la vente d'articles de sport. Auprès de ses parents le garçon mène une existence en apparence simple et paisible, mais dominée par le silence qui règne dans sa famille. Un silence lourd et incompréhensible pour l'enfant, un silence qu'il devine empreint de honte et de culpabilité. Alors, sans oser poser de questions, le garçon se raconte des histoires et s'invente un passé magnifié : comment ses parents se sont rencontrés avant la Seconde Guerre mondiale, comment ils se sont aimés durant leur exil en zone libre pendant l'Occupation, comment lui-même est naît après guerre... Une belle histoire, idyllique, mais imaginaire. Jusqu'au jour de ses 15 ans, jusqu'au jour où Louise, une vieille amie de la famille et sa seule confidente, lui révèle enfin le secret de sa naissance issue de l'amour fou et coupable de ses parents. Une vérité bouleversante, mais qui lui permet enfin de se construire.

Un secret commence sur un mode intimiste, avec l'histoire simple d'une famille ordinaire, puis nous sommes entraînés au fil des pages dans l'Histoire : la Seconde Guerre mondiale, l'Occupation allemande, le génocide juif, l'ombre des camps... Et la recherche de vérité du narrateur, cette confidence qu'il livre au lecteur d'une voix qui s'étrangle peu à peu sous le doute et l'émotion, mêlant le basculement de l'Histoire à son vacillement intérieur. Ce récit autobiographique de Philippe Grimbert est un roman grave et néanmoins magnifique. Sa manière limpide de raconter une histoire de famille douloureuse rend l'ensemble plus bouleversant encore. L'histoire qu'il raconte est si fluide qu'elle paraît presque ordinaire. Il n'en est rien. Elle est universelle.

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e%2050.gif Philippe Grimbert, Un secret, éd. Le Livre de Poche, 2006 (2004), 192 pages, 5,50 €.