03/12/2010
Darling – Jean Teulé [1998]
"Darling" raconte sa vie, depuis le début, quand, encore dans le ventre de sa mère, celle-ci déclare « Je n'aime pas l'enfant que je porte » ; depuis sont enfance de gamine boulotte coincée dans son short et dans la ferme de ses parents, rustres bouseux crado-teigneux jamais à court de férocité, sournoise s'agissant de la mère, brutale venant du père.
Sans cesse humiliée et battue, elle rêve d'évasion (ne surtout pas devenir une "paysante") en regardant passer les camions sous sa fenêtre, et fait l'acquisition d'une CB pour entrer en communication avec le prince charmant qui la sortira de cet enfer. Et, lorsque au volant de son semi-remorque, "Romeo" lui dit de monter, elle croit grimper au septième ciel ! Mais la litanie des maux qui vont la frapper dès lors pourrait faire passer son enfance pour un paradis perdu. Parce que le mari, évidemment beau comme un camion, se révèle violemment tordu : il ne se contente pas de boire et de dilapider l'argent du foyer, il joue sa femme aux cartes et la livre en pâture à ses amis, il la trompe à répétition, installe sa dernière maîtresse à demeure et tous deux la passe à tabac sous les yeux de ses enfants...
Et à la galerie de monstres affreux, sales, bêtes et méchants à laquelle elle est confronté, Darling oppose sa naïveté, son effronterie, son instinct de survie, son courage, sa détermination, cette rage qui lui permet de tenir, encore et toujours, "verticale".
Telle est donc l'histoire, si effroyable et sordide qu'elle en paraît parfois caricaturale (mais pourtant véridique), de Darling. Une histoire qu'elle a confiée à Jean Teulé qui l'a retranscrite dans ce « roman ». « Roman », pas biographie, comme pour mieux maintenir à distance l'horreur. Car Jean Teulé a l'incroyable capacité d'explorer la misère sans jamais la contempler. Dans son récit, pas de victimisation artificielle pour soulager les consciences. Pas de compassion. Pas de jugement. Juste les faits. Bruts. Et si l'endurance de Darling sidère et force l'admiration, son histoire, crue et froidement empirique, est difficilement soutenable. Un étrange récit, dont on ne sort pas indemne.
« De toute façon, moi, il n'y a pas un pouce de ma chair ou de mon âme qui ne porte pas la marque d'une mutilation, qui ne soit la mémoire d'une plaie, alors... »
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Jean Teulé, Darling, éd. Pocket, 2007 (1998), 242 pages, 5,90 €.
Du même auteur : Le Magasin des Suicides & Le Montespan.
02/12/2008
Le Pays sans Adultes – Ondine Khayat (2008)
« La vie, c'est pas pour les enfants. »
Slimane a 11 ans et vit dans une famille «complètement tordu». Son père «le Démon», alcoolique depuis qu'il a perdu son travail, est tout le temps en colère et déverse sa rage sur femme et enfants à coups de gueules et de poings. Sa mère travaille toujours plus, pour pouvoir payer le loyer. Heureusement il y a son grand frère Maxence le magicien, son «manuel de savoir-survivre». Maxence, il fait danser la vie, il imagine des rêves qui éloignent la peur, il invente des mondes heureux. Mais un jour Maxence n'a plus la force et décide de partir pour le Pays sans Adultes. Slimane tente de le suivre, mais il se trompe de chemin...
Ce livre touche, direct en plein cœur, par une certaine légèreté pour dire des choses pourtant grave. Sans emphase ni trémolos, la voix de Slimane, ses mots d'enfant, simples mais justes, son langage trituré très imagé, amusent, attendrissent, chiffonnent et percutent :
« L'autre jour mon frère Maxence s'est précipité pour la défendre, mais mon père lui a donné deux baffes et ça l'a fait saigner du nez. Je suis resté là, sans pouvoir faire un geste, à regarder le sang du nez de Maxence se mêler à celui de l'arcade sourcilière de maman. Ça faisait comme un ruisseau écarlate sur les dalles de la cuisine. Je connais pas le numéro du SAMU, alors je me suis juste avancé vers eux, et on s'est serré tous les trois très fort, pendant que des coquelicots fleurissaient sur mon tee-shirt blanc. » p 15-16
« Les battements de nos cœurs, c'est rien d'autre que les murmures de tous ceux qui habitent dedans. Quand il n'y a plus personne, il s'arrête de battre. Il faut un grand cœur pour y mettre tous les gens qu'on aime, et laisser de la place à tous ceux qu'on va aimer, mais qu'on ne connaît pas encore. » p 18
« - Et maman, elle nous aime ?
- Oui, mais elle est complètement paumée.
- Tu crois qu'elle a perdu son chemin ?
- C'est ça. Elle a pris la mauvaise route. Elle aurait dû revenir sur ses pas il y a longtemps.
- Pourquoi elle l'a pas fait ?
- Les adultes, c'est comme ça qu'ils vivent. Ils font des erreurs, et après, ils ont plus la force de tout recommencer.
- Les enfants, c'est pas pareil ?
- Non, parce que les enfants n'ont pas encore mis de barreaux autour de leur vie. » p 125
« Je pleure parce que mon frère préféré était tellement triste qu'il est parti sans me prévenir. Je pleure parce qu'il ne m'a pas emmené avec lui alors qu'il avait juré craché. Je pleure parce que j'ai peur de ne plus jamais le revoir. Je pleure parce que je ne peux pas vivre sans lui. » p 155
Le style virevolte dans un mélange de noirceur et de pureté, de désespoir et d'ingénuité, de cynisme et de poésie pour esquisser un drame latent. Et cette lecture, loin d'être légère, est pourtant agréable et prenante : le récit est simple, beau et poignant.
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Ondine Khayat, Le Pays sans Adultes, éd. Anne Carrière, 2008, 334 pages, 19 €.
Cathulu et Brize ont aimé eux aussi !
Merci à Chez les filles et aux Editions Anne Carrière de m'avoir envoyé ce livre.
22:08 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, roman, enfance, maltraitance, frères
08/01/2008
Les noces barbares – Yann Queffélec [1985]
Ce livre là était dans ma PAL depuis... longtemps ! En effet, malgré tout le bien que l'on m'en a dit, je restais réticente à m'y plonger car je n'avais vraiment pas aimé La Dégustation du même auteur. Mais étant donné que ce livre m'a été prêté, et qu'il faudra bien que je le rende un jour, et que je déteste rendre un livre sans l'avoir lu, j'ai profité de mes congés de Noël pour me décider à lui laisser une chance, après toutefois avoir épuisé le reste de mon SAL. Je l'ai tout d'abord mollement sorti de mon sac en le regardant d'un œil suspicieux, puis je l'ai ouvert au hasard, avec déjà une moue dubitative inscrite sur mes lèvres, enfin, j'ai pioché une phrase ici, un paragraphe là, juste pour me faire une idée, et prête à refermer ce livre aussi sec avec un commentaire assassin. Sauf que ! Sauf, que j'ai été sidérée par la puissance des petites bribes que j'ai picorées au hasard, du coup j'ai fait une vrai lecture, du début à la fin, du premier au dernier mot. Et je suis restée scotchée à mon livre, émue par la fragilité de Ludo, étonnée par la puissance de l'écriture, suffoquée par la violence sous-jacente de l'histoire...
L'histoire justement, quelle est-elle ? C'est celle de Ludo, enfant né d'un viol collectif, maltraité et haï par sa mère trop jeune et trop blessée, et qui a grandi caché dans le grenier de ses grands-parents. Sa situation ne s'arrange guère après le mariage de sa mère, Nicole, avec Micho, un brave et riche mécanicien qui cherche pourtant à protéger Ludo. Mais Nicole, hantée par son viol que l'existence même de son fils lui rappelle en permanence, sombre dans l'alcoolisme et fait interner Ludo dans une institution pour débiles légers. Là le garçon continue à rêver de sa mère qui ne répond pas à ses lettres et qui refuse de lui rendre visite. Jusqu'au jour ou Ludo s'enfuit pour la retrouver dans une confrontation finale certes inéluctable mais déstabilisante.
Ce livre, c'est donc un chant d'amour, celui de Ludo pour sa mère dont il quémande désespérément un peu d'attention à défaut d'amour. C'est un roman âpre et poignant sur la relation d'une mère et de son fils : à la violence de l'adulte répond l'amour fou d'un fils voulant enfin être accepté. Ludo est un personnage singulier, symbole d'une malfaçon de la vie : de nos jours la misère n'est plus celle des estomacs creux, mais des cœurs vides, des violences à nu et des vocabulaires limités. C'est tragique, déchirant, douloureux, violent, triste, sombre, bouleversant... inoubliable !
A la fin de ma lecture, encore un peu sonnée, je n'ai toutefois pu que m'interroger : comment Monsieur Queffélec, après avoir écrit un roman aussi puissant et poignant, a-t-il pu se commettre à écrire un livre aussi insipide que La Dégustation ? Comment un auteur peut-il ainsi, du sublime, sombrer dans le médiocre ? Est-ce lui ou moi le problème ? Moi sans doute, me suis-je dit. Je me suis donc illico ressaisie de La Dégustation… qui m'est anouveau tombé des mains : inintéressant au possible ! Alors quoi ??
Et la même remarque s'applique aussi à Monsieur Baricco : comment cet auteur a-t-il pu à la fois écrire Soie, merveille d'épure et de délicatesse, et Océan mer, texte bouffi et surécrit ??? Hein, comment se fait ce ?
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Yann Queffélec, Les noces barbares, éd. Gallimard, coll. folio, 2006 (1985), 343 pages, 6,80 €.
Du même auteur : La Dégustation
12:45 | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : yann queffélec, littérature française, viol, violence, maltraitance