27/03/2012
Chat sauvage – Jacques Poulin [1998]
Le narrateur, Jack, est un écrivain public cinquantenaire installé au cœur du vieux Québec. Un beau soir, un vieux bonhomme hirsute vient lui rendre visite : « Je voudrais écrire à ma femme... » un silence... « tout compte fait, je reviendrais une autre fois » et l'homme disparait, laissant Jack interloqué...
Jack reprend alors sa douce vie quotidienne auprès de Kim, sa très séduisante compagne. Et comme nous avons affaire à un homme de goût, il nous compte ses errances dans le vieux Québec, le plaisir du thé dégusté en compagnie du chat Petite Mine, et ses lectures de chevet, Richard Ford, John Irving, Raymond Chandler, Raymond Carver...
Par définition, le métier d'écrivain public expose à des rencontres : une jeune fugueuse lectrice de John Fante, un paumé avec lequel à l'occasion le narrateur partage son minibus Wolgswagen... Et puis, toujours, ce vieux bonhomme qui vient et repart aussitôt. Et celui-ci finit par obséder Jack qui ressent le besoin de retrouver sa trace et commence une filature discrète dans les rues de la vieille capitale. Au terme de sa quête, sa vie prend une direction à laquelle il ne s'attendait plus...
Rien là de bien original, pourrait-on penser. Mais tout est dans la manière de dire. Et Jacques Poulin a la manière, simple, sobre, harmonieuse, qui donne à voir, et à ressentir. Des personnages attachants, nimbés d'un léger mystère, occupent l'espace ; une atmosphère poétique et nostalgique imprègne le roman ; un érotisme latent, est étonnamment présent... Et puis, parfois, comme de petits éclats de soleil parsèment le récit : Jack qui s'amuse à glisser, subrepticement, dans une demande d'emploi ou une lettre de félicitation commandée par un client, de courtes citations de ses auteurs préférés. La poésie comme si de rien n'était. Jack encore, qui entretient un rapport au monde légèrement décalé, comme s'il n'était pas vraiment là, plutôt désabusé, hanté par la promesse d'un bonheur qui se dérobe et qui dès lors n'a pas de prix, et pourtant prêt à accueillir, de ses congénères, toute preuve d'humanité.
Ce roman laisse toutefois comme une impression d'inachevé car le léger suspense, bien entretenu, et la signification de tout cela demeurent énigmatiques jusqu'à la fin, et au-delà.
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Jacques Poulin, Chat sauvage, éd. Actes Sud, coll. Babel, 2000 (1998), 224 pages, 7,50 €.
Du même auteur : La Tournée d'automne
13:39 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jacques poulin, littérature contemporaine, littérature québécoise, québec, écrivain, écrivain public, chats
24/11/2011
Au bon roman – Laurence Cossé [2009]
Ivan travaille dans une librairie-papèterie et a décidé de n'y vendre que les livres qu'il aime. Il y rencontre Francesca, une fortunée mélancolique qui adore la littérature. Entre les deux, l'entente intellectuelle est immédiate et parfaite : ils décident d'ouvrir une librairie spécialisée, "Au bon roman", qui ne vendra, comme son nom l'indique, que des "bons" romans, romans sélectionnés par un comité de huit auteurs contemporains soigneusement sélectionnés et dont les noms sont tenus secrets. Mais un jour, les membres du comité subissent des menaces et agressions...
On comprend vite que la fantaisie policière dissimule une réflexion tant économique qu'éthique sur la littérature et la commercialisation des biens culturels. En effet, en ouvrant une librairie qui ne vendrait que de "bons" romans (« l'important n'est pas que nous ayons tous les bons romans, mais que nous n'ayons que des bons romans »), Ivan et Francesca bouscule le lecteur, l'interroge : Qu'est-ce qu'un bon roman ? Tout est là, dans cette appréciation subjective. Les goûts se discutent-ils ? Préférer, est-ce exclure ? A quoi sert la littérature ?
En ayant pour ambition de sortir la littérature de la sphère commerciale, la librairie "Au bon roman" fait œuvre de résistance face à une littérature contemporaine gangrénée par la course à la rentabilité : « Nous n'avons que faire des livres insignifiants, des livres creux, des livres faits pour plaire. Nous ne voulons pas de ces livres bâclés, écrits à la va-vite, allez, finissez-moi ça pour juillet, en septembre je vous le lance comme il faut et on en vend cent mille, c'est plié. »
Le succès de la librairie est immédiat, mais son parti pris subjectif ne laisse pas indifférent et bientôt la riposte s'organise : ses détracteurs lui reprochent d'être réactionnaire, la taxe d'élitisme, et opposent à son concept la défense de la diversité et du libre choix...
Au bon roman tient à la fois du policier, de l'histoire d'amour et de la fable. Et si l'intrigue policière s'avère un peu faiblarde et l'intrigue amoureuse assez superficielle, reste un intéressant questionnement sur la place de la littérature, ainsi qu'un un bel hommage au livre et une mine d'informations et de références pour tous les amoureux du roman. A lire avec stylo et carnet à portée de main !
« De toutes les fonctions de la littérature, vous me confirmez qu'une des plus heureuses et de faire se reconnaître et se parler des gens faits pour s'entendre. »
« Nous voulons des livres nécessaires […]. Nous n'avons que faire des livres insignifiants, des livres creux, des livres faits pour plaire. […] Nous voulons des livres écrits pour nous qui doutons de tout, qui pleurons pour un rien, qui sursautons au moindre bruit derrière nous. […] Nous voulons des livres splendides qui nous plongent dans la splendeur du réel et qui nous y tiennent ; des livres qui nous prouvent que l'amour est à l'œuvre dans le monde à côté du mal, tout contre, parfois indistinctement, et le sera toujours comme toujours la souffrance déchirera les cœurs. Nous voulons des romans bons. »
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Laurence Cossé, Au bon roman, éd. Gallimard, coll. Blanche, 2009, 496 pages, 22 €.
15:01 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : laurence cossé, littérature française, littérature contemporaine, livres, littérature, librairie, romans
15/11/2011
Impardonnables – Philippe Djian [2009]
Francis, écrivain sexagénaire, ancien abonné au succès, a perdu sa femme et l'une de ses filles dans un terrible accident de voiture, une dizaine d'années auparavant. Aujourd'hui, installé au pays basque avec sa nouvelle épouse, Judith, il s'occupe de loin en loin de sa seconde fille Alice, comédienne, et de ses petites-filles, Anne-Lucie et Lucie-Anne. Il vivote tant bien que mal des ultimes retombées de ses triomphes déjà anciens et aimerait se replonger dans l'écriture.
Mais au fil du récit, la vie de Francis va basculer : Découvrir la suite...
14:36 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : philippe djian, littérature française, littérature contemporaine, pardon, famille
27/10/2011
Désolations – David Vann [2011]
Caribou Island est un îlot désert au milieu d'un lac glaciaire, en Alaska. C'est un endroit perdu à la beauté sans pitié. Après avoir élevé leurs enfants sur les bords du lac, Gary et Irène ont décidé de s'installer sur cette île, dans une cabane de rondins qu'ils construiront de leurs mains. Gary en rêve depuis toujours. Irène, en dépit d'inexplicables maux de tête qui ne lui laissent aucun répit, le suit dans son projet fou pour ne pas le perdre. Entraînée malgré elle dans l'obsession de son mari, elle le voit peu à peu s'enliser dans son projet démesuré. Leur fille Rhoda, tout à ses propres rêves de famille, devient le témoin du face-à-face de ses parents, tandis que s'annonce un hiver précoce et violent qui rendra l'îlot encore plus inaccessible...
Désolations est un roman choral où les personnages (tous assez détestables) prennent la parole chacun leur tour, chapitre après chapitre. Ils vont par couples, ou plutôt par paires, lesquelles se disloquent lentement... Car après la relation père-fils dans Sukkwan Island, dans Désolations David Vann sonde l'impitoyable univers familial et interroge le couple. Il suit plus particulièrement les dérives d'un couple à bout de souffle, Gary et Irène. Déçu par sa vie, Gary vient chercher sur son îlot désert une sorte de rédemption, une manière de se mesurer au monde pour enfin se trouver, entraînant à sa suite sa femme et, par ricochet, sa fille Rhoda. Et tant pis si sa famille se désagrège, et tant pis (ou tant mieux ?) si sa femme n'arrive plus à le suivre. Mais tandis que Gary s'enlise dans son projet chimérique, Irène tient bon, elle voit le désastre arriver, mais elle s'accroche malgré tout, et continue à le soutenir. A la dérive du couple Gary-Irène fait écho celle qui touchera bientôt le couple de Rhoda et de son ami Jim. Et les tourments des couples et leur folie entrent peu à peu en résonance avec la grandeur des décors et la fureur des éléments qui se déchaînent.
Portraits de vies déçues et de rêves brisés, Désolations dépeint les relations tumultueuses et destructrices qui parfois se nouent entre les êtres. Des êtres qui se débattent entre vérité et mensonges, reniements intimes, choix et contraintes, espoir et désillusions... Désolations explore les âmes, sonde les cœurs et les esprits jusqu'à mettre en évidence les sentiments les moins avouables, ceux que les personnages se cachent à eux-mêmes.
Désolations est le récit haletant d'une tragédie glaçante, implacable. C'est un roman fort, à l'angoisse insidieuse, qui se diffuse lentement, crescendo, jusqu'au choc d'une chute certes attendue mais de plus en plus redoutée au fil des pages.
Désolations un roman saisissant sur l'amour, et la solitude.
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David Vann, Désolations (Caribou Island), traduit de l'américain par Laura Derajinski, éd. Gallmeister, coll. Nature Writing, 2011, 296 pages, 23 €.
Du même auteur : Sukkwan Island
Ce livre m'a été envoyé dans le cadre de l'opération de Priceminister "Les matchs de la Rentrée littéraire".
20/10/2011
Un chasseur de lions- Olivier Rolin [2008]
Eugène Pertuiset est un pittoresque aventurier français de la fin du XIXe siècle : « vaste et rubicond », hâbleur impénitent, gros mangeur et buveur, piètre chasseur de lions, trafiquant d'armes déplorable, catastrophique inventeur d'inventions calamiteuses, magnétiseur, chercheur de trésors qui n'existent pas, funambulesque explorateur... C'est un personnage grand-guignolesque, haut en couleurs et un peu vulgaire, dont le l'auteur a découvert l'existence dans un livre acheté en Patagonie, région dans laquelle Pertuiset a mené une expédition totalement extravagante. L'auteur apprend par la suite que Pertuiset était aussi un ami de Manet, et que le peintre avait fait de lui un curieux portrait en chasseur de lions. Voici donc qui le décide a rédiger cette biographie fictionnelle, l'histoire romanesque et romancée des vies croisées de Pertuiset et de Manet.
Ce roman avait, de prime abord, beaucoup d'atouts pour me plaire : un personnage principal excentrique et "décalé" comme je les aime et un air de roman d'aventures bondissant et tonitruant. Or, la vie rocambolesque de Pertuiset est narrée avec une ironie mordante qui se teinte trop systématiquement de dédain. Au détour de longues tirades, les répliques assassines et les traits d'humour de l'auteur se font toujours aux dépens du chasseur de lions. Certes, le personnage est grotesque, chacune de ses entreprises aboutissant au fiasco, mais là où le comique aurait pu s'accompagner de tendresse pour les déconvenues de ce fanfaron pathétique mais plein de panache, l'auteur y préfère systématiquement le mépris. Facile (et cruel) de railler le benêt. Page 9, l'auteur se demande « Pourquoi Manet, "ce riant, ce blond Manet / De qui la grâce émanait", a-t-il peint ce gros lard ? ». Peut-être parce que Manet qui a, sa vie durant, gardé amitié et tendresse au bouffon Pertuiset, ne s'y est pas trompé, lui, et a su voir plus loin que le "lard" mentionné...
De plus l'auteur entrecoupe son récit par de multiples digressions, par l'évocation de souvenirs personnels et par des considérations sur le temps qui a passé, autant d'épisodes incidents qui "cassent" le rythme de récit. Et si les apartés historiques peuvent s'avérer intéressants pour certains, les souvenirs de l'auteur le sont beaucoup moins. Apprendre, par exemple, qu'il y a 25 ans de cela l'auteur, alors journaliste, arpentait le continent latino-américain et qu'il y fit la rencontre d'une jolie jeune femme... et arriva-t-il oui ou non à coucher avec elle ? Clairement, on s'en fout ! Ses questionnements pseudo-existentiels, ces atermoiements perpétuels, son auto-apitoiement continuel, on s'en contrefout !!! Enfin, la façon dont l'auteur s'interpelle à chaque page, usant de la deuxième personne de singulier, est franchement insupportable ! (« Il y a quatorze ans, tu es à Santiago. Tu possèdes encore une petite photo, la dernière, de la fille qui t'a quitté. Tu déchires cette photo en menus morceaux que tu jettes dans le Rio Mapocho […] » p. 131).
Bref, un roman assommant et bancal, avec trop de décorum stylistique qui ne mène nulle part, et un auteur-narrateur dont on ne comprend pas bien ce qu'il vient faire dans son roman.
Décevant. TRES décevant.
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Olivier Rolin, Un chasseur de lion, éd. Points, 2009 (2008), 234 pages, 6,50 €.
08:45 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : olivier rolin, littérature française, littérature contemporaine, manet, pertuiset, 19e siècle, aventurier, chasseur, lion