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16/12/2012

[théâtre] « Le développement de la civilisation à venir » de Daniel Veronese, d'après « Une maison de poupée » d'Henrik Ibsen

Le metteur en scène argentin Daniel Veronese propose ici sa version d'Une Maison de poupée d'Henrik Ibsen, dans un remarquable mélange d'audace et d'absolue fidélité : fidélité à l'argument principal de la pièce d'origine (datant de 1879), audace quant à son adaptation. Pour en souligner l'acuité toute contemporaine, il choisit de recentrer l'action en en réduisant le nombre de protagonistes et en la transposant de nos jours, quelque part en Amérique latin. Ainsi, l'adaptation de Veronese nous parle d'aujourd'hui : de la crise, du couple et de la place de la femme. Découvrir la suite...

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Photographie de Sergio Chiossone.

27/10/2011

Désolations – David Vann [2011]

Désolations, David VannCaribou Island est un îlot désert au milieu d'un lac glaciaire, en Alaska. C'est un endroit perdu à la beauté sans pitié. Après avoir élevé leurs enfants sur les bords du lac, Gary et Irène ont décidé de s'installer sur cette île, dans une cabane de rondins qu'ils construiront de leurs mains. Gary en rêve depuis toujours. Irène, en dépit d'inexplicables maux de tête qui ne lui laissent aucun répit, le suit dans son projet fou pour ne pas le perdre. Entraînée malgré elle dans l'obsession de son mari, elle le voit peu à peu s'enliser dans son  projet démesuré. Leur fille Rhoda, tout à ses propres rêves de famille, devient le témoin du face-à-face de ses parents, tandis que s'annonce un hiver précoce et violent qui rendra l'îlot encore plus inaccessible...

Désolations est un roman choral où les personnages (tous assez détestables) prennent la parole chacun leur tour, chapitre après chapitre. Ils vont par couples, ou plutôt par paires, lesquelles se disloquent lentement... Car après la relation père-fils dans Sukkwan Island, dans Désolations David Vann sonde l'impitoyable univers familial et interroge le couple. Il suit plus particulièrement les dérives d'un couple à bout de souffle, Gary et Irène. Déçu par sa vie, Gary vient chercher sur son îlot désert une sorte de rédemption, une manière de se mesurer au monde pour enfin se trouver, entraînant à sa suite sa femme et, par ricochet, sa fille Rhoda. Et tant pis si sa famille se désagrège, et tant pis (ou tant mieux ?) si sa femme n'arrive plus à le suivre. Mais tandis que Gary s'enlise dans son projet chimérique, Irène tient bon, elle voit le désastre arriver, mais elle s'accroche malgré tout, et continue à le soutenir. A la dérive du couple Gary-Irène fait écho celle qui touchera bientôt le couple de Rhoda et de son ami Jim. Et les tourments des couples et leur folie entrent peu à peu en résonance avec la grandeur des décors et la fureur des éléments qui se déchaînent.

Portraits de vies déçues et de rêves brisés, Désolations dépeint les relations tumultueuses et destructrices qui parfois se nouent entre les êtres. Des êtres qui se débattent entre vérité et mensonges, reniements intimes, choix et contraintes, espoir et désillusions... Désolations explore les âmes, sonde les cœurs et les esprits jusqu'à mettre en évidence les sentiments les moins avouables, ceux que les personnages se cachent à eux-mêmes.

Désolations est le récit haletant d'une tragédie glaçante, implacable. C'est un roman fort, à l'angoisse insidieuse, qui se diffuse lentement, crescendo, jusqu'au choc d'une chute certes attendue mais de plus en plus redoutée au fil des pages.

Désolations un roman saisissant sur l'amour, et la solitude.

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e%2040.gif David Vann, Désolations (Caribou Island), traduit de l'américain par Laura Derajinski, éd. Gallmeister, coll. Nature Writing, 2011, 296 pages, 23 €.

Du même auteur : Sukkwan Island

Ce livre m'a été envoyé dans le cadre de l'opération de Priceminister "Les matchs de la Rentrée littéraire".

les matchs de la rentrée littéraire

15/04/2010

Netherland – Joseph O'Neill [2008]

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Netherland.gif« Il y eut une autre silence. Je me sentais, avant tout, fatigué. La fatigue : s'il y avait un symptôme constant de la maladie qui avait touché nos vies à ce moment-là, c'était bien cet épuisement. Au travail, nous étions infatigables ; à la maison, la plus petite manifestation de vie était au-dessus de nos forces. Le matin, nous nous réveillions pour pénétrer une lassitude maligne qui semblait simplement s'être ravivée pendant la nuit. Le soir, une fois Jake mis au lit, nous mangions en silence du cresson et des nouilles transparentes que ni l'un ni l'autre n'avions la force de sortir des emballages carton ; nous allions somnoler chacun notre tour dans la baignoire ; et nous ne parvenions pas à rester éveillés le temps d'une émission de télévision. Rachel était fatiguée et j'étais fatigué. Une situation banale, certes – mais nos problèmes étaient banals, c'étaient les problèmes dont on parle dans les magazines féminins. Toutes les vies, je me souviens avoir pensé, finissent par se retrouver dans la rubrique « Conseils » des magazines féminins. »

Hans, le narrateur, est un analyste financier d'une trentaine d'années. Il est né et a grandi aux Pays-Bas, puis est parti travailler à Londres, s'y est marié avec Rachel, avant de s'installer en famille à New York. C'est au cours des mois qui suivent les attentats du 11 septembre 2001 que se déroule l'essentiel de l'action du roman : Hans vit désormais en solitaire dans la métropole traumatisée, sa femme étant retournée en Angleterre en emmenant leur petit garçon.

Désœuvré, paumé, Hans occupe son temps libre en jouant au cricket, et fait la connaissance de Chuck, un énigmatique "homme d’affaires", son double inversé. Hans est un émigré blanc originaire de la vieille Europe, Chuck est un émigré noir originaire de Trinidad. Hans est en retrait, hésitant et se laisse porter par les événements, Chuk est hâbleur et flambeur et crée l'événement. C'est sur leur passion commune du cricket que se fonde leur coup de foudre amical, qui durera quelques saisons, le temps pour Hans de reprendre le cours de sa vie, le temps pour Chuck de disparaître de façon mystérieuse...

Netherland est un roman ambitieux qui cherche à parler du monde d'aujourd'hui à travers le prisme d'une vie ordinaire saisie dans un moment de chaos. Il met ainsi en parallèle l'intime et l'époque : la crise existentielle que connaît Hans au désarroi new-yorkais post-11 septembre. Et si les déboires conjugaux d'Hans paraissent assez dérisoires rapportée à l'échelle de la secousse planétaire que furent les attentats du 11 septembre 2001, elle y est pourtant intrinsèquement liée. A travers le parcours et les pensées de Hans, spectateur dépassé d'un monde bouleversé et de sa propre vie, et à travers son émouvant tableau de New York, Joseph O'Neill sonde l'Amérique post-11 septembre, sur un constat désenchanté de désarroi et d'incompréhension du monde.

Mais si la mélancolie latente à ce roman n'est pas désagréable, on ressent aussi et surtout à cette lecture un profond ennui. Rien de franchement raté pourtant : c'est bien écrit (une écriture spontanée, des phrases longues et élégantes), bien pensé, bien construit (dans un flot de souvenirs savamment désordonnés), mais... Ça ne marche pas... Pas pour moi en tous cas.

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Joseph O'Neill, Netherland, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Wicke, Ed. de l'Olivier, 2009 (2008), 296 pages, 22 €.

27/07/2004

[théâtre] Cuisine et Dépendances - Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri / Théâtre de Lulu sur la Colline

Martine et Jacques organisent un dîner en l'honneur d'un ami d’enfance devenu très célèbre et qu'ils n'ont pas revu depuis dix ans, mais ils ont la tête ailleurs. Le contrôle de la soirée va complètement leur échapper, car si l'invité est au salon, la vraie soirée se déroule en "coulisse" dans la cuisine ! Là nous croisons Jacques et Martine donc, le jeune couple ami d’enfance du présentateur star, qui n’ont pas le temps de se poser les questions capitales ; Georges, l’ours bougon, squatteur de la maison et aussi ami d’enfance, s’en pose des questions, lui, à tout bout de champ, à tout moment, dans n’importe quel sens, à l’endroit et à l’envers, et ça n’avance à rien ; Charlotte, épouse de cette célébrité et toujours ami d’enfance, ne sait plus quelles questions elle doit poser et se poser ; et Fred, frère de Martine, pas ami, mais proche de l’enfance, qui ne voit pas l’intérêt de s’en poser, des questions. Dans le salon se trouvent deux personnages que l’on ne verra pas dans la pièce : Marilyn, la petite amie de Fred, la bombe sexuelle à la cervelle de moineau, qui ne soupçonne même pas que de telles questions puisse exister, et l’illustre mari de Charlotte, "star" de la soirée et dont la présence sera un révélateur comportemental de chacun, engendrant en cuisine les réactions et les avis les plus divers.

Il y a une question que chacun va se poser. Qui est-il, cet invité célèbre ? Une future relation, un ancien ami, un possible amant, un ex-mari, ou un imbécile de passage ? Les personnages défilent hypocritement devant cet homme... Pourquoi ? Peut-être pour gagner «son estime […] qui serait devenue indispensable en l’espace d’une soirée» (dixit Georges, acte 3).

On ajoute à cela une louche de vieux sentiments, une cuillérée de regrets, un soupçon de ressentiments et une pincée de poker et on obtient un repas très salé, une véritable soupe sentimentale et une vision saignante du couple. Le couple Jacques-Martine, qui a suivi les conventions sociales du mariage, se révèle rapidement en crise. Leur quête actuelle de leur vérité va s’opposer aux dix années passées où les problèmes de communication les ont conduit à rester à tout prix convenable, tombant dans une routine qui ce soir va céder, marquant un tournant crucial de leurs vies. Le couple Georges-Charlotte est tout aussi raté, probablement parce qu’ils n’ont pas osé l’engagement...

La cuisine devient l’arène des règlements de compte et des espoirs futurs : on y voit tous les personnages se dévoiler les uns après les autres, vulnérables et fragiles, plus lâches que vraiment méchants, empêtrés dans leur vie, tiraillés entre leurs peurs et leurs désirs, émouvants. Cuisine et Dépendances est une satire sociale, une comédie douce-amère, tendre et subtile, à l’écriture caustique et au ton léger.

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Cuisine et Dépendances
Comédie d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri
Interprété par le Théâtre de Lulu sur la Colline

Spectacle vu le 27/07/2004 au Festival d’Avignon Off