24/09/2009
Si loin de vous – Nina Revoyr (2008)
1964 : Jun Nakayama, d'origine japonaise, est un vieil homme modeste et discret, qui vit dans une zone pavillonnaire à l'ouest d'Hollywood, et dont les voisins sont loin de soupçonner le passé de star du cinéma muet. En effet, cela fait 40 ans que Jun a tourné son dernier film, et la question qui habite ce roman est de savoir pourquoi ? Pourquoi Jun a-t-il renoncé à une carrière glorieuse pour vivre le reste de sa vie dans l'anonymat ? L'arrêt de sa carrière, en 1922, est-elle due à la lassitude du public, à la montée du racisme, à la fin du cinéma muet ? Ou est-elle liée au meurtre jamais élucidé du grand réalisateur Ashley Benett Tyler ?
L'un des plaisirs offert par ce roman réside dans le dévoilement progressif de la personnalité du personnage principal, Jun Nakayama. Sous son apparence de vieux monsieur sans histoire et courtois, on découvre petit à petit un homme complexe à l'histoire personnelle riche et mouvementée. Par bribes, Jun se raconte (son arrivée aux Etats-Unis, ses débuts d'acteur, son ascension fulgurante, les femmes de sa vie, les fêtes hollywoodiennes, l'arrêt brutal de sa carrière), la narration faisant d'incessants allers-retours entre présent (1964) et passé (années 1910-1920). Et finalement, on découvre un homme assez orgueilleux (et pas toujours très sympathique), un peu veule, émotionnellement déficient, mais attachant malgré tout.
J'ai aussi apprécié le rythme lent de la narration et sa nostalgie latente, et toutes ces informations que l'on recueille tout au long de la lecture sur l'histoire du cinéma, du muet au parlant, les débuts d'Hollywood et du "star system", et le contexte historique du début des années 1920 (l'après Première Guerre mondiale, la question raciale avec la montée de la peur du "Péril jaune"...).
Si loin de vous aborde de nombreux thèmes : la célébrité et l'ambition, comment le succès peut pervertir, comment "le rêve hollywoodien" peut devenir cauchemar, comment un individu lambda peut participer d'un racisme "ordinaire"... C'est aussi une belle méditation sur le passage des ans et les occasions manquées. Et c'est surtout un bel hommage au cinéma muet, évoqué avec finesse et tendresse.
Bref, un moment de lecture tout à fait charmant.
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Nina Revoyr, Si loin de vous (The Age of Dreaming), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bruno Boudard, éd. Phébus, 2009 (2008), 376 pages, 23 €.
Livre lu grâce à Chez les filles et aux éditions Phébus, que je remercient.
12:45 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature américaine, cinéma, cinéma muet, acteur
17/10/2007
[cinéma] Un secret – Claude Miller (2007)
Genre : mélo historique
François est un petit garçon né juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, de Maxime (Patrick Bruel) et Tania (Cécile de France), ses parents juifs qui ont échappé au génocide. François est chétif et introverti, rêveur aussi. Pour ne plus voir la compassion dans les yeux de sa mère et la condescendance dans ceux de son père, il s'invente un grand frère, plus fort et intrépide que lui, un grand frère qui ferait la fierté de son père. Le jour de ses quinze ans Louise (Julie Depardieu), une amie de la famille, lui révèle une vérité bouleversante, mais qui lui permet enfin de se construire : le passé de sa famille et le secret qui entoure l'union coupable de ses parents et sa naissance.
La seule lecture du synopsis d'Un secret suffit à émouvoir (mais je ne peux vous en dire plus sous peine de gâcher le travail de dévoilement auquel se livre le petit François). Pourtant, je suis restée étrangement extérieure et "froide" à cette histoire, "non-impliquée". Pourquoi ne me suis-je pas sentie touchée par ce récit pourtant intrinsèquement bouleversant ? Peut-être parce que, en cours de film, je me suis rappelée avoir lu le roman très autobiographique de Philippe Grimbert dont est issu le film, et avoir pleuré à cette lecture. Forcément, connaissant par avance le secret dont le dévoilement progressif sert de focale au film, le film a perdu de son intérêt et j'ai aussi été plus attentive au reste : les acteurs, la mise en scène...
Et là, Miller n'a pas lésiné. Casting de choix où tous brillent, de Cécile de France (éclatante en femme fatale et survivante) à Ludivine Sagnier (tout en vulnérabilité) en passant par Julie Depardieu (malgré un énième rôle de bonne copine). Côté acteurs, mon seul bémol va à Patrick Bruel, certes sobre dans son personnage pas forcément sympathique, mais peu crédible en charmeur au regard magnétique. Côté casting donc, pas grand'chose à redire, mais côté mise en scène… Est-il vraiment besoin de tout surligner pour nous faire ressentir la prégnance du secret ? Claude Miller a opté pour une mise en scène hyper démonstrative, multipliant les effets incongrus, inutiles ou sur-signifiants : multiplication des points de vue, bouleversement chronologique, utilisation grandiloquente de la couleur (temps passé : guerre et après-guerre) et du noir et blanc (temps présent : 1985). Cette idée, qui va à l'inverse d'une convention établie, aurait pu servir le propos mais elle n'est ici qu'un simple "truc".
Ce film ne m'a finalement apporté qu'une seule chose : la furieuse envie de relire le livre de Philippe Grimbert.
BlueGrey
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Un secret
De Claude Miller
Avec Patrick Bruel (Maxime), Cécile de France (Tania), Julie Depardieu (Louise), Ludivine Sagnier (Hannah), Mathieu Amalric (François à 37 ans)...
Film français, 2007, 1h40
Film vu le 16/10/2007
18:30 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cinéma, film, amour, guerre, seconde guerre mondiale, secret
09/10/2007
La maison assassinée – Pierre Magnan (1984)
Genre : drame paysan
Le 29 septembre 1896 en Haute-Provence, par une nuit d'orage, toute la famille Monge est massacrée, égorgée. Séraphin, bébé de trois semaines, est le seul survivant... Les années passent. Après la Première Guerre mondiale, Séraphin revient au pays. Surgi du passé, Séraphin dérange les villageois, leur fait peur, les fascine aussi. Car il est bien étrange ce jeune homme beau tel un archange, puissant, placide et silencieux, toujours les poings serrés, qui entreprend de démolir, pierre à pierre, la maison du drame, comme pour l'effacer ou peut-être pour découvrir dans ses entrailles les réponses à ses questions. Car, hanté par l'image de sa mère morte, Séraphin n'aspire qu'à découvrir la vérité sur la mort des siens, et se venger. Or cela, tout l'indiffère : l'opinion publique, l'amitié que lui offre une "gueule cassée", l'amour des femmes... rien ne semble l'atteindre. De rencontres en révélations, il se lance en silence sur la trace des coupables. Mais à grande surprise, un inconnu le devance sur le chemin de sa vengeance.
Pierre Magnan a écrit là un remarquable roman dont l'intrigue policière touche à la tragédie. Mais avant tout ce livre est un roman d'atmosphère, qui mêle le mystère au réalisme paysan. Pierre Magnan parvient à saisir de manière réaliste l'ambiance étouffante faite de non-dits qui règne dans le village, mais aussi ce quotidien accablant que les habitants rehaussent de on-dit et de racontars. Les notables du village (Didon Sépulcre, propriétaire du moulin à huile, Célestat Dormeur le boulanger, et Gaspard Dupin, enrichi grâce à la guerre) paraissent vite bien louches mais on ne comprendra que très tard la véritable teneur de leur implication dans l'intrigue. Les personnages féminins ne sont pas en reste, surtout le trio principal formé par Rose Sépulcre, Marie Dormeur et Charmaine Dupin (les filles respectives des trois hommes suscités). Et bien qu'au début le fait qu'elles se jettent toutes trois à la tête de Séraphin puisse paraître passablement artificiel, il faut leur reconnaître du caractère et de l'éclat, rehaussé d'un brin de perversité et d'une liberté de ton et d'action inattendue mais salutaire vu l'époque du récit. Quant à Séraphin, pris par son obsession macabre qui le poursuit sans répit et sa vengeance qui le dépasse, il paraît presque extérieur aux évènements alors qu'il en est le centre de gravité et le déclencheur.
Le décor rude et sauvage, les personnages forts et bien campés, le style précis, l'intrigue sinueuse : le tout forme un roman noir et poisseux, parfois quelque peu dérangeant, et assurément prenant.
En 1987 Georges Lautner a adapté ce roman en un film assez fidèle avec Patrick Bruel dans le rôle principal. Le film joue la carte du lent mélodrame rural et rend à merveille l'univers campagnard lourd de menaces, de haines et de secrets enfouis. On retrouve donc bien l'atmosphère du roman, mais la mise en scène ne décolle pas de l'illustration genre téléfilm. De plus, j'ai eu du mal a trouver Patrick Bruel crédible en Séraphin Monge : il manque cruellement de carrure pour un tel personnage et le rend bien fade alors qu'il devrait être énigmatique et fascinant.
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Pierre Magnan, La maison assassinée, éd. Denoël, coll. folio policier, 2003 (1984), 345 pages, 7,20 €.
Merci à Flo pour m'avoir fait découvrir ce livre et cet auteur !
18:10 | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : la maison assassinée, pierre magnan, littérature française, cinéma, polar, vengeance
07/04/2007
[cinéma] Aviator – Martin Scorsese (2005)
Haute voltige
Aviator retrace vingt ans (de 1927 à 1947) de la vie tumultueuse d'Howard Hughes. Casse-cou, producteur et réalisateur de cinéma, directeur de studio, industriel, pionnier de l'aviation civile, inventeur, et séducteur insatiable, cet excentrique et flamboyant aventurier devint un leader de l'industrie aéronautique en même temps qu'une figure mythique, auréolée de glamour et de mystère. Il n'en était pas moins victime de handicaps physiques et de troubles obsessionnels, une maladie qui lui valut de finir sa vie en reclus.
Des les premières images on sent le bonheur de Scorsese d'être aux commandes de cette fastueuse fresque de l'âge d'or hollywoodien (les années 30) avec une reconstitution éblouissante de cette époque (j'ai adoré les scènes des folles soirées au Coconuts Groove). On sent aussi le bonheur des acteurs d'y participer : Leonardo DiCaprio est possédé et transcendé par son rôle d'aviateur-producteur multimillionnaire et si Kate Beckinsale est un peu fade dans le rôle d'Ava Gardner, Cate Blanchett, elle, est une fougueuse et sublime Katharine Hepburn. A l'évidence, le réalisateur et les acteurs se sont beaucoup amusés, et cette euphorie est communicative.
Le scénario ne garde que quelques épisodes de la vie de Hughes, privilégiant l'ascension de ce golden boy milliardaire, fou d'aviation et de cinoche, racontant sa mégalomanie, sa volonté de puissance, ses triomphes mais aussi sa névrose. Certaines scènes sont vraiment saisissantes, telles celles du tournage épique de Hell’s Angels et celles du crash ahurissant de l'avion où Howard Hughes frôle la mort. A d'autres moments plus intimistes, l'angoisse recouvre les paillettes, les démons intérieurs de Hughes qui l'anéantissent peu à peu transpirent sous son panache. On comprend que l'argent, le pouvoir et même l'amour sont pour lui des faux-semblants devant lui permettre de tenir ses névroses à distance. Mais cela ne suffit pas, et à la fin du film on sent l'ardent personnage sur le déclin, en autodestruction.
Aviator est un très bon divertissement, un peu trop classique et académique peut-être pour être à la démesure de l'excentrique Howard Hughes, dont la force fascine autant que la vulnérabilité.
BlueGrey
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Aviator (The Aviator)
De Martin Scorsese
Avec Leonardo DiCaprio (Howard Hughes), Cate Blanchett (Katharine Hepburn), Kate Beckinsale (Ava Gardner), Adam Scott (Johnny Meyer), Kelli Garner (Faith Domergue), Alec Baldwin (Juan Trippe), Gwen Stefani (Jean Harlow), Ian Holm (Professeur Fitz), Jude Law (Errol Flynn), John C. Reilly (Noah Dietrich), Alan Alda (Sénateur Ralph Owen Brewster)...
Film américain, 2005, 2h45
07:35 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cinéma, film, années 30
23/04/2006
[cinéma] The secret life of words - Isabel Coixet (2006)
Une plateforme pétrolière isolée au milieu de la mer où ne vivent que des hommes, ceux qui y travaillent, et où vient d'avoir lieu un accident. Une jeune infirmière sourde y vient pour soigner un homme gravement brûlé et rendu temporairement aveugle lors de l'accident. La jeune femme est mystérieuse, silencieuse, solitaire, comme absente de sa propre existence. L'homme cache plus qu'il ne faudrait sa sensibilité derrière des manières de dragueur. Entre ces deux écorchés vifs se crée une étrange intimité, un lien fait de secrets, tissé de vérités, de mensonges, d'humour et de souffrance. Un face à face d'une grande intensité mais qui existe surtout pour le final, terrible et bouleversant à la fois.
Centré sur ces deux portraits croisés, ce huis-clos très lent se joue sans effets ni artifices, en sobriété. Il avance subtilement sur des petits riens tout en délicatesses, en sensibilités, en vibrations. Malgré quelques intrigues secondaires un peu inconsistantes, ce film fait montre d'une rare sensibilité sans tomber dans le mélo-guimauve. Les acteurs joue en retenu et la cinéaste filme avec pudeur et confronte dans le final les spectateurs aux limites de leur investissement humain dans les drames qui les entourent.
Pendant le générique de fin, pas un seul spectateur ne s'est levé pour quitter la salle, chacun a attendu que l'écran redevienne totalement noir et que la salle s'éclaire avant d'envisager de sortir. Puis chacun est sorti, en silence, sans échanger un mot... Abasourdi et encore imprégné par ce beau film.
BlueGrey
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The secret life of words (La Vida screta de las palabras)
D'Isabel Coixet
Avec Sarah Polley (Hanna), Tim Robbins (Josef), Javier Camara (Simon)...
Film espagnol, 2006, 1h52
Film vu le 21/04/2006
22:40 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, film, amour, guerre, surdité