21/10/2007
Le Monde du bout du monde – Luis Sepúlveda (1989)
Genre : polar écologiste
«Les bateaux qui ont connu le goût de l'aventure deviennent amoureux des mers d'encre et ils aiment naviguer sur le papier.»
Parce qu'il a lu Moby Dick, un garçon chilien de 16 ans rêve de chasse à la baleine. Grâce à son Oncle (oui, il a un Oncle avec une majuscule) il rencontre "Le Basque", impressionnant chasseur de baleine, et son harponneur Don Pancho, et embarque avec eux sur l'Evangéliste. Mais en assistant à la capture et au dépeçage d'un cachalot, il comprend que la véritable chasse à la baleine est bien loin de l'image romanesque qu'il s'en était fait : «Le lendemain matin, deux canots ont remorqué l'animal jusqu'à la plage et là les Chilotes l'ont ouvert avec des couteaux semblables à des cravaches de jockey. Le sang inondait les galets et les coquillages en formant des ruisseaux sombres qui rougissaient l'eau. Les cinq hommes avaient mis des cirés noirs et ils étaient ensanglantés des pieds à la tête. Les mouettes, les cormorans et autres oiseaux de mer volaient au-dessus, rendus fous par l'odeur du sang, et plus d'un payait son audace d'un coup de couteau qui le fendait en deux en plein vol.»
Vingt ans plus tard : juin 1988. Exilé à Hambourg, le jeune garçon est devenu un journaliste dévoué à la cause écologiste. Alors, quand un baleinier industriel japonais, censé avoir été réduit en bouillie à la casse réapparaît en pirate pourchasseur de baleines et fait un étrange naufrage à l'extrême sud de la Patagonie, il décide de mener l'enquête. En retournant sur les lieux de son enfance il va rencontrer le capitaine Nilssen, fils d'un marin danois et d'une Indienne Ona : «Une épaisse chevelure grise empêchait de calculer son âge, et je le vis franchir les quelques mètres qui nous séparaient avec cette démarche de pélican caractéristique des marins qui ont beaucoup de milles derrière eux [...] Ils ne descendent pas souvent à terre et semblent garder dans leur corps le balancement des navires.» Avec l'énigmatique capitaine il va naviguer parmi les récifs du cap Horn, sur une mer hantée par les légendes de pirates et d'Indiens disparus, vers des baleines redevenues mythiques...
La première partie de ce roman, récit initiatique du jeune garçon, m'a relativement indifférée. Dans la seconde partie, quand le roman vire au polar écologiste, mon intérêt s'est réveillé, et j'ai été harponnée par l'énigme du Nisshin Maru, le baleinier fantôme. Quant au dénouement, l'intervention du merveilleux qui vient interrompre le réalisme factuel de la narration ma désarçonnée. Si ce final ne manque pas de poésie, il jure dans un contexte didactique visant à la prise de conscience écologique. En conclusion, je dirai que Le Monde du bout du monde est un roman poétique et militant qui aurait sans doute gagné en puissance si son auteur avait évité la pirouette finale et était allé au bout de sa démonstration.
BlueGrey
______________________________
Luis Sepúlveda, Le Monde du bout du monde (El mundo del fin del mundo), traduit de l'espagnol (Chili) par François Maspero, éd. Métaillé, coll. suites, 2005 (1989), 130 pages.
Les avis plus enthousiastes de Frisette et du Biblioblog.
Et merci à ALaure de m'avoir offert ce roman dans le cadre du swap organisé par Loutarwen !
Du même auteur : Le vieux qui lisait des romans d'amour
23:35 | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, livre, roman, baleine
19/10/2007
La boîte noire – Tonino Benacquista (1999)
Tonino Benacquista nous livre ici cinq nouvelles très inégales, allant du meilleur au pire.
Dans la première, La boîte noire, un homme tout juste sorti du coma reçoit de l'infirmière qui s'occupait de lui un carnet avec la transcription exacte de ses délires verbaux : son passé et ses secrets les plus enfouis refont ainsi surface dans une variation insolite sur les mystères de la psyché et de l'identité. Adaptée au cinéma en 2005 par Richard Berry, cette nouvelle est à ne pas rater et est la meilleure de ce recueil, les autres étant d'une qualité nettement inférieure.
Suit ensuite La volière, un récit assez touchant et plaisant, dans lequel un jeune homme, pour accomplir les dernières volontés d'un oncle qu'il aimait et qui l'aimait, va découvrir le secret du vieux monsieur. La troisième nouvelle, Un temps de blues, anecdotique mais agréable, nous entraîne dans un bar sur fond de pluie, de jukebox et de coups à boire avec un mec qui, s'il se concentre vraiment, peut arrêter la pluie.
Les deux dernières nouvelles du recueil sont franchement médiocres. Dans Transfert un mari est prêt à tout pour rencontrer sa maîtresse malgré une femme maladivement jalouse, le tout sur fond de déprime. Et dans La pétition un journaliste en manque de scoop pense réaliser sa meilleure interview et conquérir la femme de sa vie en une soirée, mais bien sûr rien ne va se passer comme il l'espérait.
BlueGrey
______________________________
Tonino Benacquista, La boîte noire, éd. Gallimard, coll. folio, 2005 (1999), 123 pages, 2 €.
Les avis de Kalistina et Lhisbei.
Du même auteur : Quelqu'un d'autre
13:30 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, nouvelles, psychanalyse
17/10/2007
[cinéma] Un secret – Claude Miller (2007)
Genre : mélo historique
François est un petit garçon né juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, de Maxime (Patrick Bruel) et Tania (Cécile de France), ses parents juifs qui ont échappé au génocide. François est chétif et introverti, rêveur aussi. Pour ne plus voir la compassion dans les yeux de sa mère et la condescendance dans ceux de son père, il s'invente un grand frère, plus fort et intrépide que lui, un grand frère qui ferait la fierté de son père. Le jour de ses quinze ans Louise (Julie Depardieu), une amie de la famille, lui révèle une vérité bouleversante, mais qui lui permet enfin de se construire : le passé de sa famille et le secret qui entoure l'union coupable de ses parents et sa naissance.
La seule lecture du synopsis d'Un secret suffit à émouvoir (mais je ne peux vous en dire plus sous peine de gâcher le travail de dévoilement auquel se livre le petit François). Pourtant, je suis restée étrangement extérieure et "froide" à cette histoire, "non-impliquée". Pourquoi ne me suis-je pas sentie touchée par ce récit pourtant intrinsèquement bouleversant ? Peut-être parce que, en cours de film, je me suis rappelée avoir lu le roman très autobiographique de Philippe Grimbert dont est issu le film, et avoir pleuré à cette lecture. Forcément, connaissant par avance le secret dont le dévoilement progressif sert de focale au film, le film a perdu de son intérêt et j'ai aussi été plus attentive au reste : les acteurs, la mise en scène...
Et là, Miller n'a pas lésiné. Casting de choix où tous brillent, de Cécile de France (éclatante en femme fatale et survivante) à Ludivine Sagnier (tout en vulnérabilité) en passant par Julie Depardieu (malgré un énième rôle de bonne copine). Côté acteurs, mon seul bémol va à Patrick Bruel, certes sobre dans son personnage pas forcément sympathique, mais peu crédible en charmeur au regard magnétique. Côté casting donc, pas grand'chose à redire, mais côté mise en scène… Est-il vraiment besoin de tout surligner pour nous faire ressentir la prégnance du secret ? Claude Miller a opté pour une mise en scène hyper démonstrative, multipliant les effets incongrus, inutiles ou sur-signifiants : multiplication des points de vue, bouleversement chronologique, utilisation grandiloquente de la couleur (temps passé : guerre et après-guerre) et du noir et blanc (temps présent : 1985). Cette idée, qui va à l'inverse d'une convention établie, aurait pu servir le propos mais elle n'est ici qu'un simple "truc".
Ce film ne m'a finalement apporté qu'une seule chose : la furieuse envie de relire le livre de Philippe Grimbert.
BlueGrey
______________________________
Un secret
De Claude Miller
Avec Patrick Bruel (Maxime), Cécile de France (Tania), Julie Depardieu (Louise), Ludivine Sagnier (Hannah), Mathieu Amalric (François à 37 ans)...
Film français, 2007, 1h40
Film vu le 16/10/2007
18:30 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cinéma, film, amour, guerre, seconde guerre mondiale, secret
12/10/2007
J'ai été swapppée !
Aujourd'hui j'ai eu une grosse journée boulot avec en prime 3h30 de trajet, et ce après une semaine pas tendre non plus (beaucoup de boulot et de déplacements pour le boulot, des incertitudes quant à ma mutation, et hier j'ai pris un caillou sur mon pare-brise... bousillé bien sûr). Y'a des semaines comme ça. C'est vous dire si je suis rentrée vannée et énervée... Ma seule envie en arrivant : douche puis avachissement sur mon canap' avec un bon bouquin et un bon thé... J'étais tellement crevée et dans le brouillard en rentrant que j'ai ouvert ma boîte aux lettres machinalement : vide. Et là, vu le titre de cet article, vous commencez à vous poser des questions, car vous savez déjà qu'en fait j'ai reçu un colis, mais où est-il donc mon colis, hein, où qu'il est ?
A côté de ma boîte, pardi ! Oui, j'ai un facteur facétieux qui ne met JAMAIS mes colis dans ma boîte mais les pose systématiquement à côté quand il ne les coince pas dans la fente au risque de me les bousiller. Bref, reprenons ! N'oubliez pas que je rentre tard, énervée et crevée, et donc, ben, j'ai failli rater mon colis qui m'attendait pourtant bien gentiment posé à côté de ma boîte ! Mince alors, ç'aurait été dommage ! A sa vue, et comprenant qu'il s’agissait du swap, mon moral remonte. Et pendant que je me traîne dans mon escalier, je découvre le nom de ma gentille expéditrice : ALaure ! ALaure, que j'ai rencontrée pour de vrai pour la première fois le 29 septembre, le fameux 29 septembre dernier ! (Quant aux autres participantes de cette fameuse journée : bande de chagasses ! Oui, vous, là, bien à l'abri derrière vos écrans, que je sens hilares de m'avoir menée en bateau pendant toute la journée, vous toutes, Anjelica, Choupynette, Flo, Florinette, Chimère et YueYin, toutes des chagasses !)
Bref, jarrête de vous faire languir, le voici, le voilà, MON colis, TADAM !!!
Plein de jolis paquets ! Et dedans les zolis pitits paquets, keskiya ? re-TADAM !!!
Alors, côté livres :
- Le Monde du bout du monde de Luis Sepulveda : je voulais découvrir Sepulveda depuis longtemps, mais ne connaissais pas ce titre
- La petite fille de Monsieur Linh de Philippe Claudel : ce livre est dans ma LAL depuis pfiou ! au moins !
Donc, du tout bon !
Côté thé :
- Un paquet de Balade Provençale, thé vert parfumé au jasmin et à la pêche. Je connaissais le thé vert parfumé au jasmin et le thé vert parfumé à la pêche, mais pas le thé vert parfumé aux deux ! Vous pouvez donc voir sur la photo, en haut à droite, ma première tasse de ce merveilleux thé, doux et parfumé, juste ce qu'il me fallait pour me réconforter !
- Dans une jolie petite boîte aux idéogrammes, Fleur de Geisha, un thé vert parfumé aux fleurs de cerisiers. Un thé que j'ai déjà eu l'occasion de goûter et que j'apprécie beaucoup.
- Et enfin une fleur de thé Pêche rouge. J'adore voir les fleurs de thé éclore, donc ALaure à encore tout bon !
Les plus :
- un mimi mini-stylo bleu, parfait pour accompagner mon carnet à LAL
- et deux marc'tapages faits-main ET personnalisés
Et enfin, une jolie carte avec un message très sympathique ! Merci infiniment ALaure pour tout ça, tu ne peux pas savoir comme ton colis est arrivé au bon moment pour faire du bien à mon moral ! Et merci Loutarwen pour avoir organisé ce swap. Et maintenant, je vais végéter devant mon écran, avec mon thé, et mes livres à portée de main...
BlueGrey
20:50 Publié dans * De tout, de rien... * | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : swap, blogosphère
09/10/2007
La maison assassinée – Pierre Magnan (1984)
Genre : drame paysan
Le 29 septembre 1896 en Haute-Provence, par une nuit d'orage, toute la famille Monge est massacrée, égorgée. Séraphin, bébé de trois semaines, est le seul survivant... Les années passent. Après la Première Guerre mondiale, Séraphin revient au pays. Surgi du passé, Séraphin dérange les villageois, leur fait peur, les fascine aussi. Car il est bien étrange ce jeune homme beau tel un archange, puissant, placide et silencieux, toujours les poings serrés, qui entreprend de démolir, pierre à pierre, la maison du drame, comme pour l'effacer ou peut-être pour découvrir dans ses entrailles les réponses à ses questions. Car, hanté par l'image de sa mère morte, Séraphin n'aspire qu'à découvrir la vérité sur la mort des siens, et se venger. Or cela, tout l'indiffère : l'opinion publique, l'amitié que lui offre une "gueule cassée", l'amour des femmes... rien ne semble l'atteindre. De rencontres en révélations, il se lance en silence sur la trace des coupables. Mais à grande surprise, un inconnu le devance sur le chemin de sa vengeance.
Pierre Magnan a écrit là un remarquable roman dont l'intrigue policière touche à la tragédie. Mais avant tout ce livre est un roman d'atmosphère, qui mêle le mystère au réalisme paysan. Pierre Magnan parvient à saisir de manière réaliste l'ambiance étouffante faite de non-dits qui règne dans le village, mais aussi ce quotidien accablant que les habitants rehaussent de on-dit et de racontars. Les notables du village (Didon Sépulcre, propriétaire du moulin à huile, Célestat Dormeur le boulanger, et Gaspard Dupin, enrichi grâce à la guerre) paraissent vite bien louches mais on ne comprendra que très tard la véritable teneur de leur implication dans l'intrigue. Les personnages féminins ne sont pas en reste, surtout le trio principal formé par Rose Sépulcre, Marie Dormeur et Charmaine Dupin (les filles respectives des trois hommes suscités). Et bien qu'au début le fait qu'elles se jettent toutes trois à la tête de Séraphin puisse paraître passablement artificiel, il faut leur reconnaître du caractère et de l'éclat, rehaussé d'un brin de perversité et d'une liberté de ton et d'action inattendue mais salutaire vu l'époque du récit. Quant à Séraphin, pris par son obsession macabre qui le poursuit sans répit et sa vengeance qui le dépasse, il paraît presque extérieur aux évènements alors qu'il en est le centre de gravité et le déclencheur.
Le décor rude et sauvage, les personnages forts et bien campés, le style précis, l'intrigue sinueuse : le tout forme un roman noir et poisseux, parfois quelque peu dérangeant, et assurément prenant.
En 1987 Georges Lautner a adapté ce roman en un film assez fidèle avec Patrick Bruel dans le rôle principal. Le film joue la carte du lent mélodrame rural et rend à merveille l'univers campagnard lourd de menaces, de haines et de secrets enfouis. On retrouve donc bien l'atmosphère du roman, mais la mise en scène ne décolle pas de l'illustration genre téléfilm. De plus, j'ai eu du mal a trouver Patrick Bruel crédible en Séraphin Monge : il manque cruellement de carrure pour un tel personnage et le rend bien fade alors qu'il devrait être énigmatique et fascinant.
______________________________
Pierre Magnan, La maison assassinée, éd. Denoël, coll. folio policier, 2003 (1984), 345 pages, 7,20 €.
Merci à Flo pour m'avoir fait découvrir ce livre et cet auteur !
18:10 | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : la maison assassinée, pierre magnan, littérature française, cinéma, polar, vengeance