07/10/2007
Les Demeurées – Jeanne Benameur (2000)
« Les sons se hissent, trébuchent, tombent derrière la lèvre. Abrutie. » L'abrutie c'est La Varienne, l'idiote du village. Et La Varienne a une fille, la petite Luce. Sans doute abrutie elle aussi. Car pour les gens d'ici, c'est simple : l'enfant d'un demeuré est un demeuré. Pourtant la petite pourrait apprendre, peut-être. Mademoiselle Solange, l'institutrice, en est convaincue. Mais pour la petite, apprendre serait trahir sa mère. Alors « elle n'apprendra rien. Rien et rien. Elle restera toujours avec sa Varienne. Toujours. »
« Mademoiselle Solange soupçonne qu'au fond de la tête de cette enfant se niche une dureté têtue, une obstination qu'il s'agirait de vaincre. Luce n'apprend rien. Luce ne retient rien. Elle fait montre d'une faculté d'oubli très rare : un don d'ignorance. Des enfants que l'étude n'intéresse pas, Mademoiselle Solange en a rencontré, en face d'elle, dans les rangées bien alignées. C'était bêtise, c'était paresse.
Avec Luce, il s'agit d'autre chose. »
L'écriture de Jeanne Benameur est d'une grande précision, toute en suggestion, sans démonstration. En 80 pages elle dresse le portrait plein de délicatesse d'un amour filial, un amour originel, instinctif, indéfectible, mystique presque, un amour qui se suffit à lui-même, un amour qui veut et peut se passer du monde. Il ne faut pas en dire plus. Sachez seulement que le final est superbe et m'a laissée pantoise et émue.
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Jeanne Benameur, Les Demeurées, éd. Denoël, coll. Folio, 2007 (2000), 80 pages, 2 €.
Un grand merci à Florinette pour m'avoir fait découvrir ce livre et me l'avoir prêté !
23:05 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : les demeurées, jeanne benameur, littérature française, institutrice, école
05/10/2007
[musique] The One AM Radio
Sur une idée de Thom du Golb, voici donc ma contribution au crossover entre blogs littéraires et blogs musicaux. Mais, avant de me lancer dans l'aventure, quelques explicitations s'imposent car je sens poindre des interrogations chez certains de mes lecteurs : Crossover ? Keskecékeça ? Le principe est simple : les blogueurs littéraires doivent écrire un article sur un album, artiste, groupe qui leur tient à cœur, et inversement les blogueurs musicaux doivent écrire un article sur un livre ou auteur qu'ils apprécient particulièrement... Enfin, doivent, ceux qui souhaitent participer s'entend, hein, Thom ne nous met pas de révolver sur la tempe non plus ! Bref, c'est-y pas une idée qu'elle est bonne ça, le crossover ? Excellente même ! Mais à m'y essayer, je me rends vite compte que ce n'est pas évident pour moi d'écrire un article musical. Autant je trouve relativement facilement mes mots pour parler d'un livre, autant pour un disque... Bon, j'aurais pu tricher et vous réactualiser LE post musical de ce blog, le seul, l'unique contributeur à ma rubrique musique moribonde, mais ce serait tricher, et tricher, c'est pas mon genre, non, non, non, puis c'est pas bô... Bien, il faut donc que j'arrête de tourner autour du pot et que je me lance. Alors, voilà : j'adore The One AM Radio, écoutez-en un extrait ici ou là ! Woilà woilà, c'est fait !
...
Nââân, je blague ! (hûhû, il fallait bien que quelqu'un le fasse, ce fut moi. Pour les autres participants au crossover, la blague est éculée si vous voulez vous y essayer après moi !)
Bon, reprenons. Je vais donc vous parler (ou du moins essayé de vous parler) de The One AM Radio. Et comme l'on se doit toujours de rendre à César, etc... merci à Blogo Rébarbatif de m'avoir fait (re)découvrir cet artiste au nom imprononçable : Hrishikesh Hirway.
Mais tout d'abord je vais vous raconter une petite histoire : comment ai-je découvert cet artiste, groupe à lui tout seul (ou comment dévier d'un article musical pour en arriver à parler de moi et ma vie, histoire de satisfaire mon ego). Je suis une insomniaque chronique et, pour occuper mes nuits d'insomnies, j'ai ce blog et j'ai aussi le surf. Or donc, par une nuit d'insomnie, et après de multiples clics au hasard de blogs en sites internet, j'arrive, sans trop savoir comment, en pleine nuit étoilée... et découvre la pop minimaliste, intimiste et hypnotique de The One AM Radio (qui n'a jamais aussi bien porté son nom que lors de ma séance de découverte... à 1h30 du matin !). Quelques temps après, alors que je ne retrouve plus ni la référence du site en question, ni le nom du groupe, et pense avoir perdu à jamais mes violons envoûtants (Shivers), je tombe sur un article de Blogo Rébarbatif présentant l'artiste en question... Le hasard fait bien les choses tout de même !
Bref, The One AM Radio c'est donc un artiste, Hrishikesh Hirway, unique membre permanent du groupe. The One AM Radio, c’est aussi 12 albums depuis 1998 : je ne prétendrais donc pas connaître tout de The One AM Radio, loin de là ! Mais, pour ce que j'en connais, la musique de The One AM Radio fait preuve d'un sens des ambiances épurées, magnifique collection de mélodies diluées. De la folk-pop minimaliste versant autant dans l'orchestral que dans l'organique et l'électronique, le tout saupoudré, par petites touches, d'instruments à cordes ou à vents. À mi-chemin entre simplicité et raffinement distingué, les chansons sont d'une beauté placide et évidente, portées par la voix feutrée, chuchotante et émouvante d'Hrishikesh Hirway. Il s'en dégage de prime abord une sensation de monochromie qui se dément progressivement. The One AM Radio présente une sonorité caractéristique et singulière, empreinte d'une nostalgie palpable.
Pour finir j'ajouterai juste qu'après avoir frénétiquement téléchargé tous les morceaux de The one AM Radio disponibles sur le web, j'ai depuis quelques temps déjà acquis un CD avec fenêtre sur mer... ça s'appelle A Name Writ In Water, c'est magnifique, lent et mélancolique, tout ce que j'aime. Et surtout, j'insiste, allez écouter ICI le morceau Shivers, que j'adôôôre.
BlueGrey
15:10 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : musique
03/10/2007
Zoli – Colum McCann (2006)
Genre : Jolie Zoli
«Il y a des choses de l'enfance que seule l'enfance connaît. Ce dont je me souviens le plus, c'est de l'arrière de la roulotte quand, toute vêtue de rouge, je regardais défiler la route.
J'avais six ans. J'avais coupé mes cheveux très courts en taillant dedans avec un couteau. Je te le dis sans façons, il n'y a pas d'autre façon : je n'avais plus ma mère, je n'avais plus mon père, ni mon frère, ni mes sœurs, ni mes cousins. Les Hlinkas les avaient rassemblés sur la glace, ils avaient allumé leurs feux tout autour sur la rive, ils braquaient leurs fusils pour qu'ils ne s'échappent pas. Lorsqu'il a commencé à faire moins froid dans l'après-midi, les roulottes, bien obligées, se sont déplacées vers le milieu du lac. Mais la glace a fini par craquer, les roues se sont enfoncées et tout a coulé en même temps, les harpes et les chevaux. Je n'ai rien vu de tout ça, ma fille, mais j'ai imaginé, le bruit, les cris, et si bien plus tard, la musique est revenue, si notre peuple s'est relevé, si on lui a redonné un moment d'honneur et de fierté, je n'ai jamais cessé d'attendre que ma famille nous rejoigne, ma famille qui était bien morte.
Seuls Grand-Père et moi avons survécu – nous avions quitté le lac trois jours plus tôt et nous étions loin. Le silence nous attendait au retour.»
Tchécoslovaquie, années 1930 : sur un lac gelé des membres de la Hlinka, la police politique slovaque alliée des nazis, a rassemblé un groupe de gitans avant d'allumer un gigantesque brasier pour faire fondre la glace. Cette scène d'ouverture est hallucinante et hante le lecteur sur la durée du roman. Zoli, petite fille rom, survit au carnage et grandit sur les routes d'Europe de l'Est dévastée par la Seconde Guerre mondiale, élevée par son grand-père qui brave l'interdit tzigane en lui apprenant à lire et à écrire et lui raconte l'histoire de leur communauté. Une histoire chargée de drames et de sortilèges, dont elle s'inspire pour composer chansons et poèmes. Devenue femme et poétesse, Zoli sera instrumentalisée par les communistes voulant sédentariser les Tziganes, au risque de leur faire perdre leur identité. Elle sera ensuite trahie par un Anglais fou amoureux, avant d'être bannie par son propre peuple (je laisse le soin au le lecteur de découvrir pourquoi). Alors Zoli fuit son pays, traverse les frontières, se terre comme un animal pour éviter polices, pierres et crachats...
L'intention de l'auteur est claire : parabole sur l'exil, éloge de la différence, questionnement sur l'assimilation, l'appartenance, et l'ethnicité... Il décrit avec sincérité l'univers des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale et la montée du communisme en Europe de l'Est. Il greffe habilement une fiction sur une réalité, celle du peuple tzigane, dont il ressuscite l'une des figures les plus légendaires, la poétesse polonaise Papusza. Des années 1930 en Tchécoslovaquie à 2003 à Paris, Colum McCann alterne avec brio les époques, les lieux et les voix, mais c'est celle de Zoli, simple et déchirante, qui domine les autres et nous touche infiniment. Zoli, farouche héroïne de ce roman, séduit de sa voix chaude, de son tempérament de feu et de sa volonté impitoyable. Le romancier réussi à donner à son héroïne une simplicité et une vérité qui emportent l'adhésion du lecteur : on ressent l'empathie de l'auteur pour son héroïne, et ceci parfois au détriment des autres personnages, un peu sacrifiés. A tel point que son intrigue s'en ressent un peu sur la fin, l'histoire se traîne, comme si son auteur ne se résolvait pas à quitter son héroïne. Ceci, ajouté à une narration parfois "flou" et certains passages qui manquent d'épaisseur, fait que je n'ai pas été entièrement convaincue par ce roman.
Il reste que Zoli est un beau roman empreint de poésie mélancolique aux accents slaves. Un livre-hommage à un peuple et une culture méconnus et malmenés, qui sait éviter l'écueil du sentimentalisme : «A condition d'y mettre le sucre et les larmes, on leur fait avaler n'importe quoi. Ils s'en pourlèchent et, dans leur bouche, le sucre et les larmes font une pâte qu'ils appellent compassion» écrit McCann, pas dupe un seul instant ni de ses personnages, ni de l'histoire qu'il entend raconter.
BlueGrey
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Colum MacCann, Zoli, traduit de l’anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre, éd. Belfond, 2007 (2006), 328 pages, 21 €.
L'avis plus enthousiaste de Bernard du blog des livres.
12:10 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, roman, Tziganes, Seconde Guerre mondiale, Roms
01/10/2007
29/09/2007, 12h15
J'ai décompté les jours, puis les heures jusqu'à cette date, journée de notre rencontre inter-blogueuses. Pour arriver jusqu'à notre lieu de RDV, j'ai même du affronter une troupe de supporters en délire qui avait pris d'assaut mon métro, match Nouvelle-Zélande / Roumanie au stadium toulousain oblige. Compressée par une horde d'armoires à glace (pourquoi donc les supporters de rugby sont-ils tous charpentés comme des rugbymen ???), j'ai cru ne pas pourvoir sortir du métro ! Heureusement l'un d'eux a vu mon désarroi (pauvre petite chose au bord de l'asphyxie) et a joué des coudes et des épaules pour me faire gagner la sortie sans encombres (merci monsieur le charmant supporter).
Une fois la surface regagnée, je me suis dirigée vers le restaurant Numéro C et en chemin j'ai rattrapé Anjelica et Choupynette, qui est restée quelque peu perplexe devant ma nouvelle couleur de cheveux (qui c'est celle-là ?)... Tout en papotant, nous nous sommes toutes trois installées en sous-sol du restaurant, qui nous avait réservé une salle que pour nous, et nous n'avons pas tardé à être rejointes par nos condisciples : Flo, Florinette et Thierry (son mari), Chimère, Anne-Laure et YueYin. Nous étions alors au complet, Etoiledesneiges ayant eu un empêchement. Après bisous, rencontre et retrouvaille, on se lance dans la discussion : le rugby (bien sûr !), le sport à la télé, la SF, la blogosphère et les hébergeurs de blogs, le fantastique ultra-light, le comparatif des carnets de LAL... Et puis nous avons eu quelques surprises aussi : le génialissime kiki-page inédit et collector (merci Mr Kiki), le livre-échange qui me voit repartir avec La maison assassinée de Pierre Magnan (merci Flo), et merci à Florinette qui a eu la gentillesse de me prêter Les demeurées de Jeanne Benameur.
A 15h, nous quittons le restaurant, direction le Cha Yuan, très joli magasin de thé qui a permis à beaucoup d'entre nous de s'approvisionner en prévision du swap thé et littérature organisé par Loutarwen. Ensuite, passage obligé à la boutique des horreurs d'où nous avons du extirper YueYin qui a trouvé en Thierry un allié de premier ordre ! Enfin, bien évidemment, nous n'avons pu résister au magnétisme d'Ombres Blanches... Et là, je n'en dirai pas plus, vous devez bien être capable d'imaginer ce qui se produit quand une bande de LCA est lâchée dans une librairie ! Evidemment le temps a filé à toute allure et à la sortie d'Ombres Blanches nous nous sommes dirigés vers la gare pour raccompagner Chimère. Un dernier verre, quelques derniers papotages... Une bien belle journée !
Un grand merci aux blogueuses toulousaines d'avoir organisé la rencontre, j'ai été très heureuse de revoir Anjelica, Choupynette, Flo et YueYin, et ravie de rencontrer Anne-Laure, Chimère, Florinette et Thierry (assurément le grand gagnant du titre "j'ai survécu" !).
BlueGrey
Et voici les comptes-rendus d'Anjelica, Anne-Laure, Chimère, Choupynette, Flo et YueYin.
00:20 Publié dans * De tout, de rien... * | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : blogosphère