04/09/2012
Le Musée des introuvables – Fabien Ménar [2005]
Pour bien débuter ce septembre québécois, voici mon commentaire sur "Le musée des introuvables" de Fabien Ménar. J'ai initialement publié ce billet en décembe 2010, mais ce livre m'a tellement plu que je ne pouvais pas ne pas profiter de l'occasion pour vous en parler ! ;-)
En cette rentrée littéraire, toutes les librairies de la ville reçoivent dix romans publiés chez dix éditeurs différents mais portant tous le même titre, Notre pain Quotidien, et tous signés des seules initiales F. S.... Stupéfaction ! D'autant que les dix ouvrages s'avèrent tous très bons et semblent constituer les différentes parties d'une seule et même vaste œuvre ! Libraires, éditeurs, journalistes, universitaires, simples lecteurs, tout le monde se passionne alors pour "l'affaire F. S."... mais le mystère se corse encore quand deux des dix éditeurs sont victimes d'attentats explosifs !
Le lieutenant Lemaître est alors chargé de l'enquête. Irrésistible, ce flic-là ! Lettré, amateur de thé au jasmin et de subjonctifs plus-que-parfaits, il impose aux policiers de sa brigade des séances de lecture et des dissertations littéraires : « Si je puis tolérer qu'une enquête piétine, je ne juge point convenable que l'inculture nuise au travail de mes hommes. Ainsi je les soumets à un rude programme de lectures qui feraient l'envie de bien des facultés de lettres, veuillez me croire. Les grands livres aident à penser, aussi arment-ils pour les grandes enquêtes. Qu'ils les aident à mieux vivre, c'est là un vœu que je me réserve. Du reste, quel respect peuvent-ils espérer du citoyen si celui-ci trouve devant lui un agent incapable de discerner Corneille du volatile et qui confond Walter Scott avec une marque de révolver ? Quand notre monde jouira d'une police instruite et acquise aux belles-lettres, ne s'en portera-t-il pas mieux ? » (p. 197)
Et tous les protagonistes de l'intrigue sont à l'avenant ! Tous totalement excentriques, à commencer par les dix éditeurs (Danièla Fallaci la plantureuse, Alphonse Delon l'illuminé, Albert Toussaint le prosaïque, etc.). Au détour des pages, nous croisons aussi Clotilde, brillante étudiante en lettres au tempérament volcanique qui cherche à mettre un visage sur les énigmatiques initiales ; Cédidio, son amoureux transi ; l'inénarrable Flemmar Lheureux, pathétique professeur raté converti en libraire non moins minable qui fait étalage de son angoisse existentielle ; son employeur, Edouard Masson, mercantile et véreux propriétaire de la librairie du même nom... Des clochards célestes, un Saint-Toqué peintre ou gourou-guérisseur selon son degré d'alcoolémie, des bibliophiles prêts à tout pour assouvir leurs vices littéraires, une mamie comateuse, un gamin télékinésiste... Des personnages aussi divers que hauts en couleur qui entrecroisent de multiples points de vue sur une intrigue à rebondissements, endiablée et totalement déjantée !
Un polar donc, mais un polar réjouissant, porté par un style vif et maîtrisé, une écriture pétillante, et qui fait preuve d'une verve extraordinaire. C'est drôle, c'est inventif, c'est surprenant, c'est captivant... C'est un petit plaisir littéraire plein de finesse, piquant et inattendu !
______________________________
Fabien Ménar, Le Musée des introuvables, éd. Québec Amérique, 2005, 426 pages, 24,95 $.
PS : un grand merci à YueYin pour cette jolie découverte !
14:14 Publié dans => Challenge Mon Québec en septembre | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : fabien ménar, littérature québécoise, montréal, livres, librairie, enquête, meurtre, manuscrits
27/10/2011
Désolations – David Vann [2011]
Caribou Island est un îlot désert au milieu d'un lac glaciaire, en Alaska. C'est un endroit perdu à la beauté sans pitié. Après avoir élevé leurs enfants sur les bords du lac, Gary et Irène ont décidé de s'installer sur cette île, dans une cabane de rondins qu'ils construiront de leurs mains. Gary en rêve depuis toujours. Irène, en dépit d'inexplicables maux de tête qui ne lui laissent aucun répit, le suit dans son projet fou pour ne pas le perdre. Entraînée malgré elle dans l'obsession de son mari, elle le voit peu à peu s'enliser dans son projet démesuré. Leur fille Rhoda, tout à ses propres rêves de famille, devient le témoin du face-à-face de ses parents, tandis que s'annonce un hiver précoce et violent qui rendra l'îlot encore plus inaccessible...
Désolations est un roman choral où les personnages (tous assez détestables) prennent la parole chacun leur tour, chapitre après chapitre. Ils vont par couples, ou plutôt par paires, lesquelles se disloquent lentement... Car après la relation père-fils dans Sukkwan Island, dans Désolations David Vann sonde l'impitoyable univers familial et interroge le couple. Il suit plus particulièrement les dérives d'un couple à bout de souffle, Gary et Irène. Déçu par sa vie, Gary vient chercher sur son îlot désert une sorte de rédemption, une manière de se mesurer au monde pour enfin se trouver, entraînant à sa suite sa femme et, par ricochet, sa fille Rhoda. Et tant pis si sa famille se désagrège, et tant pis (ou tant mieux ?) si sa femme n'arrive plus à le suivre. Mais tandis que Gary s'enlise dans son projet chimérique, Irène tient bon, elle voit le désastre arriver, mais elle s'accroche malgré tout, et continue à le soutenir. A la dérive du couple Gary-Irène fait écho celle qui touchera bientôt le couple de Rhoda et de son ami Jim. Et les tourments des couples et leur folie entrent peu à peu en résonance avec la grandeur des décors et la fureur des éléments qui se déchaînent.
Portraits de vies déçues et de rêves brisés, Désolations dépeint les relations tumultueuses et destructrices qui parfois se nouent entre les êtres. Des êtres qui se débattent entre vérité et mensonges, reniements intimes, choix et contraintes, espoir et désillusions... Désolations explore les âmes, sonde les cœurs et les esprits jusqu'à mettre en évidence les sentiments les moins avouables, ceux que les personnages se cachent à eux-mêmes.
Désolations est le récit haletant d'une tragédie glaçante, implacable. C'est un roman fort, à l'angoisse insidieuse, qui se diffuse lentement, crescendo, jusqu'au choc d'une chute certes attendue mais de plus en plus redoutée au fil des pages.
Désolations un roman saisissant sur l'amour, et la solitude.
______________________________
David Vann, Désolations (Caribou Island), traduit de l'américain par Laura Derajinski, éd. Gallmeister, coll. Nature Writing, 2011, 296 pages, 23 €.
Du même auteur : Sukkwan Island
Ce livre m'a été envoyé dans le cadre de l'opération de Priceminister "Les matchs de la Rentrée littéraire".
16/09/2011
L'homme qui rêvait d'enterrer son passé – Neil Cross [2009]
Trop d'alcool, trop de drogue, et la fête tourne mal : Bob et Nathan se retrouve avec un cadavre sur les bras. Paniqués, terrifiés, ils décident d'enterrer la fille dans les bois. Puis c'est le silence. Quinze années durant lesquelles chacun tente d'oublier et de reconstruire sa vie. Mais un jour, Bob frappe à la porte de Nathan...
L'homme qui rêvait d'enterrer son passé est le récit d'une descente aux enfers, l'histoire d'un homme (Nathan) hanté par la culpabilité et aux prises avec les conséquences de la tragédie d'un soir qui va dévorer toute son existence.
En effet Nathan va passer sa vie à tenter de garder son secret et à essayer de ne pas se faire prendre. Entretenant un semblant de normalité sociale et professionnelle, Nathan se place pourtant en permanence au bord du gouffre, ne pouvant s'empêcher de revenir sur ce qu'il a fait. Il va additionner les mauvais choix, prendre des risques insensés et commettre quelques actions totalement déroutantes, voire malsaines. Car Nathan, complètement obsédé (et même fasciné) par ce qu'il a fait, éperonné par la peur et la culpabilité, s'enferre dans une situation intenable et se piège lui-même. Et finalement la tension, le suspens, vient justement de là : combien de temps va-t-il réussir à tenir ?
L'homme qui rêvait d'enterrer son passé est une franche réussite, porté par une écriture certes classique mais efficace et une construction déroutante. C'est un roman original et malin, un thriller singulier qui ne recèle pas de grandes scènes d'actions mais une tension psychologique permanente. Et si l'histoire commence en mode mineur, elle ne cesse de piéger son lecteur, à l'instar de ses personnages !
______________________________
Neil Cross, L'homme qui rêvait d'enterrer son passé (Burial), éd. 10/18, 2011 (2009), 357 pages, 8,20 €.
09:28 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : neil cross, polar, thriller, culpabilité, meurtre, meurtrier
13/12/2010
La Souris Bleue – Kate Atkinson [2004]
Jackson Brodie, quinquagénaire solitaire, désabusé, rouspéteur et perpétuellement flippé, est détective privé à Cambridge. Alors que la recherche des chats égarés de Madame Binky Rain constitue sans doute son enquête en cours la plus palpitante, le voilà chargé d'éclaircir trois enquêtes irrésolues : celle concernant la petite Olivia, disparue 34 ans plus tôt, au milieu de la nuit, alors qu'elle dormait sous une tente dans le jardin familial ; celle concernant Laura, une jeune femme égorgée sur son lieu de travail, un cabinet d''avocat, 10 ans auparavant ; et celle concernant Keith, probablement assassiné par sa femme à coups de hache, sous les yeux de leur fille alors bébé. Pour découvrir la vérité, Jackson Brodie va devoir remonter le cours du temps, fouiller la vie et le passé des différents protagonistes, assembler des éléments épars et faire coïncider des événements périphériques, parallèles à l'histoire principale... Découvrir la suite...
14:19 | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : kate atkinson, littérature britannique, angleterre, cambridge, enquête, dispariont, meurtre
29/11/2010
Les Nains de la Mort – Jonathan Coe [1990]
Londres, années 1990 : William, jeune pianiste, est témoin d'un meurtre commis par deux nains cagoulés. Seul témoin, donc suspect n° 1, il a juste le temps de s'enfuir avant l'arrivée de la police. Commence alors pour lui une nuit d'errance dans la ville, entrecoupée de souvenirs et de réflexions pour comprendre pourquoi et comment il en est arrivé là :
Jeune provincial monté à la capitale en quête de gloire, il végète depuis dans des groupes rock de troisième zone, entre enregistrement de titres calamiteux et concerts désastreux dans des bouges. Prisonnier d'une banlieue HLM déprimante, d'une histoire d'amour franchement bancale et d'un plan de carrière visiblement mal engagé, William sombre petit à petit dans la neurasthénie, sa vie s'empêtrant depuis des mois dans une longue série de frustrations et de malencontreux coups du sort.
Au bout de cette cauchemardesque nuit londonienne, la révélation ultime sur les auteurs du crime et leur commanditaire laisse un gout d'inachevé. Car si le style ironique et l'humour noir de Jonathan Coe font merveille, j'ai été déçue par l'histoire elle-même qui manque cruellement de profondeur et de crédibilité : l'errance de William s'apparente à une suite d'instantanés, certains cocasses, mais dépourvus de cohérence. Quant au final, il arrive en catastrophe et est lui-même assez catastrophique.
______________________________
Jonathan Coe, Les Nains de la Mort (The Dwarves of Death), traduit de l'anglais par Jean-François Ménard, éd. Gallimard, coll. Du monde entier, 2001 (1990), 228 pages, 18,29 €.
Du même auteur : Testament à l'anglaise, La Maison du sommeil & La pluie, avant qu'elle tombe.
14:32 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : jonathan coe, littérature anglaise, angleterre, londres, musique, meurtre