10/07/2007
Avant le gel – Henning Mankell (2002)
Après huit polars et 15 ans de bons et loyaux services et d'enquêtes déprimantes, l'inspecteur Wallander aurait bien voulu prendre un peu de champ et ne plus porter la misère du monde à lui tout seul mais décidemment, il y a quelque chose de pourri au royaume de Suède. Six oiseaux en flammes sont lancés au-dessus d'un lac aux abords d'Ystad : des cygnes aspergés d'essence, transformés en torches volantes. Plus tard, une tête de femme est retrouvée dans la forêt ainsi que ses deux mains coupées jointes en prière reposant sur une bible poissée de sang et aux pages griffonnées d'annotations étranges. Un gourou, une secte, des fidèles fanatiques prêts à mourir et faire mourir sur ordre : on entre vite dans l'hystérie.
De plus l'inspecteur Wallander doit composé avec sa fille Linda, jeune femme têtue, impatiente d'endosser l'uniforme de la police et de faire ses preuves, inquiète aussi de se trouver dans l'ombre du père. En attendant d'entrer officiellement en fonction, elle s'est installée chez son père et elle se lance dans une enquête parallèle.
La double enquête du père et de la fille et leur confrontation faite d'amour et de suspicion fait la qualité première de ce polar. Car pour l'histoire elle-même, si elle est glaçante et malgré la présence inquiétante des paysages, la mélancolie de l'atmosphère et le véritable sens du détail et des silences de Mankell, elle reste attendue. De plus l'intrigue avance très lentement, trop lentement à mon goût, l'enquête allant au ralenti. L'intérêt de ce polar tient donc plutôt dans le passage de relais entre le père et la fille, lui tout en incertitude bougonne, elle toute en impatiente et défiance. Kurt Wallander est toujours bien présent dans Avant le gel, père fouettard et père-poule, passant le relais mais tenant toujours les rênes, surveillant sa progéniture en éternel protecteur, maladroit devant une enfant qui lui ressemble trop.
BlueGrey
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Henning Mankell, Avant le gel (Innan frosten), traduit du suédois par Anna Gibson, éd. du Seuil, coll. Policiers, 2005 (2002), 440 pages, 22 €.
21:00 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, roman, polar, meurtre, secte, religion, Suède
15/05/2007
La Cité des Jarres – Arnaldur Indridason (2002)
Je suis LUI
Le meurtre qui inaugure ce roman est considéré par ses enquêteurs comme une affaire «typiquement islandaise». Comprendre : d'une banalité affligeante. Sauf que pas du tout ! Heureusement c'est l'inspecteur Erlendur, policier de Reykjavik, cinquantenaire divorcé, solitaire, fatigué, toujours de mauvaise humeur, mais tenace, qui enquête sur le meurtre du vieil homme dont le cadavre a été découvert dans son appartement. Et ce qui semble être un "simple meurtre", certes inhabituel en Islande où la criminalité est basse, s'avère bien vide plus complexe qu'il n'y paraissait de prime abord. En effet l'assassin a laissé un message énigmatique sur le cadavre, puis on trouve dans l'ordinateur de la victime des photos pornographiques immondes et enfin, coincée sous un tiroir, la photo de la tombe d'une enfant de quatre ans. Très vite, l'enquête révèle aussi que la victime avait été accusée de viol quarante ans plus tôt. C’est donc vers le passé que se tourne Erlendur et c'est dans le passé et dans une tragédie oubliée, que gît la clé du mystère.
Mais l'inspecteur Elendur a aussi une vie privée, et une vie privée brinquebalante : des soucis avec son ex-femme, un fils qui s'est volatilisé, une fille droguée et enceinte... De plus il a accepté d'enquêter sur la fugue d'une jeune mariée disparue pendant la cérémonie. Cette seconde enquête en parallèle est d'ailleurs franchement anecdotique et n'apporte rien à l'intrigue principale. Quant à l'intrigue principale, justement, on peut lui reprocher quelques longueurs dans une trame un peu étirée, mais ce titre reste un bon roman policier au style mesuré et pondéré, avec une touche d'autodérision (le meurtre est initialement qualifié de «bête et méchant... très islandais») et, en trame de fond, le thème de la famille et de la filiation, de la recherche génétique aussi et de ses possibles dérives.
BlueGrey
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Arnaldur Indridason, La Cité des Jarres (Myrín), traduit de l'islandais par Eric Boury, éd. Métailié, coll. Bibliothèque nordique, 2005 (2002), 286 pages, 18 €.
Du même auteur : La Femme en vert
10:45 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, roman, polar, Islande, meurtre
01/03/2007
Mystic River – Dennis Lehane (2001)
Ils sont trois gamins de onze ans habitant les Flats, quartier populaire de Boston : Jimmy Marcus la tête-brulée du trio, Sean Devine le raisonnable et Dave Boyle le suiveur. Un après-midi de bagarre, en 1975, deux hommes aux allures de flics embarquent Dave... qui ne réapparaîtra que quatre jours après, bête fauve en sursis. Vingt-cinq ans plus tard, an 2000, les trois hommes ne se fréquentent plus que vaguement. Jimmy, ex-chef de bande et taulard, s'est rangé en devenant le gérant d'un magasin d'alimentation. Dave, ex-star du base-ball, part lentement à la dérive. Et Sean, devenu policier, est miné par ses problèmes conjugaux. Comme un écho au kidnapping de Dave, l'assassinat de Katie, la fille aînée de Jimmy, va les mettre de nouveau en présence. Sean enquête, Jimmy crie vengeance, quant à Dave, rentré chez lui à trois heures du matin couvert de sang, il paraît bien suspect. Et tandis que le microcosme des Flats explose sous l'émotion et que l'odeur du sang excite les esprits, on voit le passé ressurgir, déterminant le présent.
C'est la douleur qui est le moteur de cette histoire, et non l'enquête. Plus qu'un roman policier, Dennis Lehane construit une tragédie à trois voix autour de personnages rongés par les traumatismes d'enfance et l'origine sociale, entraînés dans la spirale de la souffrance et de la colère, pris dans l'engrenage du remords et du désir de vengeance. Dennis Lehane excelle dans l'art de mettre subtilement en évidence l'individu et son humanité et de faire sentir les ambivalences de chacun. Il s'attarde sur l'individu pour mieux observer les conséquences de ses choix et le caractère irrémédiable de ses actes. Il avance dans son récit avec la conscience de l'homme qui s'interroge sur son prochain, sans le condamner : peut-on échapper à un avenir bien sombre fait de violence, de peur, de désespérance et d'innocence perdue ?
BlueGrey
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Dennis Lehane, Mystic River, traduit de l'anglais par Isabelle Maillet, éd. Rivages, coll. Rivages/Noir, 2005, 583 pages, 9,50 €.
Du même auteur : Shutter Island
12:20 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, roman, polar, Amérique, Boston, meurtre
23/02/2007
L'étranger – Albert Camus [1942]
« Aujourd'hui, maman est morte. »
Le roman se déroule en Algérie à l'époque où celle-ci est encore française. Meursault, le narrateur, un employé de bureau, va enterrer sa mère, sans larmes. Le lendemain en allant se baigner il rencontre Marie, une ancienne collègue, qui devient sa maîtresse. Puis Meursault devient l'ami de Raymond, son voisin de palier maquereau. Celui-ci l'invite à pique-niquer sur la plage, et tandis que les hommes se promènent, ils sont accostés par deux Arabes qui ont un compte à régler avec Raymond. Bagarre. Meursault regarde. Plus tard, retourné seul vers la source qui coule à une extrémité de la plage, Meursault y rencontre l'un des Arabes. L'Arabe – qui restera anonyme – sort un couteau et Mersault, qui a encore sur lui le revolver de Raymond, tire, tire encore, accablé par la chaleur et aveuglé par la lumière, la sueur et l'air brûlant.
« C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s'est tendu, et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. »
« J'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur. »
Mersault est ensuite arrêté, jugé, et condamné à mort. Au cours du procès, on lui reprochera son absence d'émotion à la mort de sa mère et sa vie insouciante après le deuil. On comprend alors qu'il est condamné à mort pour ne pas s'être conformé aux normes de sa société.
« Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine. »
Mersault, le personnage principal de L'étranger, reste mystérieux : il ne se conforme pas aux normes de la morale sociale, et semble étranger au monde et à lui-même. Il se borne, dans une narration proche de celle du journal intime, à faire l'inventaire des évènements, de ses actes, ses envies et son ennui de manière froide et distante, sans les analyser. Il se contente de retracer son existence médiocre, limitée au déroulement mécanique de gestes quotidiens et à la quête instinctive de sensations élémentaires. Ses actes semblent être dictés par les éléments naturels extérieurs plutôt que par sa volonté propre. C'est ainsi que l'assassinat de l'Arabe ne répond pas à un instinct meurtrier mais trouve son mobile dans la chaleur suffocante, le soleil éblouissant et la lumière aveuglante. Pour Mersault les événements semblent s'enchaîner de manière purement hasardeuse en une sorte de fatalité. Il vit dans une sorte de torpeur, une étrange indifférence : au moment d'agir, il note d'ordinaire qu'on peut faire l'un ou l'autre et que « ça lui est égal. »
Dans la seconde partie du roman, Meursault est emprisonné et contemple sa mort en sursis. Il est alors obligé de réfléchir sur sa vie et son sens et est plus prolixe dans l'expression de ses sentiments et de sa révolte. On perçoit alors assez clairement la répugnance de Camus face à l'injustice et la peine de mort.
L'étranger est un roman d'Albert Camus paru en 1942. Il fait partie de son «cycle de l'absurde», trilogie composée d'un roman (L'étranger), d'un essai (Le Mythe de Sisyphe) et d'une pièce de théâtre (Caligula) décrivant les fondements de la philosophie camusienne : l'absurde.
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Albert Camus, L'étranger, éd. Gallimard, coll. Folio, 1972, 185 pages, 3,50 €.
12:05 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, roman, algérie, meurtre, peine de mort