27/10/2011
Désolations – David Vann [2011]
Caribou Island est un îlot désert au milieu d'un lac glaciaire, en Alaska. C'est un endroit perdu à la beauté sans pitié. Après avoir élevé leurs enfants sur les bords du lac, Gary et Irène ont décidé de s'installer sur cette île, dans une cabane de rondins qu'ils construiront de leurs mains. Gary en rêve depuis toujours. Irène, en dépit d'inexplicables maux de tête qui ne lui laissent aucun répit, le suit dans son projet fou pour ne pas le perdre. Entraînée malgré elle dans l'obsession de son mari, elle le voit peu à peu s'enliser dans son projet démesuré. Leur fille Rhoda, tout à ses propres rêves de famille, devient le témoin du face-à-face de ses parents, tandis que s'annonce un hiver précoce et violent qui rendra l'îlot encore plus inaccessible...
Désolations est un roman choral où les personnages (tous assez détestables) prennent la parole chacun leur tour, chapitre après chapitre. Ils vont par couples, ou plutôt par paires, lesquelles se disloquent lentement... Car après la relation père-fils dans Sukkwan Island, dans Désolations David Vann sonde l'impitoyable univers familial et interroge le couple. Il suit plus particulièrement les dérives d'un couple à bout de souffle, Gary et Irène. Déçu par sa vie, Gary vient chercher sur son îlot désert une sorte de rédemption, une manière de se mesurer au monde pour enfin se trouver, entraînant à sa suite sa femme et, par ricochet, sa fille Rhoda. Et tant pis si sa famille se désagrège, et tant pis (ou tant mieux ?) si sa femme n'arrive plus à le suivre. Mais tandis que Gary s'enlise dans son projet chimérique, Irène tient bon, elle voit le désastre arriver, mais elle s'accroche malgré tout, et continue à le soutenir. A la dérive du couple Gary-Irène fait écho celle qui touchera bientôt le couple de Rhoda et de son ami Jim. Et les tourments des couples et leur folie entrent peu à peu en résonance avec la grandeur des décors et la fureur des éléments qui se déchaînent.
Portraits de vies déçues et de rêves brisés, Désolations dépeint les relations tumultueuses et destructrices qui parfois se nouent entre les êtres. Des êtres qui se débattent entre vérité et mensonges, reniements intimes, choix et contraintes, espoir et désillusions... Désolations explore les âmes, sonde les cœurs et les esprits jusqu'à mettre en évidence les sentiments les moins avouables, ceux que les personnages se cachent à eux-mêmes.
Désolations est le récit haletant d'une tragédie glaçante, implacable. C'est un roman fort, à l'angoisse insidieuse, qui se diffuse lentement, crescendo, jusqu'au choc d'une chute certes attendue mais de plus en plus redoutée au fil des pages.
Désolations un roman saisissant sur l'amour, et la solitude.
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David Vann, Désolations (Caribou Island), traduit de l'américain par Laura Derajinski, éd. Gallmeister, coll. Nature Writing, 2011, 296 pages, 23 €.
Du même auteur : Sukkwan Island
Ce livre m'a été envoyé dans le cadre de l'opération de Priceminister "Les matchs de la Rentrée littéraire".
20/10/2011
Un chasseur de lions- Olivier Rolin [2008]
Eugène Pertuiset est un pittoresque aventurier français de la fin du XIXe siècle : « vaste et rubicond », hâbleur impénitent, gros mangeur et buveur, piètre chasseur de lions, trafiquant d'armes déplorable, catastrophique inventeur d'inventions calamiteuses, magnétiseur, chercheur de trésors qui n'existent pas, funambulesque explorateur... C'est un personnage grand-guignolesque, haut en couleurs et un peu vulgaire, dont le l'auteur a découvert l'existence dans un livre acheté en Patagonie, région dans laquelle Pertuiset a mené une expédition totalement extravagante. L'auteur apprend par la suite que Pertuiset était aussi un ami de Manet, et que le peintre avait fait de lui un curieux portrait en chasseur de lions. Voici donc qui le décide a rédiger cette biographie fictionnelle, l'histoire romanesque et romancée des vies croisées de Pertuiset et de Manet.
Ce roman avait, de prime abord, beaucoup d'atouts pour me plaire : un personnage principal excentrique et "décalé" comme je les aime et un air de roman d'aventures bondissant et tonitruant. Or, la vie rocambolesque de Pertuiset est narrée avec une ironie mordante qui se teinte trop systématiquement de dédain. Au détour de longues tirades, les répliques assassines et les traits d'humour de l'auteur se font toujours aux dépens du chasseur de lions. Certes, le personnage est grotesque, chacune de ses entreprises aboutissant au fiasco, mais là où le comique aurait pu s'accompagner de tendresse pour les déconvenues de ce fanfaron pathétique mais plein de panache, l'auteur y préfère systématiquement le mépris. Facile (et cruel) de railler le benêt. Page 9, l'auteur se demande « Pourquoi Manet, "ce riant, ce blond Manet / De qui la grâce émanait", a-t-il peint ce gros lard ? ». Peut-être parce que Manet qui a, sa vie durant, gardé amitié et tendresse au bouffon Pertuiset, ne s'y est pas trompé, lui, et a su voir plus loin que le "lard" mentionné...
De plus l'auteur entrecoupe son récit par de multiples digressions, par l'évocation de souvenirs personnels et par des considérations sur le temps qui a passé, autant d'épisodes incidents qui "cassent" le rythme de récit. Et si les apartés historiques peuvent s'avérer intéressants pour certains, les souvenirs de l'auteur le sont beaucoup moins. Apprendre, par exemple, qu'il y a 25 ans de cela l'auteur, alors journaliste, arpentait le continent latino-américain et qu'il y fit la rencontre d'une jolie jeune femme... et arriva-t-il oui ou non à coucher avec elle ? Clairement, on s'en fout ! Ses questionnements pseudo-existentiels, ces atermoiements perpétuels, son auto-apitoiement continuel, on s'en contrefout !!! Enfin, la façon dont l'auteur s'interpelle à chaque page, usant de la deuxième personne de singulier, est franchement insupportable ! (« Il y a quatorze ans, tu es à Santiago. Tu possèdes encore une petite photo, la dernière, de la fille qui t'a quitté. Tu déchires cette photo en menus morceaux que tu jettes dans le Rio Mapocho […] » p. 131).
Bref, un roman assommant et bancal, avec trop de décorum stylistique qui ne mène nulle part, et un auteur-narrateur dont on ne comprend pas bien ce qu'il vient faire dans son roman.
Décevant. TRES décevant.
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Olivier Rolin, Un chasseur de lion, éd. Points, 2009 (2008), 234 pages, 6,50 €.
08:45 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : olivier rolin, littérature française, littérature contemporaine, manet, pertuiset, 19e siècle, aventurier, chasseur, lion
18/10/2011
Challenge Gilmore Girls
Je ne fais pas beaucoup de challenge car il m'est difficile de m'y tenir... Mais voilà, j'ai craqué pour celui initié par Karine, le challenge Gilmore Girls !
Il s'agit donc de lire les livres que Rory lit dans la série. Enfin, pas TOUS les livres non plus (mission impossible, Karine en a tout de même dénombré 343 !) mais au moins 3 bouquins de la liste compilée par Karine (et consultable ici) avant le 31 décembre 2012.
Voilà donc une petite sélection de ceux qui me tentent, sélection dans laquelle je viendrai piocher selon mes humeurs... et mes trouvailles en bibliothèques !
Isabel ALLENDE - La maison aux esprits
Margaret ATWOOD - Le dernier homme
Jane AUSTEN - Emma
Jane AUSTEN - Raison et sentiment
Jeffrey EUGENIDES - Virgin Suicide
William FAULKNER - Le bruit et la fureur
Jack FINNEY - Le voyage de Simon Morley
Nathaniel HAWTHORNE - La lettre écarlate
Jack KEROUAC - Sur la route
Daniel KEYES - Des fleurs pour Algernon
Stephen KING - Shining
Tony MORRISON - Beloved
Voilà ! Hâte de commencer ! :-)
14:43 Publié dans => Challenge Gilmore Girls | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : challenge, challenge gilmore girls, vie du blog
12/10/2011
Des vies d'oiseaux – Véronique Ovaldé [2011]
« Mon Dieu il me semble bien être vivante dans ma tombe. » (p. 43)
Vida Izzara est une femme un peu perdue, qui ne sait pas où est passé sa vie. Originaire d'Irogoy, la "terre d'en bas", zone pouilleuse et désolée, peuplée de créatures aux visages de chien, elle s'est hissée par son mariage avec le riche Gustavo jusqu'à la "terre d'en haut", Villanueva, et ses somptueuses maisons huppées asphyxiantes. Dans sa cage dorée, Vida contemple la vacuité de son existence et s'étiole peu à peu, surtout depuis que sa fille unique, Paloma, s'est enfuie avec Adolfo, le jardinier. Paloma et Adolfo squattent les maisons inoccupées de la colline Dollars, une manière de narguer leurs vies antérieures. Mais le lieutenant Taïbo, flic placide et mélancolique qui enquête sur ces étranges clandestins, rencontre Vida et met ses pas dans les siens, telle une ombre de plus en plus familière et sensuelle...
On retrouve dans ce roman le phrasé si particulier, un peu déconcertant, de Véronique Ovaldé : une écriture pleine d'étrangeté, des phrases amples dans lesquelles s'insèrent de multiples parenthèses, un style parfois "flou"... Le tout donne une impression d'étrangeté et de flottement entre rêve et réalité.
On retrouve aussi une certaine typologie de personnages, des caractères féminins volontaires, animés par leur quête d'un idéal : une mère, une fille, et leurs choix de vie. Mère et fille, chacune à sa manière, par la grâce d'un nouvel amour, est conduite à se défaire de ses anciens liens (conjugaux, familiaux, sociaux) pour éprouver sa liberté d'exister. Mais une fois de plus, comme dans le précédent roman de Véronique Ovaldé, Ce que je sais de Vera Candida, cet affranchissement n'est finalement atteignable qu'avec le secours d'un homme, ce qui est tout de même assez restrictif comme moyen d'émancipation !
On retrouve enfin les thèmes récurrents chers à Véroniques Ovaldé : lutte des classes, lutte des sexes, lutte des générations, transmission de mère à fille, soumission volontaire et conquête de la liberté.
Des vies d'oiseaux retisse donc, mais en mode mineur, des motifs déjà rencontrés dans Ce que je sais de Vera Candida. C'est roman tout aussi sombre et dur que le précédent, mais bien moins fantaisiste, et qui laisse une impression de désenchantement, malgré le final plutôt positif.
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Véronique Ovaldé, Des vies d'oiseaux, éd. de l'Olivier, 2011, 235 pages, 19 €.
Du même auteur : Ce que je sais de Vera Candida
13:55 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : véronique ovaldé, relations mère-fille, émancipation, amérique du sud, fugue
05/10/2011
L'adversaire – Emmanuel Carrère [2000]
Le samedi 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand tuait sa femme, ses enfants, ses parents, puis tentait, en vain, de se tuer lui-même. L'enquête a révélé qu'il n'était pas médecin à l'OMS comme il le prétendait et, chose plus difficile encore à croire, qu'il n'était rien d'autre. Il mentait depuis dix-huit ans, et ce mensonge ne recouvrait rien. Près d'être découvert, il a préféré supprimer ceux dont il ne pouvait supporter le regard.
Emmanuel Carrère raconte donc la vie insensée de cet homme qui, pendant des années, va inventer sa vie, la bâtir sur des mensonges, falsifications et escroqueries, fragile château de cartes qui finit par s'écrouler dans un drame, par l'assassinat de sa femme, de ses enfants et de ses parents. A tous, amis et famille, il a toujours menti, édifiant autour de lui et des siens un monde irréel dont l'impensable est que, dix-huit ans durant, personne ne dépassa les fragiles apparences.
« En quinze ans de double vie, il n'a fait aucune rencontre, parlé à personne, il ne s'est mêlé à aucune de ces sociétés parallèles, comme le monde du jeu, de la drogue ou de la nuit, où il aurait pu se sentir moins seul. Jamais non plus il n'a cherché à donner le change à l'extérieur.
Quand il faisait son entrée sur la scène domestique de sa vie, chacun pensait qu'il venait d'une autre scène où il tenait un autre rôle, celui de l'important qui court le monde, fréquente les ministres, dîne sous des lambris officiels, et qu'il le reprendrait en sortant.
Mais il n'y avait pas d'autre scène, pas d'autre public devant qui jouer l'autre rôle.
Dehors, il se retrouvait nu. Il retournait à l'absence, au vide, au blanc, qui n'étaient pas un accident de parcours mais l'unique expérience de sa vie. » (p.101)
Par ce texte, ce qu'Emmanuel Carrère souhaitait établir, ce qu'il « voulait vraiment savoir », c'est « ce qui se passait dans sa tête durant ces journées qu'il était supposé passer au bureau ; qu'il ne passait pas, comme on l'a d'abord cru, à trafiquer des armes ou des secrets industriels ; qu'il passait, croyait-on maintenant, à marcher dans les bois. » (p. 33)
Le texte d'Emmanuel Carrère, troublant, n'est jamais aussi fort que quand il laisse la fiction s'emparer du réel. Le personnage de meilleur ami de Jean-Claude Romand notamment est poignant dans sa stupéfaction. Les conjonctures quant à l'état d'esprit de Jean-Claude Romand paraissent aussi très "justes", ainsi que la façon dont s'est construite sa vie chimérique, comme à son insu, hors de sa volonté, hors de son contrôle, un mensonge en entraînant un autre, inéluctablement (« Comment se serait-il douté qu’il y avait pire que d’être rapidement démasqué, c’était de ne pas l’être ? »).
Emmanuel Carrère explore ainsi le psychisme de cet homme capable de se duper lui-même, capable de se laisser convaincre par ses propres mensonges, à tel point qu'il en arrive par moment à ne plus discerner lui-même où se situe la vérité.
Emmanuel Carrère évite l'écueil moraliste. Il n'émet jamais de jugement de valeur ni sur Jean-Claude Romand ni sur ses actes. Il livre les faits, bruts, en restant neutre et sobre.
Mais là où son texte m'a moins convaincue, c'est dans la façon dont, à plusieurs reprises, Emmanuel Carrère ramène ce drame à lui. Ce "je" qui s'immisce dans l'incompréhensible et qui ose le "moi aussi", m'a étonnée et gênée. Les faits sont tellement effrayants et abominables qu'il paraît aberrant de chercher ainsi à les ramener à soi. Car malgré les petits mensonges et autres lâchetés, intrinsèquement humains, que nous commettons tous et qui parsèment une vie, peut-on sincèrement se souvenir d'un seul évènement de nos vies qui puisse, même vaguement, se rapprocher de celui-ci par l'intensité de l'horreur qui le caractérise ?
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Emmanuel Carrère, L'adversaire, éd. POL, 2000, 221 pages, 17,50 €.
Du même auteur : La moustache & Un roman russe