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21/09/2011

Les années douces – Kawakami Hiromi [2001]

Les années douces, Kawakami HiromiTsukiko croise par hasard, dans le troquet où elle va boire un verre tous les soirs après son travail, son ancien professeur de japonais. Et c'est insensiblement, presque malgré eux, que se fixe un rendez-vous implicite qui devient une nécessité. Car au fil des rencontres, après un bon repas, un verre de saké, quelques mots à peine échangés, un éclat de rire... des liens se créent.

« En bonne et due forme, c'est le professeur Matsumoto Harutsuna, mai moi je l'appelle seulement « le maître ». Et encore sans majuscule, le maître, tout simplement. » (p. 5)

« Le maître et moi, nous ne nous voyons pas très souvent. C'est naturel après tout, nous ne sommes pas amants. Même quand je ne le vois pas, je n'ai pas l'impression qu'il est loin. Ce soir aussi il est présent, il ne peut pas en être autrement. »

« Depuis quand le maître et moi étions devenus si proches l'un de l'autre ? Au début, il avait été pour moi un personnage très lointain. Il représentait à mes yeux « le prof » que j'avais eu autrefois, dans un lointain passé, un inconnu, un vieux. Même après avoir échangé avec lui quelques mots, je ne savais pas quel visage il avait. C’était une présence indéfinissable à côté de moi, à ce comptoir où il buvait paisiblement son saké.
Seule sa voix est restée dans ma mémoire, dès le début. C'était une voix un peu haut placée, à laquelle se mêlaient pourtant des inflexions graves, une voix qui sonnait bien. Cette voix avait fini par affluer, pour déborder de cette présence immense et insaisissable à côté de moi au comptoir.
Quand au juste, je ne sais, en m'approchant de lui, j'en suis venue à sentir la chaleur qui émanait de son corps. Par-delà la chemise empesée, m'arrivait une odeur qui était la sienne. Une sensation de nostalgie. Cette présence que je devinais avait la forme même du maître. Une présence virile, mais tendre. Elle s'échappe quand je cherche à la saisir. La croit-on échappée qu'elle se rapproche d'elle-même. » (p. 206-207)

Il ne se passe presque rien dans ce roman, mais c'est dans se presque rien que tout se joue. Car Hiromi Kawakami a l'art d'évoquer les petits riens, les gestes discrets, les silences, les liens qui se tissent entre les êtres. Et chaque instant devient magique : la cueillette des champignons, les poussins achetés au marché, la fête des fleurs, les vingt-deux étoiles d'une nuit d'automne... Chez Hiromi Kawakami, il y a de la poésie dans le quotidien.

L'atmosphère de ce roman est étrange, fragile, évanescente ; tout n'est qu'effleurement. Le récit est lent, pudique et harmonieux. L'écriture est simple et limpide, humble, retenue, parfois grave, parfois enjouée, toujours délicate. Et on est irrémédiablement touché par cette sensible évocation de la douceur et de la précarité des choses.

Un très beau roman, tout simplement.

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e%2050.gif KAWAKAMI Hiromi, Les années douces (Sensei no kaban), traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu, éd. Philippe Picquier, coll. Picquier poche, 2005 (2001), 283 pages, 7,50 €.

Du même auteur : La brocante Nakano.

16/09/2011

L'homme qui rêvait d'enterrer son passé – Neil Cross [2009]

L'homme qui rêvait d'enterrer son passé, Neil CrossTrop d'alcool, trop de drogue, et la fête tourne mal : Bob et Nathan se retrouve avec un cadavre sur les bras. Paniqués, terrifiés, ils décident d'enterrer la fille dans les bois. Puis c'est le silence. Quinze années durant lesquelles chacun tente d'oublier et de reconstruire sa vie. Mais un jour, Bob frappe à la porte de Nathan...

L'homme qui rêvait d'enterrer son passé est le récit d'une descente aux enfers, l'histoire d'un homme (Nathan) hanté par la culpabilité et aux prises avec les conséquences de la tragédie d'un soir qui va dévorer toute son existence.

En effet Nathan va passer sa vie à tenter de garder son secret et à essayer de ne pas se faire prendre. Entretenant un semblant de normalité sociale et professionnelle, Nathan se place pourtant en permanence au bord du gouffre, ne pouvant s'empêcher de revenir sur ce qu'il a fait. Il va additionner les mauvais choix, prendre des risques insensés et commettre quelques actions totalement déroutantes, voire malsaines. Car Nathan, complètement obsédé (et même fasciné) par ce qu'il a fait, éperonné par la peur et la culpabilité, s'enferre dans une situation intenable et se piège lui-même. Et finalement la tension, le suspens, vient justement de là : combien de temps va-t-il réussir à tenir ?

L'homme qui rêvait d'enterrer son passé est une franche réussite, porté par une écriture certes classique mais efficace et une construction déroutante. C'est un roman original et malin, un thriller singulier qui ne recèle pas de grandes scènes d'actions mais une tension psychologique permanente. Et si l'histoire commence en mode mineur, elle ne cesse de piéger son lecteur, à l'instar de ses personnages !

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e%2035.gif Neil Cross, L'homme qui rêvait d'enterrer son passé (Burial), éd. 10/18, 2011 (2009), 357 pages, 8,20 €.

07/09/2011

Ce que je sais de Vera Candida – Véronique Ovaldé [2009]

Ce que je sais de Vera Candida, Véronique OvaldéQuelque part dans une Amérique du Sud imaginaire... Rose, prostituée puis pêcheuse de poisson volant, sa fille Violette, jolie et candide personne aimant un peu trop le ratafia, sa petite-fille Vera Candida, au sourire rare, que Rose élèvera pour palier aux déficiences de Violette, et enfin son arrière-petite-fille, Monica Rose, petite fée espiègle. Rose, Violette, Vera Candida, Monica Rose... Cette lignée de femmes-amazones éprises de liberté semble vouée au même destin : enfanter seule une fille et ne jamais pouvoir révéler le nom du père. Fatalité ? Déterminisme familial ? A 15 ans et enceinte d'un viol, Vera Candida tente de rompre le cercle vicieux en fuyant la pauvreté de son île natale pour le continent. Là, elle rencontre un journaliste idéaliste, Itxaga, qui tombe éperdument amoureux d'elle...

Ce que je sais de Vera Candida est un roman à la fois tragique et fantaisiste. Tragique par les sujets abordés (le manque d'amour, la fatalité, le viol, l'inceste) et fantaisiste par son style joyeusement bondissant, plein de malice et d'images inattendues. C'est un roman qui fait la part belle aux femmes, des femmes à la fois fortes et fragiles, fières et soumises, courageuses, éprises d'absolu, gonflées d'orgueil salutaire, et qui trouvent la force de s'élever face à l'intransigeance de la condition féminine. C'est un roman qui parle de transmission de mère à fille, de soumission volontaire, d'affranchissement et de liberté.

C'est un roman qui avait décidément tout pour me plaire... mais qui pourtant ne m'a pas emporté. Même si je reconnais l'originalité du style, j'y suis restée totalement insensible, pas réceptive du tout et même un peu lassée par "trop" d'effets de style qui lui confèrent un aspect "maniéré". Quant au récit en lui-même, même s'il traite de thèmes qui me sont chers (l'émancipation des femmes notamment), j'ai trouvé que les personnages principaux, tous des femmes donc, restaient assez "froids" et trop passifs, acceptant comme une fatalité leur destin.

Au final, ce roman qui aurait pu être le récit enchanté d'une émancipation m'a au contraire laissé un goût amer de désenchantement... et d'ennui.

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e%2025.gif Véronique Ovaldé, Ce que je sais de Vera Candida, éd. de l'Olivier, 2009, 292 pages, 19€.

Du même auteur : Des vies d'oiseaux