20/01/2012
La brocante Nakano – Kawakami Hiromi [2005]
La brocante Nakano est un repaire d'objets improbables ; de vieilles potiches, machines à coudre et lots de lunettes y côtoient des photos anciennes, des presse-papiers animaliers et des boîtes de billes des années 70. Sur ce bric-à-brac règne Monsieur Nakano, propriétaire de la boutique, un homme qui parle par ellipses, a une femme et des maîtresses (ses rendez-vous à la banque). Sa sœur Masayo est une artiste, elle fabrique des poupées, bavarde à tort et à travers, passe de temps à temps à la boutique et possède le don d'attirer les clients. Takeo, jeune homme silencieux, travaille comme "récupérateur" pour Monsieur Nakano et Hitomi, la narratrice (peut-être bien amoureuse de Takeo), travaille comme vendeuse à la brocante tout en relatant les multiples évènements infimes qui y prennent vie : on reçoit des clients aussi incongrus que les objets vendus, on mange des tartelettes en buvant du thé (ou des nouilles en buvant du saké), on joue son amour aux dés, et la vie s'écoule ainsi, dans un univers feutré et plein de délicatesse...
Une fois encore avec Kawakami Hiromi, il ne se passe presque rien, mais chaque instant devient magique ! Son écriture est délicate et enjouée, elle décrit avec humour les travers de ses personnages, leurs charmants ridicules, leurs tristesses sans lendemain et leurs éclats de rires... Mais à aucun moment elle ne cherche à percer leur mystère, elle tient toujours le lecteur légèrement à distance de ses personnages, comme pour ne pas les déranger. Alors, sans trop savoir où l'auteur veut nous mener, on entre dans la brocante Nakano sur la point des pieds, on est touché par la douce folie qui y règne et les mille petits bonheurs qui entrent en correspondance avec les hasards de la vie, on s'installe plus confortablement, on s'y sent bien, et on n'a plus envie d'en partir.
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Kawakami Hiromi, La brocante Nakano (Furudôgu Nakano Shôten), traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu, éd. Philippe Picquier, coll. Picquier poche, 2009 (2005), 342 pages, 8 €.
Du même auteur : Les années douces.
09:19 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : brocante, kawakami hiromi, littérature japonaise, japon
21/09/2011
Les années douces – Kawakami Hiromi [2001]
Tsukiko croise par hasard, dans le troquet où elle va boire un verre tous les soirs après son travail, son ancien professeur de japonais. Et c'est insensiblement, presque malgré eux, que se fixe un rendez-vous implicite qui devient une nécessité. Car au fil des rencontres, après un bon repas, un verre de saké, quelques mots à peine échangés, un éclat de rire... des liens se créent.
« En bonne et due forme, c'est le professeur Matsumoto Harutsuna, mai moi je l'appelle seulement « le maître ». Et encore sans majuscule, le maître, tout simplement. » (p. 5)
« Le maître et moi, nous ne nous voyons pas très souvent. C'est naturel après tout, nous ne sommes pas amants. Même quand je ne le vois pas, je n'ai pas l'impression qu'il est loin. Ce soir aussi il est présent, il ne peut pas en être autrement. »
« Depuis quand le maître et moi étions devenus si proches l'un de l'autre ? Au début, il avait été pour moi un personnage très lointain. Il représentait à mes yeux « le prof » que j'avais eu autrefois, dans un lointain passé, un inconnu, un vieux. Même après avoir échangé avec lui quelques mots, je ne savais pas quel visage il avait. C’était une présence indéfinissable à côté de moi, à ce comptoir où il buvait paisiblement son saké.
Seule sa voix est restée dans ma mémoire, dès le début. C'était une voix un peu haut placée, à laquelle se mêlaient pourtant des inflexions graves, une voix qui sonnait bien. Cette voix avait fini par affluer, pour déborder de cette présence immense et insaisissable à côté de moi au comptoir.
Quand au juste, je ne sais, en m'approchant de lui, j'en suis venue à sentir la chaleur qui émanait de son corps. Par-delà la chemise empesée, m'arrivait une odeur qui était la sienne. Une sensation de nostalgie. Cette présence que je devinais avait la forme même du maître. Une présence virile, mais tendre. Elle s'échappe quand je cherche à la saisir. La croit-on échappée qu'elle se rapproche d'elle-même. » (p. 206-207)
Il ne se passe presque rien dans ce roman, mais c'est dans se presque rien que tout se joue. Car Hiromi Kawakami a l'art d'évoquer les petits riens, les gestes discrets, les silences, les liens qui se tissent entre les êtres. Et chaque instant devient magique : la cueillette des champignons, les poussins achetés au marché, la fête des fleurs, les vingt-deux étoiles d'une nuit d'automne... Chez Hiromi Kawakami, il y a de la poésie dans le quotidien.
L'atmosphère de ce roman est étrange, fragile, évanescente ; tout n'est qu'effleurement. Le récit est lent, pudique et harmonieux. L'écriture est simple et limpide, humble, retenue, parfois grave, parfois enjouée, toujours délicate. Et on est irrémédiablement touché par cette sensible évocation de la douceur et de la précarité des choses.
Un très beau roman, tout simplement.
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KAWAKAMI Hiromi, Les années douces (Sensei no kaban), traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu, éd. Philippe Picquier, coll. Picquier poche, 2005 (2001), 283 pages, 7,50 €.
Du même auteur : La brocante Nakano.
08:58 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : kawakami hiromi, littérature japonaise, japon, tokyo, amour