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10/05/2010

Sukkwan Island – David Vann [2008]

Sukkwan Island.gifAu départ, il y a le désir d'un père désorienté qui veut se réconcilier avec la vie, et avec son fils. Jim décide donc de plaquer son existence trop morne et dissolue et d'emmener son fils de 13 ans, Roy, vivre un an sur une île sauvage d'Alaska, façon trappeur : une cabane, des outils, quelques provisions, des armes... Jouer aux Robinson volontaires. Pour quoi ? Pour un nouveau départ, pour découvrir et apprendre ensemble, pour renouer avec ce garçon qu'il connaît si mal.

Ils sont donc seuls, Jim et Roy, éloignés de tout être vivant, au milieu de la nature, superbe et inquiétante. Ils construisent un abri pour le bois, chassent, pêchent, explorent l'île, se perdent... Ils se cherchent, s'affrontent, s'engueulent, se comprennent, s'apprivoisent... Mais très vite la situation se détraque et ce qui pouvait ressembler à une belle aventure se transforme en quelque chose d'inquiétant : le père, qui pensait solder dans la solitude arctique ses échecs sentimentaux et professionnels, sanglote la nuit, et le fils, très vite, regrette sa chambre douillette, sa mère et sa sœur, supporte mal la rigueur de cette vie et son père défaillant, et ne se sent plus exister... Le huis clos entre père et fils devient obsédant et toxique, la relation entre eux se désagrège, mais la profonde dépression dans laquelle se noie Jim, sa détresse patente, son extraordinaire égoïsme, sa lâcheté inouïe, le rendent inapte à toute décision rationnelle, interdisent tout retour en arrière, jusqu'au drame : un geste désespéré, une rédemption impossible...

Un style brut, dont les phrases sobres contrastent avec la nébuleuse psychologique du père et les ténèbres du décor, une angoisse sourde qui va crescendo, un récit où, en permanence, on est dans l'attente d'événements dévastateurs, pour, à l'arrivée, roman noir, intense, violent, déroutant, troublant, émouvant, captivant, haletant, suffoquant, écœurant : tout bonnement sidérant ! Et qui vous marquera longtemps...

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e%2040.gif David Vann, Sukkwan Island, traduit de l'américain par Laura Derajinski, éd. Gallmeister, coll. Nature writing, 2010 (2008), 191 pages, 21,70 €.

Du même auteur : Désolations

07/05/2010

Un homme – Philip Roth [2006]

Un homme.gif« Ce n'est pas une bataille, la vieillesse, c'est un massacre. » (p.132)

Le narrateur, dont on ignore le nom, est un homme, un homme parmi d'autres, à la fois unique et universel. Un homme et une vie, sa vie (et celle de tout un chacun), qu'il nous livre en un long flash-back, depuis son enfance jusque dans son vieil âge, quand l'accablent la déchéance physique, la douleur, la maladie et les opérations successives, la retraite, l'ennui, la solitude, l'absence d'illusions désormais, les derniers espoirs si désespérément vains et pathétiques pour séduire, les regrets de sa vie (ses trois mariages calamiteux) et, inéluctablement, la mort au bout de la route... Car le roman commence précisément par les obsèques du héros !

Dépouillée, tragiquement lucide, cette "confession" du narrateur est déchirante. Cette angoisse, cette peur, cette attente de la fin, ce désespoir désolé, ce sentiment surtout que les vies ne sont que d'immenses gâchis, tapissées de regrets inutiles… Roman fluide, à la fois triste et léger, Un homme est une fable mélancolique et désabusée sur la mort, la terreur de la vieillesse et de la maladie.

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e%2035.gif Philip Roth, Un homme (Everyman), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par José Kamoun, éd. Gallimard, coll. Du monde entier, 2007 (2006), 152 pages, 15,50 €.

Du même auteur : La tache, Exit le fantôme & Indignation.

22/04/2010

Gatsby le Magnifique – Francis Scott Fitzgerald [1925]

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Gatsby le Magnifique.gifDans les années 1920 Nick Carraway, jeune trentenaire courtier en bourse à Manhattan, s'installe à Long Island, seul habitant d'origine modeste dans un quartier de nouveaux riches. Il y retrouve sa cousine Daisy et son mari Tom Buchaman. Il y rencontre aussi son énigmatique voisin, Gatsby, un excentrique, un homme fabuleusement riche qui possède une somptueuse propriété où il organise les fêtes les plus extravagantes où cocktails et jazz enivrent une troupe d'invités iconoclastes. Mais si Gatsby le Magnifique joue ainsi l'éblouissement par de folles dépenses, c'est pour ramener à lui Daisy, mariée à un millionnaire qui, à la différence de Gatsby, n'a pas gagné sa fortune, mais en a hérité.

« A mesure que la Terre se détache à regret du Soleil, l'éclat des lumières s'amplifie. L'orchestre joue des arrangements de légère musique jaune cocktail et le concert des voix monte vers l'aigu. Les rires se font plus francs de minute en minute, jaillissent au moindre jeu de mot avec plus d'abandon. Les groupes changent plus vite, se gonflent au passage de nouveaux arrivants, se désagrègent et se reforment, en une même respiration - et déjà se détachent les téméraires, les femmes sûres d'elles-mêmes, qui louvoient çà et là, entre les îlots les plus stables et les mieux ancrés, y deviennent pour un temps très bref le centre d'une excitation joyeuse, puis, fières de leur triomphe, reprennent leur errance, portées par le courant des voix, des couleurs, des visages, dans une lumière qui change sans cesse. » (p. 60)

« Trente ans - promesse de dix années de solitude, d'une liste d'amis célibataires qui n'ira qu'en s'amincissant, d'une réserve d'énergie qui n'ira qu'en s'appauvrissant, de cheveux qui n'iront qu'en s'éclaircissant. Mais Jordan était à côté de moi. Contrairement à Daisy, elle était assez sage pour ne pas s'encombrer, d'âge en âge, de rêves oubliés. Quand la voiture s'est engagée sur le pont, son visage s'est posé contre mon épaule avec lassitude, et le contrecoup des trente ans s'est apaisé sous la calme pression de sa main. » (p. 167)

Gatsby est un mélo rocambolesque doté d'une intrigue quelque peu artificielle qui pourrait être un mauvais scénario sans l'élégance de la prose de Fitzgerald et l'acuité de sa plume, les multiples significations contenues dans une seule de ses phrases, la dimension et l'intensité des impressions qui se dégagent d'un seul de ses paragraphes, sa faculté à capter et retranscrire en quelques mots la saveur d'une époque, l'atmosphère d'une soirée, le parfum d'une femme, la vacuité d'un sentiment...

Gatsby est aussi un roman d'amour, mais un roman d'amour où l'on ne ressent jamais l'amour, seulement l'argent qui le permet ou qui l'empêche, l'amour de l'argent. Il démontre le pouvoir destructeur de l'argent et le caractère superficiel de ceux qui le possèdent. Car dans ce roman l'argent aveugle le jugement des personnages, les mène à des actes effroyables, les rendant froids, hautains et surtout indifférents aux conséquences de leurs actes.

Gastby est ainsi une satire mordante, une fable amère sur l'opulence et la superficialité de la jeunesse nantie des années 1920, une jeunesse dorée qui vie dans un univers futile et factice, qui cherche à noyer son désespoir né de la Grande Guerre dans le jazz et l'alcool de contrebande, le luxe et les excès, l'illusion des apparences.

Gastby est parfois un livre snob, mais dont le snobisme ironique n'est qu'une échappatoire au désenchantement.

Gatsby est une chronique qui, dans une prose légère et brillante, hésite entre élégance et nonchalance...

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Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le Magnifique (The Gret Gatsby), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Tournier, éd. Grasset, coll. Les Cahiers Rouges, 2007 (1925), 218 pages, 9,20 €.

15/04/2010

Netherland – Joseph O'Neill [2008]

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Netherland.gif« Il y eut une autre silence. Je me sentais, avant tout, fatigué. La fatigue : s'il y avait un symptôme constant de la maladie qui avait touché nos vies à ce moment-là, c'était bien cet épuisement. Au travail, nous étions infatigables ; à la maison, la plus petite manifestation de vie était au-dessus de nos forces. Le matin, nous nous réveillions pour pénétrer une lassitude maligne qui semblait simplement s'être ravivée pendant la nuit. Le soir, une fois Jake mis au lit, nous mangions en silence du cresson et des nouilles transparentes que ni l'un ni l'autre n'avions la force de sortir des emballages carton ; nous allions somnoler chacun notre tour dans la baignoire ; et nous ne parvenions pas à rester éveillés le temps d'une émission de télévision. Rachel était fatiguée et j'étais fatigué. Une situation banale, certes – mais nos problèmes étaient banals, c'étaient les problèmes dont on parle dans les magazines féminins. Toutes les vies, je me souviens avoir pensé, finissent par se retrouver dans la rubrique « Conseils » des magazines féminins. »

Hans, le narrateur, est un analyste financier d'une trentaine d'années. Il est né et a grandi aux Pays-Bas, puis est parti travailler à Londres, s'y est marié avec Rachel, avant de s'installer en famille à New York. C'est au cours des mois qui suivent les attentats du 11 septembre 2001 que se déroule l'essentiel de l'action du roman : Hans vit désormais en solitaire dans la métropole traumatisée, sa femme étant retournée en Angleterre en emmenant leur petit garçon.

Désœuvré, paumé, Hans occupe son temps libre en jouant au cricket, et fait la connaissance de Chuck, un énigmatique "homme d’affaires", son double inversé. Hans est un émigré blanc originaire de la vieille Europe, Chuck est un émigré noir originaire de Trinidad. Hans est en retrait, hésitant et se laisse porter par les événements, Chuk est hâbleur et flambeur et crée l'événement. C'est sur leur passion commune du cricket que se fonde leur coup de foudre amical, qui durera quelques saisons, le temps pour Hans de reprendre le cours de sa vie, le temps pour Chuck de disparaître de façon mystérieuse...

Netherland est un roman ambitieux qui cherche à parler du monde d'aujourd'hui à travers le prisme d'une vie ordinaire saisie dans un moment de chaos. Il met ainsi en parallèle l'intime et l'époque : la crise existentielle que connaît Hans au désarroi new-yorkais post-11 septembre. Et si les déboires conjugaux d'Hans paraissent assez dérisoires rapportée à l'échelle de la secousse planétaire que furent les attentats du 11 septembre 2001, elle y est pourtant intrinsèquement liée. A travers le parcours et les pensées de Hans, spectateur dépassé d'un monde bouleversé et de sa propre vie, et à travers son émouvant tableau de New York, Joseph O'Neill sonde l'Amérique post-11 septembre, sur un constat désenchanté de désarroi et d'incompréhension du monde.

Mais si la mélancolie latente à ce roman n'est pas désagréable, on ressent aussi et surtout à cette lecture un profond ennui. Rien de franchement raté pourtant : c'est bien écrit (une écriture spontanée, des phrases longues et élégantes), bien pensé, bien construit (dans un flot de souvenirs savamment désordonnés), mais... Ça ne marche pas... Pas pour moi en tous cas.

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Joseph O'Neill, Netherland, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Wicke, Ed. de l'Olivier, 2009 (2008), 296 pages, 22 €.

12/04/2010

De sang-froid – Truman Capote [1965]

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De sang-froid.gif15 novembre 1959 : les quatre membres de la famille Clutter, des fermiers du Kansas, sont assassinés, dans leur maison. Quelques dollars et un poste de radio sont volés : un mobile qui paraît bien futile pour un tel massacre. Truman Capote, fasciné par ce fait-divers, se rend sur les lieux, mène une enquête très minutieuse, et remonte le fil de l'histoire : il rencontre et questionne les amis de la famille, les témoins, les enquêteurs... ainsi que les deux tueurs, Perry Smith et Richard Hickock, quand ils sont arrêtés, et pendant leur incarcération. En 1965, Smith et Hicock sont exécutés, et Truman Capote publie De sang-froid, sa relation de leur crime. Découvrir la suite...