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07/05/2010

Un homme – Philip Roth [2006]

Un homme.gif« Ce n'est pas une bataille, la vieillesse, c'est un massacre. » (p.132)

Le narrateur, dont on ignore le nom, est un homme, un homme parmi d'autres, à la fois unique et universel. Un homme et une vie, sa vie (et celle de tout un chacun), qu'il nous livre en un long flash-back, depuis son enfance jusque dans son vieil âge, quand l'accablent la déchéance physique, la douleur, la maladie et les opérations successives, la retraite, l'ennui, la solitude, l'absence d'illusions désormais, les derniers espoirs si désespérément vains et pathétiques pour séduire, les regrets de sa vie (ses trois mariages calamiteux) et, inéluctablement, la mort au bout de la route... Car le roman commence précisément par les obsèques du héros !

Dépouillée, tragiquement lucide, cette "confession" du narrateur est déchirante. Cette angoisse, cette peur, cette attente de la fin, ce désespoir désolé, ce sentiment surtout que les vies ne sont que d'immenses gâchis, tapissées de regrets inutiles… Roman fluide, à la fois triste et léger, Un homme est une fable mélancolique et désabusée sur la mort, la terreur de la vieillesse et de la maladie.

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e%2035.gif Philip Roth, Un homme (Everyman), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par José Kamoun, éd. Gallimard, coll. Du monde entier, 2007 (2006), 152 pages, 15,50 €.

Du même auteur : La tache, Exit le fantôme & Indignation.

09/03/2009

Le pavillon des cancéreux – Alexandre Soljénitsyne (1968)

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Le pavillon des cancéreux.gifDe prime à bord, l'ouvrage paraît austère : 430 pages qui traitent de tumeurs, sarcomes et autres mélanoblastomes, cela n'a rien d'engageant... Or, ce pavé se lit avec une étonnante facilité ! L'écriture recourt à tous les tons (l'ironie, la raillerie, l'humour, l'harangue, la méditation intérieure...) et les langages se mêlent avec autant de virtuosité que de puissance.

Dans l'URSS des années 1950, au pavillon des cancéreux, la maladie, insensible aux différentiations sociales ou politiques, fait se côtoyer des individus que tout oppose. Filles de salles, médecins, patients, par les regards croisés des personnages aux passés divers et aux idéologies distinctes, Soljénitsyne expose un échantillonnage de la société russe à un moment charnière de son histoire : les prémices de la déstalinisation, juste après la mort du "petit père des peuples". Ainsi, le camarade Roussanov, communiste convaincu, fonctionnaire obtus maniant la dénonciation, est l'exemple type de l'exploitation sans vergogne du système. Avec ses aspirations bourgeoises, il incarne l'échec de l'idéologie communiste. Quant à Kostoglotov (personnage en grande partie autobiographique) après avoir vécu les purges staliniennes, la guerre, le goulag et la relégation, il incarne toutes les victimes d'un système perverti.

Soljénitsyne multiplie les personnages, les points de vue, les détails des plus prosaïques aux plus métaphysiques, et démontre la multiplicité des destinées humaines mais leur unicité devant la mort. Face à un mal réputé incurable, chacun se dévoile, oscille entre peur, résignation, révolte, espérance... Et s'il est bien question de maladie, il y est aussi et surtout question d'humanité. Car à travers le microcosme d'une chambre d'hôpital, c'est de l'humanité entière dont Soljénitsyne nous parle, de ses rêves, de ses espoirs, de ses doutes, autour de la question obsédante de savoir « ce qui fait vivre les hommes ».

« Cela faisait six mois que je souffrais comme un martyr, j'en étais arrivé le dernier mois à ne plus pouvoir rester ni couché, ni assis, ni debout sans avoir mal, je ne dormais plus que quelques minutes par vingt-quatre heures, eh bien, tout de même, j'avais eu le temps de réfléchir ! Cet automne-là, j'ai appris que l'homme peut franchir le trait qui le sépare de la mort alors que son corps est encore vivant. Il y a encore en vous, quelque part, du sang qui coule mais, psychologiquement, vous êtes déjà passé par la préparation qui précède la mort. Et vous avez déjà vécu la mort elle-même. »

« Nous avons beau nous moquer des miracles tant que nous sommes en bonne santé, en pleine force et en pleine prospérité, en fait, dès que la vie se grippe, dès que quelque chose l'écrase et qu'il ne reste plus que le miracle pour nous sauver – eh bien, ce miracle unique, exceptionnel, nous y croyons ! »

« - Très-très bon cliché ! Très-très bon ! Il n'y a pas lieu d'opérer !
Et la malade reprenait courage : son état n'était pas seulement bon, mais très-très bon !
Or si le cliché était très bon, c'est qu'il dispensait d'en refaire un autre, et montrait de façon indiscutable les dimensions et les limites de la tumeur. C'est aussi qu'il était désormais trop tard pour opérer. »

Alors oui, les thèmes abordés sont graves et sombres, mais il se dégage de ses pages une bonhomie souriante des plus réjouissante !

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Alexandre Soljénitsyne, Le pavillon des cancéreux, traduit du russe par A. et M. Aucouturier, L et G. Nivat et J.-P. Sémon, éd. Fayard, 2007 (1968), 435 pages, 22 €.

L'avis de Cuné.

20/08/2008

La fausse veuve – Florence Ben Sadoun (2008)

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b50f7b3451e2cefd4b4e072428f05394.gif« Aujourd'hui je suis plus vieille que toi alors que j'avais neuf ans de moins que vous. »Le livre débute ainsi et plonge d'emblée le lecteur dans la perplexité : qui est "je" ? Qui est "tu" ? Qui est "vous" ? "Je", la narratrice, est-ce l'auteur elle-même, Florence Ben Sadoun, directrice de la rédaction de Première, journaliste à ELLE et chroniqueuse cinéma à France Culture ? Et cet homme tuvoyiez et voutoyez à l'envie, qui est-il ? Cet homme, c'est l'amant de la narratrice, victime il y a une dizaine d'année d'un accident vasculaire qui l'a plongé dans un coma profond et dont il est sorti atteint du "locked-in syndrome", esprit prisonnier de son propre corps. Cet homme, on finit par le deviner même si son nom n'est jamais cité, c'est Jean-Dominique Bauby, l'auteur de Le scaphandre et le papillon qu'il rédigea par battements de paupière. Derrière la destinée largement médiatisée d'un personnage, Florence Ben Sadoun raconte l'homme, son homme, et l'histoire qui leur a été volée. Ce que furent leur amour, leurs moments de bonheur, et aussi les doutes et le désespoir des tête-à-tête muets à l'hôpital. Plus qu'un roman, ce livre est un témoignage, une revendication de l'auteur afin de se réapproprié leur histoire.

Ce livre est particulièrement déroutant : tutoyant et vouvoyant dans la même phrase son amant disparu et ne le désignant jamais par son nom, sur-stylisant son écrit, juxtaposant sans chronologie des bribes éparses d'anecdotes décontextualisées, l'auteur sème le trouble et la confusion. Il est bien difficile de s'impliquer dans cette histoire décousue et de se sentir en empathie. En outre, plus que l'amour qu'elle portait à cet homme et sa douleur de l'avoir perdu, c'est la colère de l'auteur qui prédomine son récit. Son dépit et son amertume d'avoir été "écartée" de la biographie officielle de son amant, son écoeurement et son désarroi face à la récupération médiatique de leur histoire (« Qui a autorisé des inconnus qui ne t'ont jamais connu debout, ni parlant, ni touchant, à s'approprier ta vie et tes secrets, à malaxer la mienne au passage dans le sens qui les arrange, pour en faire leur œuvre ? ») et son besoin de reconnaissance, elle qui ne fut "que" la maîtresse, la fausse femme, donc aujourd'hui la fausse veuve.

Ce témoignage est fondamentalement dichotomique : d'un côté l'auteur dénonce la surmédiatisation de l'accident de son amant (articles de presse, livres, documentaires et adaptation cinématographique), d'un autre côté elle y participe de fait avec ce récit qui va forcément relancer l'attention des médias. Alors, quel est le but réel de ce livre et a qui s'adresse-t-il ? Certainement pas au lecteur lambda placé de force dans la position inconfortable du voyeur mis en accusation. Il s'agit plutôt d'une lettre ouverte à son amant disparu, entre déclaration d'amour, auto-justification et récrimination. Un exutoire, un cahier de doléances péremptoire, plein d'aigreur et passablement égocentré. Dans sa revendication certes justifiée au statut de victime du drame, l'auteur semble parfois oublier qu'elle n’a pas été la seule victime. Je ne doute pas de sa sincérité, mais son récit manque de douceur et de tendresse. C'est un trop plein de douleur, d'amertume et de ressentiment.

 

Extraits

« Un soir chaud de juin, quand tu as quitté votre femme, vous m'avez dit : "Attention, pas de blague, vous et moi, c'est pour la vie." Et ce fut pour la mort. Sans blague. »

« Alors ces inconnus que je n'aurai pas aimé croiser dans un dîner parlent de vous. Parlent de toi. Non pas du vrai toi mort depuis dix ans, mais d'un toi vulgarisé. C'est ton nom qui sonne comme une carcasse vide, devenu celui d'un personnage de film, un héros qu'ils ont l'impression de connaître. Ils en sont convaincus. Je ne le supporte pas. J'ai la chair de poule. Je ne bouge pas, j'écoute comme si mon esprit sortait de mon corps et allait s'asseoir à leur table pour entendre, décortiquer, vomir sur ce qu'ils disent. Le bruit m'empêche de tout saisir. Je réagis à des mots clés : "C'est dingue, toutes ces femmes autour de lui, il paraît qu'il avait beaucoup d'humour ? Quel drame horrible ! Moi je préférerai mourir ! Et tu as vu le dévouement extraordinaire de sa femme ?" Sa femme ? Laquelle ? Je pleure, me cache derrière mes lunettes de vue qui grossissent l'effet des larmes. Ce sont des larmes de perte, perte de mon histoire intime, des larmes de braise sur mon deuil réactivé, des larmes mouillées de tristesse infinie, qui coulent toutes seules hors de moi. Qui a le droit de nous déposséder de notre histoire en émiettant notre intimité autour d'un club sandwich ? Qui gagne quoi et surtout combien en falsifiant la réalité ? »

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Florence Ben Sadoun, La Fausse Veuve, éd. Denoël, 2008, 107 pages, 13 €.

Ce livre m'a été offert par Chez les filles et les éditions Denoël.

Les avis de FrisetteCathulu, Valdebaz et Cécile de Quoide9.

04/01/2008

Les jours fragiles – Philippe Besson [2004]

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8e2d65387a194c97cc4dd17268cc4f74.gifLes jours fragiles ce sont ces jours que l'on essaie désespérément de retenir, de faire durer encore un peu quand on sait un être cher sur le point de nous quitter. Ces jours fragiles ce sont ceux qu'Isabelle consigne dans son journal intime, les jours d'agonie de son frère adulé, Arthur Rimbaud. Car en mai 1891, après 10 ans d'exil volontaire en Abyssinie, Arthur est revenu dans les Ardennes. Jeune vieillard de 37 ans, malade, épuisé, amputé, il est venu vivre ses derniers jours au côté de sa sœur Isabelle, seul membre chéri d'une famille rigide. Découvrir la suite...