Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/08/2008

La fausse veuve – Florence Ben Sadoun (2008)

5241f3784ad62eec1a01a08d1ab59ef3.gif

 

b50f7b3451e2cefd4b4e072428f05394.gif« Aujourd'hui je suis plus vieille que toi alors que j'avais neuf ans de moins que vous. »Le livre débute ainsi et plonge d'emblée le lecteur dans la perplexité : qui est "je" ? Qui est "tu" ? Qui est "vous" ? "Je", la narratrice, est-ce l'auteur elle-même, Florence Ben Sadoun, directrice de la rédaction de Première, journaliste à ELLE et chroniqueuse cinéma à France Culture ? Et cet homme tuvoyiez et voutoyez à l'envie, qui est-il ? Cet homme, c'est l'amant de la narratrice, victime il y a une dizaine d'année d'un accident vasculaire qui l'a plongé dans un coma profond et dont il est sorti atteint du "locked-in syndrome", esprit prisonnier de son propre corps. Cet homme, on finit par le deviner même si son nom n'est jamais cité, c'est Jean-Dominique Bauby, l'auteur de Le scaphandre et le papillon qu'il rédigea par battements de paupière. Derrière la destinée largement médiatisée d'un personnage, Florence Ben Sadoun raconte l'homme, son homme, et l'histoire qui leur a été volée. Ce que furent leur amour, leurs moments de bonheur, et aussi les doutes et le désespoir des tête-à-tête muets à l'hôpital. Plus qu'un roman, ce livre est un témoignage, une revendication de l'auteur afin de se réapproprié leur histoire.

Ce livre est particulièrement déroutant : tutoyant et vouvoyant dans la même phrase son amant disparu et ne le désignant jamais par son nom, sur-stylisant son écrit, juxtaposant sans chronologie des bribes éparses d'anecdotes décontextualisées, l'auteur sème le trouble et la confusion. Il est bien difficile de s'impliquer dans cette histoire décousue et de se sentir en empathie. En outre, plus que l'amour qu'elle portait à cet homme et sa douleur de l'avoir perdu, c'est la colère de l'auteur qui prédomine son récit. Son dépit et son amertume d'avoir été "écartée" de la biographie officielle de son amant, son écoeurement et son désarroi face à la récupération médiatique de leur histoire (« Qui a autorisé des inconnus qui ne t'ont jamais connu debout, ni parlant, ni touchant, à s'approprier ta vie et tes secrets, à malaxer la mienne au passage dans le sens qui les arrange, pour en faire leur œuvre ? ») et son besoin de reconnaissance, elle qui ne fut "que" la maîtresse, la fausse femme, donc aujourd'hui la fausse veuve.

Ce témoignage est fondamentalement dichotomique : d'un côté l'auteur dénonce la surmédiatisation de l'accident de son amant (articles de presse, livres, documentaires et adaptation cinématographique), d'un autre côté elle y participe de fait avec ce récit qui va forcément relancer l'attention des médias. Alors, quel est le but réel de ce livre et a qui s'adresse-t-il ? Certainement pas au lecteur lambda placé de force dans la position inconfortable du voyeur mis en accusation. Il s'agit plutôt d'une lettre ouverte à son amant disparu, entre déclaration d'amour, auto-justification et récrimination. Un exutoire, un cahier de doléances péremptoire, plein d'aigreur et passablement égocentré. Dans sa revendication certes justifiée au statut de victime du drame, l'auteur semble parfois oublier qu'elle n’a pas été la seule victime. Je ne doute pas de sa sincérité, mais son récit manque de douceur et de tendresse. C'est un trop plein de douleur, d'amertume et de ressentiment.

 

Extraits

« Un soir chaud de juin, quand tu as quitté votre femme, vous m'avez dit : "Attention, pas de blague, vous et moi, c'est pour la vie." Et ce fut pour la mort. Sans blague. »

« Alors ces inconnus que je n'aurai pas aimé croiser dans un dîner parlent de vous. Parlent de toi. Non pas du vrai toi mort depuis dix ans, mais d'un toi vulgarisé. C'est ton nom qui sonne comme une carcasse vide, devenu celui d'un personnage de film, un héros qu'ils ont l'impression de connaître. Ils en sont convaincus. Je ne le supporte pas. J'ai la chair de poule. Je ne bouge pas, j'écoute comme si mon esprit sortait de mon corps et allait s'asseoir à leur table pour entendre, décortiquer, vomir sur ce qu'ils disent. Le bruit m'empêche de tout saisir. Je réagis à des mots clés : "C'est dingue, toutes ces femmes autour de lui, il paraît qu'il avait beaucoup d'humour ? Quel drame horrible ! Moi je préférerai mourir ! Et tu as vu le dévouement extraordinaire de sa femme ?" Sa femme ? Laquelle ? Je pleure, me cache derrière mes lunettes de vue qui grossissent l'effet des larmes. Ce sont des larmes de perte, perte de mon histoire intime, des larmes de braise sur mon deuil réactivé, des larmes mouillées de tristesse infinie, qui coulent toutes seules hors de moi. Qui a le droit de nous déposséder de notre histoire en émiettant notre intimité autour d'un club sandwich ? Qui gagne quoi et surtout combien en falsifiant la réalité ? »

______________________________

Florence Ben Sadoun, La Fausse Veuve, éd. Denoël, 2008, 107 pages, 13 €.

Ce livre m'a été offert par Chez les filles et les éditions Denoël.

Les avis de FrisetteCathulu, Valdebaz et Cécile de Quoide9.

Commentaires

je crois que beaucoup de gens ont souligné effectivement cette position inconfortable du lecteur, sommé en quelque sorte de prendre parti pour la narratrice...

Écrit par : cathulu | 21/08/2008

Nos avis se recoupent en effet étrangement... je commençais à douter de trouver une critique en accord avec la mienne sur le net. Ouf, je me sens moins seule... ;o)

Écrit par : Cécile de Quoide9 | 21/08/2008

J'était très, très tentée au départ - par le thème - qui se rapproche de mon boulot. Mais après avoir compris que c'était un peu autobiographique et après avoir lu plusieurs billets... je suis du coup beaucoup moins tentée... je pense même que je vais finir par passer!

Écrit par : Karine | 21/08/2008

Sur-style, égocentrisme, paradoxe... Vos mots évoquent tout à fait mon ressenti face à ce livre ambigu...

Écrit par : Aelys | 21/08/2008

Je n'ai pas aimé non plus ce "roman" (qui pour moi n'en est pas un) et je vois que nous sommes finalement plus nombreuses que ce que je pensais.

Écrit par : ariane | 22/08/2008

aie aie aie...tu soulèves un point intéressant: les victimes des média...qui s'épanchent dans ceux ci! c'est cela toute l'ambiguité de notre rapport aux média.

Écrit par : choupynette | 22/08/2008

Entièrement d'accord avec votre critique fort pertinente. N'ayant pas lu le livre de Dominique Bauby, mais sachant son expression limitée aux clignement de l'oeil, je n'ai pas osé pas faire le rapprochement avec lui parce que je ne connais rien de la vie amoureuse de cet homme courageux

Écrit par : sybilline | 24/08/2008

@ cathulu : exactement ! L'auteur est trop vindicative et dirigiste dans son écrit et ne nous laisse pas le choix : on DOIT se ranger de son côté. Or dans une telle histoire je ne pense pas qu'il y ait un bon et un mauvais côté, qu'il y ait d'un côté les gentils et de l'autre les méchants. Il y a simplement beaucoup de douleur que chacun appréhende comme il peut...

@ Cécile de Quoide9 : je me suis faite la même réflexion en lisant votre avis : enfin quelqu'un en accord avec moi ! Mais finalement les avis des autres blogueurs sont en règle générale assez mitigés... Bien que nous soyons sans doute les plus critiques envers ce livre.

@ Karine : personnellement, même si je ne l'ai pas aimé, je ne regrette pas d'avoir lu ce livre pour avoir le contre-point de "Le scaphandre et le papillon".

@ Aelys : Ah, ah ! Donc encore un avis réservé sur ce livre !

@ ariane : non, en effet, malgré la mention en couverture, il ne s'agit pas d'un roman, mais bien d'un récit autobiographique ou tout du moins d'une "auto-fiction".
Et finalement je pense que les avis mitigés sur ce livre sont prédominants sur la blogosphère.

@ choupynette : c'est sans doute ce paradoxe là qui m'a le plus gêné dans ce livre.

@ sybilline : à la lecture du livre je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle avec Dominique Bauby, puis quelques recherches sur le net m'ont confirmé sa relation avec l'auteur...

Écrit par : BlueGrey | 25/08/2008

celui là ne me tente pas mais alors pas du tout brrrr !!!!!

Écrit par : yueyin | 28/08/2008

Je rejoins votre club des gens qui n'ont pas aimé, voire détesté, voire carrément haï ce livre! C'est nul, trop bien écrit pour être bien écrit, égocentré à outrance, égoïste et pas littéraire pour deux balles. Je tiens juste à rappeler à Ariane qu'il y a des hommes de sexe masculin sur le blogosphère littéraire, certes peu nombreux mais présents. Je vais d'ailleurs écrire mon propre auto-roman : "La Fausse Blogueuse", ou l'histoire d'un blogueur qu'on assimilait toujours à une femme!

Écrit par : Gaël | 29/08/2008

@ yueyin : dommaaâaage ! J'aurai pu te le prêter celui-là ! :-P

@ Gaël : Ga-ël, avec nous !
Quant à ton prochain roman, "La fausse blogueuse", je suis impatiente de le découvrir ! J'espère que tu consentira à m'en dédicacer un exemplaire, hein, dis ?

Écrit par : BlueGrey | 29/08/2008

Je vais bientôt le lire et ne peux donc pas participer au débat, en tout cas ton billet est particulièrement intéressant. Comme je le disais sur un autre blog, les avis sont très contrastés, j'ai hâte de me faire ma propre opinion !

Écrit par : Lou | 22/09/2008

@ Lou : en effet les avis sont très divergents. Finalement, c'est ce qui est intéressant avec cette opération de "Chez les filles" et Denoël... Et je serai curieuse de connaître ton avis !

Écrit par : BlueGrey | 22/09/2008

mais douleur, amertume et ressentiments sont aussi le lot de sa souffrance... L'auteur ne cache rien de la traversée tragique au long cours qu'elle a courageusement menée.
Par contre je trouve que la lecture de ce livre peut mettre mal à l'aise, parce que même si les protagonistes ne sont pas cités, on sait très vite de qui il s'agit.
J'ai trouvé qu'il y avait un paradoxe qui questionne dans le fait de publier cette lettre intime à un amant perdu, dans le même temps où dans le texte on trouve décrite la souffrance déclenchée par la surexposition médiatique de ce drame.

Écrit par : sylvie | 22/09/2008

@ Sylvie : certes, douleur, amertume et ressentiments font sa souffrance, mais il est regrettable que l'auteur se soit contentée d'exprimer cela et ne nous parle pas un peu plus d'amour et de compassion.
Et j'ai relever le même paradoxe que toi !

Écrit par : BlueGrey | 23/09/2008

Les commentaires sont fermés.