30/07/2007
La Dégustation – Yann Queffélec (2003)
« Le 2 avril 1973, à Nice, Bernard Tangor épousa civilement Muriel Frichot, la fille d'un ami. Il était en bleu marine, elle en blanc, un camélia rouge à la ceinture.
« Oui », dit-elle au maire en souriant.
Elle avait dit oui. Il pensait qu'elle dirait non. Qu'elle prendrait peur et s'en irai en courant. Erreur. Cette jolie fille aux yeux noirs l'aimait. A cinquante ans, il se mariait avec une demoiselle qui fêtait le jour même sa majorité. Anniversaire et mariage - beau doublé. »
C'est l'histoire d'un homme de 50 ans et d'une jeune femme de 21 ans qui s'aiment malgré tout. Elle est jeune, belle et brillante, il est riche, cultivé et désinvolte, il est son pygmalion. Bonheur made in Côte d'Azur. Sauf que petit à petit une ombre s'immisce entre eux : le passé trouble de Michel vient éroder leur union... Découvrir la suite...
15:15 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : yann queffélec, littérature française, oenologie, collaboration, déportation, seconde guerre mondiale
23/07/2007
Un aller simple – Didier Van Cauwelaert (1994)
Il a commencé dans la vie comme enfant trouvé par erreur, volé avec une voiture. La voiture était une Ami 6 de race Citroën, alors on l'a appelé Ami 6, en souvenir. Avec le temps, pour aller plus vite, c'est devenu Aziz. Il a grandit dans une cité de Marseille, élevé par les tziganes qui l'ont volé avec la voiture. Depuis qu'il se débrouille avec les autoradios, et qu'il lui a fallu des faux papiers en cas d'arrestation, il a aussi un nom de famille : Kemal. Il se trouvait donc à Marseille en qualité de Marocain provisoire, avec permis de séjour payable à chaque renouvellement. Tant qu'à faire un faux, on aurait pu carrément lui donner la nationalité française, mais c'est vrai aussi qu'il n'avait pas voulu mettre le prix. A 19 ans, le jour de ses fiançailles avec Lila, il est embarqué lors d'une descente de police. Résultat, Jean-Pierre Schneider, un "attaché humanitaire", est chargé de le reconduire dans le pays d'où il ne vient pas, mais qui figure sur ces faux papiers : le Maroc. «Avant-hier matin, je prenais tranquillement l'apéritif de mes fiançailles, et aujourd'hui j'étais le clandestin-témoin, l'expulsé modèle qui volait vers le pays de ses faux papiers.»
L'attaché humanitaire est de bonne volonté, idéaliste et dépressif. Aziz va le trouver attachant, alors, pour ne pas le décevoir, il va enjoliver la réalité de sa vie en empruntant à une légende l'histoire de sa prétendue ville natale. Aziz raconte qu'il appartient à la tribu des hommes gris d'Irghiz, réfugiés depuis la préhistoire dans une cité interdite du Haut Atlas. Aziz et Jean-Pierre vont donc entreprendre un voyage dans le Haut Atlas, en compagnie d'une jeune guide bordelaise, à la recherche d'un paradis imaginaire.
Qu'il évoque les cités gitanes de Marseille-Nord ou les hauts-fourneaux lorrains, Didier Van Cauwelaert semble imprégné des milieux qu'il décrit. D'un problème d'actualité, il tire une fable rehaussée d'humour, une satire teintée d'émotion, une histoire humaine, l'histoire d'une amitié improbable entre un petit délinquant seul au monde et un jeune fonctionnaire idéaliste. Malgré tout, malgré les qualités que je lui reconnais, et je ne sais pas trop pourquoi, je n'ai pas accroché à ce récit, poutant couronné du prix Goncourt 1994. C'est ainsi parfois...
BlueGrey
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Didier Van Cauwelaert, Un aller simple, éd. Albin Michel, 1994, 194 pages, 13,60 €.
20:50 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, roman, Marseille, Maroc, voyage, légendes
21/07/2007
Soie – Alessandro Baricco (1996)
Soie, c'est un promesse de douceur et d'évanescence, un petit mot qui contient tout un univers... L'intégralité du roman ressemble à ce petit mot ténu et évanescent. Soie c'est, à première vue, une histoire de rien du tout, un tout petit roman, une centaine de pages, 65 courts chapitres. L'histoire ? Simple. Dans les années 1860, pour sauver les élevages de vers à soie de Lavilledieu (bourgade du sud de la France) contaminés par une épidémie, Hervé Joncour entreprend quatre expéditions au Japon pour acheter des œufs sains. La loi nippone en interdisant le commerce, il fait affaire avec le trafiquant Hara Kei et croise ainsi la mystérieuse et fascinante compagne du bandit.
Le récit des quatre voyages entrepris par Joncour est chaque fois identique. Une page pour l'aller, une pour le retour. Toujours les mêmes, à un mot près. Façon d'indiquer que l'essentiel n'est pas dans le voyage, long et monotone, mais dans ces quelques jours permettant à Joncour d'apercevoir la belle ensorceleuse. Jamais Joncour et sa belle n'échangeront une parole, juste quelques regards, d'infimes effleurements de doigts... Amour impossible qui se poursuit sans jamais avoir réellement commencé. A quatre reprises Joncour se rendra au Japon, à quatre reprises il reviendra vers son épouse, Hélène, et jusqu'au bout Joncour et Hélène recouvriront cette infidélité virtuelle, entêtante, d'un voile de silence. Et finalement, c'est Hélène qui lui offrira la plus belle preuve d'amour.
Ce qui fascine et séduit dans ce roman, ce n'est pas tant l'intrigue que l'aisance, la légèreté du style, aérien, qui tend à l'épure, plein de mystères, de non-dits, de silences et de retenu. Les personnages sont faits de désirs et de passions contenus, variation infiniment légère et subtile sur le thème de la trahison. Un très beau roman, tout en douceur et en évocations faites à mi-voix...
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Alessandro Baricco, Soie (Seta), traduit de l'italien par Françoise Brun, éd. Albin Michel, 1997 (1996), 120 pages, 12 €.
23:10 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : littérature, roman, soie, japon, voyage
19/07/2007
Le Sabotage amoureux – Amélie Nothomb (1993)
«Un pays communiste est un pays où il y a des ventilateurs»
«Aucun quotidien, aucune agence de presse, aucune historiographie n'a jamais mentionné la guerre mondiale du ghetto de San Li Tun, qui dura de 1972 à 1975.
C'est ainsi que, dès mon plus jeune âge, j'ai su à quoi m'en tenir quant à la censure et à la désinformation.
Car enfin, peut-on trouver dérisoire un conflit de trois années, auquel prirent part des dizaines de nations, et au cours duquel des atrocités aussi épouvantables furent perpétrés ?
Prétexte à ce silence des médias : la moyenne d'âge des combattants avoisinait les dix ans. Les enfants serait-ils donc étrangers à l'histoire ?»
En 1972 Amélie a 5 ans et son père, diplomate belge, est muté dans l'hideuse Chine de la Bande des Quatre. Exilée de son éden japonais, la voilà plongée dans le ghetto pour diplomates de San Li Tun. La jeune Amélie s'y épanouit grâce à la guerre d'enfants qui y fait rage pendant trois ans. La guerre lui assure même le rôle glorieux d'éclaireur sur son cheval-vélo jusqu'au jour où la rencontre de la sublime petite Elena lui fait concevoir une passion enfantin, passion suffisante pour accepter de se saboter.
«Je n'écrivais pas moi. Quand on a des ventilateurs géants à impressionner, quand on a un cheval à soûler de galops, quand on a une armée à éclairer, quand on a un rang à tenir et un ennemi à humilier, on redresse la tête et on n'écrit pas.
C'est pourtant là, au cœur de la Cité des Ventilateurs, que ma décadence a commencé.
Elle a débuté à l'instant où j'ai compris que le centre du monde, ce n'était pas moi.
Elle a débuté à l'instant où j'ai été émerveillée de découvrir qui était le centre du monde. [...]
Le centre du monde été de nationalité italienne et s'appelait Elena.»
Ce roman autobiographique, exégèse personnelle faite de narcissisme égocentrique asséné avec application devient vite lassant et même agaçant. Toutefois, malgré tout, malgré soi, le lecteur se laisse emporter par le flot des mots, par la facilité du style toujours clair, concis, précis, ciselé et par l'humour piquant : «Aux professeurs étaient dévolue une tâche surhumaine : empêcher les enfants de s'entre-tuer. Et ils y parvenaient. Il faut donc féliciter ces gens admirables et comprendre que, en de pareilles conditions, enseigner l'alphabet eût constituer un luxe saugrenu pour idéalistes fin de siècle.»
BlueGrey
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Amélie Nothomb, Le Sabotage amoureux, éd. Albin Michel, coll. Le Livre de Poche, 1996 (1993), 123 pages, 4 €.
Du même auteur : Biographie de la faim
21:30 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, roman, Chine, Pékin, enfance, autobiographie
17/07/2007
La Femme en vert – Arnaldur Indridason (2002)
Un bébé mâchouille un jouet, ce jouet c'est un os, un os humain. Puis on déterre d'un terrain vague, près de groseilliers, un squelette, enfoui là depuis bien longtemps, la main dressée comme dans un geste d'horreur. Est-ce un homme ? Une femme ? En exhumant le squelette on découvre blotti contre lui celui d'un nourrisson. Et puis il y a aussi cette énigmatique vieille femme en vert, cette femme tordue qui semble veiller sur les groseilliers. L'inspecteur Erlendur mène l'enquête à son rythme lent et obstiné, épaulé par ses deux adjoints râleurs, et tout en veillant sur sa fille camée, enceinte et dans le coma.
Pour comprendre le présent, Erlendur doit replonger dans le passé, 50 ans plus tôt, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Car le vrai sujet de ce polar (comme du précédent, La Cité des Jarres), c'est la mémoire, ce passé forcément tourmenté qui ressurgi quand on ne l'attend plus. Le récit alterne alors entre les scènes d'enquête actuelles et le tableau poignant et terrifiant, d'un réalisme glaçant, d'une famille qui vivait sous la férule d'un tyran sadique. Le lecteur est le témoin révolté mais impuissant de la cruauté physique et psychologique que l'homme exerce sur la mère, cette femme qui endure, courbe l'échine, croyant protéger ses mômes. «Toute cette souffrance et ces coups, ces bleus, ces lèvres fendues, tout cela n'est rien comparé aux tortures que l'âme endure. Une terreur constante, absolument constante, qui jamais ne faiblit...»
Erlendur fouille, remonte à la surface des horreurs familiales, se débat au milieu de vieux démons, les siens et ceux des autres. Il est entraîné là où il ne veut pas aller, dans ses propres souvenirs, ses effrois, ses lâchetés passées, ses traumatismes d'enfance, ses déchirures... sa propre histoire. Comme un écho au drame passé qu'il dévoile peu à peu au cours de son enquête, il doit faire face aux ratages et aux incompréhensions qui ont ravagé son propre foyer et qui ont entraîné sa fille dans une spirale autodestructrice.
Trois récits ne cessent donc de s'entrecroiser (l'enquête en elle-même, et les deux témoignages), trois récits dans lesquels on retrouvent les obsessions de l'auteur (disparitions, détresses, désamours, trahisons), trois récits qui se rejoindront au final, évidemment, l'un éclairant l'autre, quand la mémoires revient et que la vérité prend le dessus.
Un roman poignant et angoissant, désespéré parfois, dans lequel Indridason nous parle aussi de son attachement à son île de glace, l'Islande, où les gens peuvent disparaître comme ça, sans laisser de traces. Emportés par l'océan. Tombés dans une crevasse. Assassinés par une ombre. Recouverts d'un linceul de neige pour l'éternité. On ne sait pas. Qu'importe. On les déclare morts. On les oublie...
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Arnaldur Indridason, La Femme en vert (Grafarþögn), traduit de l'islandais par Eric Boury, éd. Métaillé, coll. Bibliothèque nordique, 2006 (2002), 298 pages, 18 €.
Du même auteur : La Cité des Jarres
19:05 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : la femme en vert, arnaldur indridason, littérature islandaise, polar, islande, violence conjugale