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07/04/2010

Gomorra, Dans l'empire de la camorra – Roberto Saviano [2006]

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Gomorra.gifDans Gomorra, Roberto Saviano, écrivain et journaliste italien, explore Naples et la Campanie dominées par la camorra, la criminalité organisée : du port de Naples, point d'entrée en Europe de la majorité des contrefaçons en provenance d'Asie, en passant par les ateliers-textiles clandestins et par les cités gangrénées par les trafics de drogues et d'armes, jusqu'à découvrir finalement avec stupeur la mainmise des mafias tant sur les activités de construction et l'immobilier que sur le "traitement" des déchets, le tout sur fond de guerres entre clans rivaux. Roberto Saviano livre une enquête témoignage ahurissante et édifiante, mettant à jour à la fois les structures économiques et territoriales du "Système", parlant de son histoire, de son fonctionnement et même de sa culture (en évoquant les femmes ou le cinéma par exemple) mais livrant aussi une formidable enquête sociologique sur la population napolitaine vivant au cœur des milieux mafieux et qui, peu à peu, s'est imprégnée de l'idéologie mafieuse, comme si elle faisait partie de son patrimoine culturel...

« Système : un mot qu'ici tout le monde connaît mais qui, pour les autres, reste encore à déchiffrer, une référence inaccessible à ceux qui ignorent quelles sont les dynamiques du pouvoir de l'économie criminelle. Le mot camorra n'existe pas, c'est un mot de flics, utilisé par les magistrats, les journalistes et les scénaristes. Un mot qui fait sourire les affiliés, une indication vague, un terme bon pour les universitaires et appartenant à l'histoire. Celui que les membres d'un clan utilisent pour se désigner est Système : « J'appartiens au Système de Secondigliano. » Un terme éloquent, qui évoque un mécanisme plutôt qu'une structure. Car l'organisation criminelle repose directement sur l'économie, et la dialectique commerciale est l'ossature du clan. » (p. 67)

« Tirer sur les vitrines n'est pas forcément un geste d'intimidation ou un message que délivrent les balles, c'est surtout une nécessité militaire. Quand de nouveaux lots de Kalachnikov arrivent, il faut les essayer, voir si elles fonctionnent, s'assurer que le canon est bien en place, que le chargeur ne s'enraie pas, se faire la main. Les hommes des clans pourraient le faire dans la campagne, tirer sur les vitres de vieilles voitures blindées, acheter des plaques de métal à mitrailler en toute tranquillité, mais ils ne font rien de tel. Ils tirent sur les vitrines des magasins, sur les portes blindées, sur les rideaux métalliques : une façon de rappeler qu'il n'y a rien qui ne puisse leur appartenir, qu'au fond tout n'est qu'une concession momentanée, qu'ils délèguent une partie de l'activité économique qu'eux seuls contrôlent réellement. Une concession, rien d'autre qu'une concession qui peut être annulé à tout instant. Mais il y a aussi un avantage indirect : les vitriers du coin qui pratiquent les meilleurs prix sont tous liés aux clans, de sorte que plus il y a de vitrines brisées, plus les vitriers y gagnent. » (p. 248-249)

« Les instituts de recherche économique du monde entier ont en permanence besoin de données afin d'alimenter chaque jour les médias et les partis politiques. Le célèbre indicateur « Big Mac », par exemple, mesure la bonne santé économique d'un pays : plus le sandwich du même nom y est cher, mieux l'économie se porte. Pour évaluer la situation des droits de l'homme, les analyses examinent le prix auquel est vendue la Kalachnikov : moins elle est chère et plus les droits de l'homme sont bafoués, l'Etat de droit gangréné, tout ce qui favorise les équilibres sociaux miné et sur le point de s'écrouler. […] Dans la mesure où elle détient une part importante du marché international des armes, la camorra fixe donc le prix des Kalachnikov, devenant ainsi, indirectement, l'instance qui évalue l'état de santé des droits de l'homme dans le monde occidental. » (p. 277-278)

« Ce n'est pas le cinéma qui observe le monde du crime pour s'inspirer des comportements les plus marquants, mais précisément le contraire. […] Le cas du Parrain [Il Padrino en version italienne] est significatif. En Sicile ou en Campanie, personne au sein des organisations criminelles n'avait jamais utilisé auparavant le terme padrino, fruit d'une traduction plus ou moins exacte de l'anglais godfather. Le mot servant à désigner un chef de famille ou un affilié a toujours été compare [c'est-à-dire à la fois le parrain au baptême et le compère]. Mais, à la suite du film, les familles mafieuses d'origine italienne installées aux Etats-Unis se mirent à utiliser le mot padrino, qui remplaça les termes compare et compariello, désormais démodés. » (p.380-381)

A mi-chemin entre le reportage et le témoignage, ce récit ne suit pas un parcours fléché : sa construction en chapitres thématiques (Le Système, La guerre de Segondigliano, Femmes, etc.) n'est pas stricte et, de digressions en anecdotes, le récit paraît parfois un peu décousu (confus même par moment, dans l'accumulation des lieux et des noms). De plus, l'auteur est loin d'appliquer à son récit le principe de neutralité journalistique ; il vire ainsi, au fil des pages, au manifeste. Car ce récit, épidermique et impliqué, est aussi l'histoire intime de Roberto Saviano, qui est né sur ces terres et a choisi l'écriture pour mener son combat contre la camorra. Loin de lui ôter de la crédibilité, cette implication de Saviano dans son sujet donne à Gomorra une grande force : on y décèle toute la hargne, le désespoir et le courage de son auteur, quand son écriture se mue en un cri : « je sais et j'ai les preuves ».

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Roberto Saviano, Gomorra, Dans l'empire de la camorra (Gommorra), traduit de l'italien par Vincent Raynaud, éd. Gallimard, coll. folio, 2009 (2006), 458 pages, 7,70 €.

05/06/2009

L'amour est à la lettre A – Paola Calvetti (2009)

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L'amour est à la lettre A.gifEmma, cinquantenaire divorcée et milanaise romantique, fatiguée de sa vie trépidante d'interprète, hérite d'une papeterie de quartier qu'elle transforme en une librairie exclusivement dédiée aux romans d'amour. Un jour, un billet glissé dans un volume, un numéro de téléphone et un prénom : Federico. Federico, son amour de jeunesse... Elle l'appelle, il répond, ils se voient, et malgré les trente ans de séparation, tout paraît simple entre eux. Évident. Si ce n'est que Federico vit à présent à New York, où il est architecte, marié et père d'une adolescente. S'ensuit une relation épistolaire d'un côté à l'autre de l'Atlantique... Et nous voici embarqués dans un roman... d'amoûûûr !

Hélas ! Cette relation à distance par lettres interposées sonne indubitablement faux. En effet certaines lettres de Federico s'apparentent plus à des cours magistraux d'architecture qu'à des missives d'amoureux. Et dans celles d'Emma, le recours systématique aux références littéraires est parfois bien maladroit. De plus, après leur première escapade à Belle-Ile-en-Mer, les lettres deviennent répétitives, l'histoire stagne, s'essouffle, jusqu'au revirement final, tout de même attendrissant.

Toutefois, entre les missives échangées, se glissent des parties narratives : les monologues intérieurs d'Emma qui raconte son métier, ses amis, son fils et surtout, sa librairie ! Les scènes de vie dans la librairie (ses employés, ses fidèles lecteurs, ses voisins, et tous les micro-événements qui occupent une journée) sont sans contexte le sujet le plus attachant de ce roman. Car la librairie d'Emma n'est pas une librairie comme les autres, sa librairie, c'est bien plus qu'une librairie ! C'est un cocon, un lieu intimiste, chaleureux, douillet, où on peut prendre son temps sans être harcelé par un vendeur car la personne qui entre n'est pas considérée comme un "client" mais comme un "lecteur". Un lieu privilégié où l'on peut se pelotonner dans un vieux fauteuil pour déguster quelques pages et un thé... Et puis, quel bonheur de fureter dans ses rayons aux noms évocateurs : « Brèves amours » pour le rayon consacré aux nouvelles, « Così fan tutti » pour les livres érotiques, « Amours du jour » pour les nouveautés, ou encore « Maintenant et pour l'éternité », « Cœurs brisés », « Missions impossibles »... Oui, une belle invention que cette libraire-là ! On souhaiterait qu'elle existe vraiment !

Re-hélas ! Alors qu'Emma dit mépriser la course au profit et fustige le marketing et ses dérives, elle transforme petit à petit son lieu de paix en vulgaire "concept store" où elle vend des DVD et des magnets, des fleurs et des parfums... Elle cède ainsi bien facilement aux sirènes du "merchandising" qu'elle décrie pourtant avec verve dans tout le roman ! Et puis, la "succes story" conte de fée de sa librairie-auberge-hôtel, franchement, on peine à y croire, c'est "too much" !

Enfin, pour finir sur une petite touche plus positive, il est agréable de se balader entre ces pages de Milan à New York en passant par Belle-Ile-en-Mer...

Un roman inégal donc, mais sympathique.

PS : il me FAUT, il me faut ABSOLUMENT une tasse «Chuuut... Je lis» !

PS 2 : j'ai ouvert se livre en me disant : chouette, un roman épistolaire ! J'aime bien ça moi, les romans épistolaires ! Mais en y réfléchissant bien, en guise de roman épistolaire, je crois n'avoir jamais lu que Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos... Et j'ai beau creuser mes petits méninges, aucun autre titre ne me vient à l'esprit... Vous en connaissez d'autres, vous, de romans épistolaires ?

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Paola Calvetti, L'amour est à la lettre A (Noi due come un romanzo), traduit de l'italien par Françoise Brun, éd. Presses de la Cité, 2009, 379 pages, 20 €.

Les avis de Karine :), YueYin, Cuné et Pom'.

Merci à Chez les filles et aux éditions Presses de la Cité de m'avoir envoyé ce livre.

20/04/2009

Morts et remords – Christophe Mileschi (2005)

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Morts et remords.gif« Je suis vieux, bientôt je vais mourir. J'ai passé toute ma vie adulte à me taire. J'ai écrit des pages par milliers : des poèmes, des essais, des articles, des nouvelles, des romans, des esquisses de tout et de rien, des pièces et des ébauches de pièces, des textes pour la radio, des fabliaux, des pamphlets, des lettres, des journaux de bord, et encore des poèmes, des nouvelles, des romans... Mais je n'ai pas pu dire l'essentiel, la seule chose qui me faisait écrire. Elle est restée en travers de ma gorge. J'aurai parfois voulu me la trancher, la gorge, y plonger mes deux mains pour fouiller et tirer de là-dedans ce nœud, ce morceau à cracher qui ne voulait pas qu'on le crache, ce cri. »

Ce premier livre de Christophe Mileschi est aussi le dernier de son narrateur, Vittorio Alberto Tordo, écrivain italien qui, au soir de sa vie, se repent de n'avoir su écrire la vérité et d'avoir passé sous silence l'essentiel, à savoir sa participation active à des engouements collectifs meurtriers (guerre de 14-18, fascisme, guerres coloniales, lois raciales...). Découvrir la suite...