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02/12/2009

L'affaire de Road Hill House – Kate Summerscale [2008]

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L affaire de road hill house.gifAu matin du 30 juin 1860, dans une maison de maître de la campagne anglaise, la nurse de la famille Kent s'aperçoit de la disparition du petit Saville, 3 ans, enlevé dans son lit pendant la nuit. Dans la matinée on retrouve l'enfant, égorgé, dans les latrines. Seul un habitant de la grande demeure a pu commettre le crime : les parents du petit garçon, les frères et sœurs ainés, nés du précédent mariage du père, ou les domestiques. Une douzaine de suspects en tout et pour tout. L'énigme aurait du être rapidement résolue, ce ne fut pas le cas...

Voici le début de l'une des affaires criminelles demeurée parmi les plus célèbres de l'histoire judiciaire anglaise, et c'est aussi le point de départ de ce livre, à la fois roman policier, enquête historique sur les débuts de l'investigation policière, enquête littéraire sur l'émergence au milieu du XIXe siècle de la littérature policière et l'essor de la presse, et réflexion sur la société anglaise victorienne. Un livre extrêmement riche donc, pour lequel Kate Summerscale s'est immergée à la fois dans les archives policières de l'enquête et dans la presse populaire enflammée de l'époque. Et si les péripéties des investigations servent de fil conducteur au récit, Kate Summerscale restitue les faits dans un tableau plus vaste et passionnant. Elle revisite et dissèque l'événement et ses conséquences, tant sociales que littéraires, en une fascinante enquête sur l'enquête !

Ce qui m'a plus particulièrement plu et intéressé dans ce livre, outre la minutie implacable avec laquelle il retrace les faits, c'est la façon dont il met en parallèle cette affaire et le roman policier anglais naissant, combien les romanciers d'alors se sont passionnés pour cette enquête et comment ils s'en sont emparés. Ce drame nourrit ainsi, par exemple, Pierre de lune, de Wilkie Collins, considéré comme LE roman fondateur de la littérature policière, mais aussi des ouvrages de Dickens, de Mary Elizabeth Braddon (Le Secret de Lady Audley), et même Le tour d'écrou d'Henry James. Car l'affaire de Road Hill House voit intervenir un nouveau personnage dans la société et l'imaginaire anglais : le détective ! En effet le détective était alors d'invention récente. Le premier limier fictif, Auguste Dupin, apparut en 1841 dans Le double assassinat dans la rue Morgue d'Edgar Allan Poe, et c'est l'année suivante que les premiers véritables détectives du monde anglophone furent nommés par la London Metropolitan Police. Le policier qui enquêta sur le meurtre de Road Hill House, le très intuitif inspecteur principal Jonathan Whicher de Scotland Yard, était au nombre des huit hommes qui formaient cette toute nouvelle unité.

En outre, la totalité des éléments permettant la résolution de l'énigme, que conjectura pourtant Whicher au moment de l'affaire, sans pouvoir étayer sa conviction de preuves, ne devait être connue que de nombreuses années après les faits. C'est ainsi que, pour l'Angleterre, le meurtre de Road Hill House devint une sorte de mythe, une fable ténébreuse sur la famille victorienne et les dangers de l'investigation policière...

Un livre très prenant et absolument fascinant !

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Kate Summerscale, L'affaire de Road Hill House (The Suspicions of Mr Whicher: or the Murder at Road Hill House), traduit de l'anglais par Éric Chédaille, Christian Bourgeois Editeur, 2008, 523 pages, 25 €.

28/08/2009

Silas Marner – George Eliot (1861)

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Silas Marner.gifInjustement accusé de vol, trahi par son meilleur ami, abandonné par la jeune femme qu'il aime, le tisserand Silas Marner quitte la ville pour s'établir dans la petite communauté campagnarde de Ravenloe. Pendant 15 ans, il va vivre reclus chez lui, à bonne distance des autres villageois qui éprouvent quelque méfiance à son égard, à tisser et à amasser de l'or. Mais un jour son pécule lui est dérobé : la perte de son trésor et l'arrivée dans sa vie d'une petite fille abandonnée vont lui enseigner ce qu'est la vraie richesse et sa propre valeur. Parallèlement, les Cass, la famille la plus aisée de la région, connaissent également quelques aléas : l'ainé, Godfrey, possède un lourd secret qui pourrait compromettre son mariage avec la jolie Nancy Lammeter, et le cadet, Dunstan, en profite pour soutirer à son frère de quoi financer sa vie dissolue.

George Eliot (de son vrai nom Mary Ann Evans) est considéré comme l'un des plus grands romanciers anglais du XIXe siècle, dans la lignée des auteurs réalistes. Et en effet elle décrit superbement société rurale anglaise victorienne : elle dépeint avec talent la communauté villageoise de Raveloe et les us et coutumes de l'époque, ainsi que les différentes classes sociales et leurs relations. J'ai aimé son sens de l'observation, ses descriptions précises, concrètes et réalistes du milieu provincial et rural, ses portraits habilement croqués de paysans, de même que sa critique de mœurs, fine et sensible. Ainsi, tous les passages où apparaissent les habitants du village (à l'auberge, les invités du bal...) sont à la fois plein de vérité et de drôlerie, sans être caricaturaux.

Mais la tendance moralisatrice de l'histoire compromet le charme de cette œuvre. En effet, le récit est doublé de commentaires interstitiels et de considérations abstraites qui empâtent et étouffent la narration. De plus, les préceptes énoncés sont péremptoires et banals : la richesse matérielle n'est rien en comparaison de l'amour ; un ordre supérieur indéfini (la providence ? Dieu ?) veille a ce que les bons soient récompensés et les méchants punis ; les épreuves traversées peuvent être l'occasion d'un rachat ou la condition même d'un bien ultérieur... Ce symbolisme moraliste simpliste un brin naïf plombe le récit qui, sans cela, aurait pu rester plaisant.

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George Eliot, Silas Marner, traduit de l'anglais par Pierre Leyris, éd. folio, 1980 (1861), 314 pages.

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Un livre proposé par Keisha.
Les avis de Chimère, Pascale, Yoshi73, Restling, Leiloona & Isil.

13/01/2009

Crime Song, La ballade de Billy Porter - Jake Arnott (2001)

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Crime song.gifLondres, années 60 : trois policiers sont abattus de sang-froid. Autour de ces meurtres naviguent Billy la petite frappe pris dans l'engrenage de la violence, Frank le flic ambitieux qui vogue en eaux troubles et Tony le dépravé, journaliste à scandales à la dérive. De l'effervescence psychédélique des swinging sixties à la brutalité de la période Thatcher des années 80, on suit l'évolution en chute libre de ces trois personnages sur près de 20 ans. L'auteur nous plonge avec habileté dans un maelstrom nauséabond fait de brumes londoniennes, rues sombres et sinueuses, odeur d'alcool, bistrots mal famés, trafics divers, flics corrompus, petits malfrats et pute troublante.

Un polar de facture classique mais efficace avec, au-delà de l'intrigue policière, en filigrane, l'évocation du malaise d'une société en métamorphose : libération des mœurs, mouvements pacifistes, grèves des mineurs, émeutes, répression policière, corruption... En cette période trouble, il y a quelque chose de pourri au royaume d'Angleterre...

Crime Song est le deuxième volet de la trilogie policière de l'écrivain anglais Jake Arnott après Crime Unlimited et avant True Crime, mais peut se lire indépendamment des deux autres volets.

 

BlueGrey

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Jake Arnott, Crime Song, La ballade de Billy Porter, traduit de l'anglais par Colette Carrière, éd. Passage du Marais, 2003, 308 pages, 21 €.

22/09/2007

La Maison du sommeil - Jonathan Coe (1997)

f4fdf295186f6ed143ecc69c460345c3.gifSarah la narcoleptique, Gregory le manipulateur, Veronica la passionnée, Robert l'amoureux transi, Terry le cinéphile se sont croisés dans les années 1980 à Ashdown, alors résidence universitaire (dans les chapitres impairs). Aujourd'hui, juin 1996 et chapitres pairs, leurs destins ont divergé et Ashdown est devenue une clinique où le Docteur Dudden étudie les troubles du sommeil. Deux époques, un lieu (l'inquiétante demeure d'Ashdown, perchée sur une falaise des côtes anglaise), et les mêmes personnages qui se croisent, s'interpellent, se reconnaissent ou s'ignorent... à 12 ans d'intervalle.

Le procédé donne parfois l'impression de lire deux histoires différentes en parallèle, deux histoires qui bien sûr finiront par n'en faire qu'une et par prendre sens au final. Jonathan Coe excelle dans l'art de parsemer des indices dans d'infimes détails, il enchevêtre lieux, personnages, époques et événements. L'histoire bondit d'une époque à l'autre et perd les personnages en cours de route pour mieux les retrouver quelques chapitres plus loin. Et c'est un régal de se sentir parfois un petit peu perdu, de chercher des indices dans la moindre anecdote et, au fil des pages, de recomposer l'histoire petit à petit, de découvrir peu à peu tout ce qui s'est passé autrefois et tout ce qui se passe actuellement : des événements plus ou moins étranges où il est question de sommeil, d'identité et d'amour.

La grande force de ce roman en sont les personnages, aussi puissants que singuliers dans leur bonté, leur folie, leur sentiment, leur abjection. Des caractères entiers, forcément troublants, qui ont tous une étonnante capacité d'introspection et qui, par le truchement de leurs tourments et de leurs doutes, nous questionnent : jusqu'où aller par amour ?

La Maison du sommeil est un roman de distraction, moins virulent à l'égard de la société anglaise et moins agressif envers le pouvoir que Testament à l'anglaise, mais avec toujours une veine critique (du scientisme borné et de la libéralisation du système de santé) éclairée de petites touches d'humour bienvenues. Jonathan Coe, ne manquant ni d'idées ni de mots, a fait de ce récit un concentré romanesque qui mêle imagination et style. Sa virtuosité réussit à nous rendre crédibles les situations les plus improbables même lorsque son récit flirte avec l'invraisemblable. Il signe ici un divertissement délectable et surprenant.

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e%2040.gif Jonathan Coe, La Maison du sommeil (The house of sleep), traduit de l'anglais par Jean Pavans, éd. Gallimard, coll. folio, 2006 (1997), 463 pages, 7,70 €.

Du même auteur : Les Nains de la Mort, Testament à l'anglaise & La pluie avant qu'elle tombe.

12/09/2007

84, Charing Cross Road - Helene Hanff (1970)

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Heureux le lecteur qui ne connaît pas encore ce court récit épistolaire, heureux celui qui le découvre pour la première fois ! Car personne ne peut résister à l'enchantement de cette histoire d'amitié/amour qui unit, il y a bien des années et par-delà l'océan, Helene et Frank.

a6da9308e61b0e4f8c2218cd9bdcc47f.gifLe 5 octobre 1949 Helene Hanff, "écrivain sans fortune" New-yorkaise, écrit pour la première fois à la librairie Marks & Co, 84, Charing Cross Road, Londres, afin de se procurer des livres introuvables en Amérique. S'engage alors une étrange correspondance entre les Etats-Unis et l'Angleterre, entre cette femme, libre de caractère et de propos, amoureuse de la littérature, et les employés de la librairie, un peu engoncés dans leurs obligations professionnelles. Pendant vingt ans l'extravagante Helene et Frank Doel le libraire flegmatique s'écriront, sans jamais se rencontrer. Et alors que Frank Doel reste circonspect et protocolaire, du moins dans un premier temps, Miss Hanff est passionnée et généreuse, ses lettres sont plus familières, enlevées, drôles et tendres, ses propos vifs et gentiment piquants, plein d'esprit et de répartie, et toujours empreints d'un amour fou pour la littérature et l'objet livre.

Cette correspondance est forcément parcellaire mais ces quelques 80 lettres constituent une courte histoire toute personnelle de la littérature, principalement anglo-saxonne, et un petit traité à l'usage du lecteur bibliophile amateur. Je me permets d'ailleurs une parenthèse en guise d'avertissement auprès de mes collègues LCA : ce livre ne fera qu'aggraver votre pathologie... A lire avec stylo et carnet à portée de main afin de noter compulsivement toutes les références qui foisonnent et qui ne pourront que vous pousser au vice !

Et je ne peux évidemment pas résister au plaisir de vous en faire partager quelques extraits :

le Stevenson est tellement beau qu’il fait honte à mes étagères bricolées avec des caisses à oranges, j’ai presque peur de manipuler ses pages en vélin crème, lisse et épais. Moi qui ai toujours eu l’habitude du papier trop blanc et des couvertures raides et cartonnées des livres américains, je ne savais pas que toucher un livre pouvait donner autant de joie. p 9

Pourriez-vous désormais traduire vos prix ? Même en américain, je ne suis pas très forte en calcul, alors maîtriser une arithmétique bilingue, ça tiendrait du miracle ! p 9

J'adore les livres d'occasion qui s'ouvrent d'eux-mêmes à la page que leur précédent propriétaire lisait le plus souvent. Le jour où le Hazlitt est arrivé, il s'est ouvert à «Je déteste lire des livres nouveaux» et je me suis exclamée «Salut, camarade !» à l'adresse de son précédent propriétaire, quel qu'il soit. p 13

j'en suis réduite à écrire des notes interminables dans les marges de livres qui ne sont même pas à moi mais à la bibliothèque. Un jour ou l'autre ils s'apercevront que c'est moi qui ait fait le coup et ils me retireront ma carte. p 16

Le Newman est arrivé il y a presque une semaine et je commence à peine à m'en remettre. Je le garde sur mon bureau auprès de moi, toute la journée, et de temps en temps j'arrête de taper à la machine pour allonger la main vers lui et le toucher. p 25

Cher Eclair, Vous me donnez le tournis à m'expédier Leigh Hunt et la Vulgate comme ça, à la vitesse du son ! Vous ne vous en êtes probablement pas rendu compte, mais ça fait à peine plus de deux ans que je vous les ai commandés. Si vous continuez à ce rythme-là vous allez attraper une crise cardiaque. p 43

M. de Tocqueville vous envoie ses compliments et me prie de vous annoncer qu'il est bien arrivé en Amérique. Il reste assis là, avec un air supérieur parce que tout ce qu'il a dit se révèle exact, en particulier le fait que les hommes de loi sont les maîtres de ce pays. p 90


Un tout petit livre-bijou, précieux et rare, frais, léger, tendre, drôle, délicat, savoureux et joyeux. Absolument délicieux !

 

BlueGrey

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Helene Hanff, 84, Charing Cross Road, traduit de l'anglais par Marie-Anne de Kisch, éd. Autrement Littérature, 2001 (1970), 113 pages, 12,20 €.

Allie, Papillon, YueYin, Chimère, Frisette, BMR & MAM, Choupynette... tout le monde aime ce livre ! (Sauf Thom !)

Du même auteur : La duchesse de Bloomsbury Street