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30/08/2007

Mémoires de Géronimo – recueillis par S. M. Barrett (1906)

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fa1f7baeeb076cae28a811b25a600beb.gifEn 1904, S. M. Barrett, «inspecteur général de l'éducation» de Lawton (Oklahoma), rencontra un vieil Indien, prisonnier de guerre et déporté loin de son Arizona natal, à Fort Sill, où il terminait ses jours en cultivant des pastèques et en vendant des photos à son effigie : il s'agissait du célèbre chef Apache Chiricahua Go Khla Yeh, surnommé Géronimo, qui avait tenu en respect, des années durant, les troupes des États-Unis. Et Géronimo accepta de lui raconter sa vie... C'est ainsi qu'aujourd'hui nous pouvons lire ce document, ce témoignage irremplaçable venant du camp des vaincus sur le génocide des Indiens d'Amérique qui marqua la «conquête de l'Ouest».

Il y eut, naturellement, des atrocités commises des deux côtés pendant cette «Longue Agonie» du peuple indien, et Géronimo ne les élude pas. Mais il raconte aussi le mode de vie des Chiricahuas : comment, dès l'enfance, les Chiricahuas élèvent leurs enfants mâles pour qu'ils deviennent forts et rapides, pour en faire des pilleurs de convois, habiles à se cacher et à s'esquiver, et des ennemis implacables de tout individu qui n'appartient pas à la tribu, car les Apaches vivent d'"expéditions" (ou plutôt de pillages). Mais les Apaches détiennent aussi l'héritage inestimable de ceux qui vivent si proche de la nature qu'ils ne peuvent jamais oublier qu'ils en font partie et qu'elle fait partie d'eux. Et c'est la combinaison de ces traits culturels, guerre éclair et attachement immuable à la terre, qui permit aux Chiricahuas d'éviter la rédition ultime pendant plus de dix ans.

Quant à l'exactitude de l'ensemble, il est évident que Géronimo a choisi de ne pas tout dire : son récit comporte de nombreuses lacunes et omissions. J'ai regretté notamment qu'il n'en dise pas plus sur la culture Chiricahua, sur sa vie familiale et sur ses relations parfois conflictuelles avec les autres chefs de guerre indiens. En fait Géronimo fait plutôt la chronique de ses combats, il nous livre un récit de guerre. Il ne faut pas oublier que Géronimo est prisonnier de guerre quand il fait ce récit, et s'est aussi un homme qui regrette, à la fin de sa vie, de s'être rendu. Ces Mémoires de Géronimo sont donc l'un des rares textes que l'on puisse opposer à tout le folklore de la conquête de l'Ouest, et c'est toute l'épopée des derniers Apaches qui revit dans ces pages écrites avec un dépouillement qui en rend les détails plus poignants.

  

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S. M. Barrett, Mémoires de Géronimo, éd. La Découverte, coll. La Découverte/Poche, 2001 (1906), 174 pages, 6,50 €.

04/07/2007

1275 âmes – Jim Thompson (1964)

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b2dcec4c4536408d957b7e723f41fec8.gifNick Corey est le shérif d'un patelin nommé Pottsville, patelin peuplé de 1275 âmes damnées, saoulards, feignasses, fornicateurs, salopiaux de tout acabit qui vivent dans le sang, le stupre et les invectives. De plus, son épouse est une harpie, son beau-frère est débile, sa maîtresse insatiable l'épuise, la femme qu'il aime le snobe, et les maquereaux locaux lui manquent de respect. Alors, si jusqu'ici il s'est contenté de plaisanter et de regarder de l'autre côté quand il se passe quelque chose, il décide soudain que cela doit cesser : «"Nick Corey, tu vas finir par tourner en bourrique à force de te tourmenter. Y a pas, faut voir à remédier à ça, Nick Corey, sinon ça ira mal pour ton matricule." Ce qui fait que j'ai réfléchi, j'ai réfléchi tant que j'ai pu et, finalement, j'ai pris le taureau par les cornes. Et j'ai décidé que je ne savais foutre pas ce que je pourrais bien faire.»

Nick Corey est donc un shérif un peu mou et bêta, un drôle de représentant de la loi qui n'arrête jamais personne et esquive le plus possible les problèmes. Selon sa femme, c'est un "sans-couilles" tout juste bon à se bâfrer et à dormir. Mais peut-être ce drôle de shérif n'est-il pas aussi naïf et imbécile qu'il parait et bien vite, grâce à l'humour qui porte le livre, la roublardise de Corey lui vaut la sympathie du lecteur qu'il manipule à l'instar des autres personnages. Il est en effet assez jubilatoire de voir comment ce soit disant crétin roule son monde avec cynisme et humour pour arriver à ses fins. Mais l'affection amicale que l'on éprouve dans un premier temps pour ce "héro" déjanté se mue en étonnement puis en effroi devant les actes monstrueux qu'il commet. Car plus on avance dans le récit, plus on s'englue dans le sordide et si, dans cette histoire, tous les personnage sont vils et avec une morale au ras des pâquerettes, le shérif Corey s'avère être le pire d'entre eux : jouisseur, manipulateur, calculateur, cynique, égoïste, menteur, sans scrupule, hypocrite, violent, sadique et même criminel ! Les faits relatés sont insupportables et inacceptables, mais le récit, parfois terrible, est surtout loufoque, car porté par l'outrance du style, du langage et des sentiments. Ce livre n'est pas à prendre au premier degré, ce n'est en aucun cas une apologie de l'abomination. C'est un réquisitoire contre toutes les vacheries du monde, mais aussi une bouffonnerie car jusqu'à la dernière ligne Jim Thompson tourne tout en dérision. Ainsi la morale du héros se réduit à ceci : «Le Bien et le Mal, par exemple, on finit par plus savoir ce que c'est l'un et ce que c'est l'autre» et la conclusion du roman pourrait être : le pouvoir rend fou, même à Ploucville.

 

BlueGrey

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Jim Thompson, 1275 âmes (Pop. 1280), traduit de l'anglais par Marcel Duhamel, éd. Gallimard, coll. folio policier, 1999 (1964), 247 pages, 5,10 €.

06/03/2007

Léviathan – Paul Auster (1993)

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medium_léviathan.gifLe roman commence par la mort de Benjamin Sachs, tué par sa propre bombe. Car Sachs, ex-écrivain prometteur, a tout abandonné pour devenir le Fantôme de la Liberté, personnage devenu célèbre dans tous les Etats-Unis des années Reagan en dynamitant l'une après l'autre les multiples statues de la Liberté ornant les villes américaines. Mais comment et pourquoi cet écrivain plein de promesses en est-il arrivé à devenir un terroriste ? C'est à cette question que cherche à répondre son ami Peter Aaron, lui-même écrivain (et double littéraire de Paul Auster), dans ce récit traité à la manière d'une biographie.

Mais Léviathan, ce n'est pas seulement l'histoire de Benjamin Sachs, c'est aussi une réflexion sur le métier d'écrivain au travers du couple Peter/Benjamin, deux visions complémentaires de l'écrivain. D'un côté Peter, écrivain qui a réussi et veut croire aux valeurs de la création littéraire. Il veut trouver et écrire la vérité à propos de Sachs avant que le FBI ne découvre qu'il était le Fantôme de la Liberté et que la réputation de Sachs ne soit entachée à jamais. Aaron se trouve alors confronté à la tentation de la fictionnalisation, la tendance qu'il pourrait avoir à déformer l'histoire, à changer certains faits pour les conformer à SA réalité. De l'autre côté Benjamin, celui qui n'y croit plus et cesse d'écrire pour se lancer dans l'action. Des actions un peu dérisoires (attenter aux statues de la Liberté, sans pouvoir s'en prendre à la principale) mais courageuses et d'une grande portée symbolique. Sachs cherche ainsi à éveiller les consciences, à mettre en garde son pays qui a perdu de vue ses valeurs. Dans Léviathan nous assistons donc à un double combat : celui de Sachs contre son pays, et celui d'Aaron contre lui-même.

J'ai trouvé ce roman parfois très lent (surtout dans les deux premiers tiers) mais aussi généreux, le second aspect faisant que l'on poursuit sa lecture en dépit du premier.

 

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Paul Auster, Léviathan, traduit de l'anglais par Christine Le Boeuf, éd. Actes Sud, 1999, 309 pages, 21,04 €.

Du même auteur : Moon Palace

01/03/2007

Mystic River – Dennis Lehane (2001)

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medium_MysticRiver.gifIls sont trois gamins de onze ans habitant les Flats, quartier populaire de Boston : Jimmy Marcus la tête-brulée du trio, Sean Devine le raisonnable et Dave Boyle le suiveur. Un après-midi de bagarre, en 1975, deux hommes aux allures de flics embarquent Dave... qui ne réapparaîtra que quatre jours après, bête fauve en sursis. Vingt-cinq ans plus tard, an 2000, les trois hommes ne se fréquentent plus que vaguement. Jimmy, ex-chef de bande et taulard, s'est rangé en devenant le gérant d'un magasin d'alimentation. Dave, ex-star du base-ball, part lentement à la dérive. Et Sean, devenu policier, est miné par ses problèmes conjugaux. Comme un écho au kidnapping de Dave, l'assassinat de Katie, la fille aînée de Jimmy, va les mettre de nouveau en présence. Sean enquête, Jimmy crie vengeance, quant à Dave, rentré chez lui à trois heures du matin couvert de sang, il paraît bien suspect. Et tandis que le microcosme des Flats explose sous l'émotion et que l'odeur du sang excite les esprits, on voit le passé ressurgir, déterminant le présent.

C'est la douleur qui est le moteur de cette histoire, et non l'enquête. Plus qu'un roman policier, Dennis Lehane construit une tragédie à trois voix autour de personnages rongés par les traumatismes d'enfance et l'origine sociale, entraînés dans la spirale de la souffrance et de la colère, pris dans l'engrenage du remords et du désir de vengeance. Dennis Lehane excelle dans l'art de mettre subtilement en évidence l'individu et son humanité et de faire sentir les ambivalences de chacun. Il s'attarde sur l'individu pour mieux observer les conséquences de ses choix et le caractère irrémédiable de ses actes. Il avance dans son récit avec la conscience de l'homme qui s'interroge sur son prochain, sans le condamner : peut-on échapper à un avenir bien sombre fait de violence, de peur, de désespérance et d'innocence perdue ?

 

BlueGrey

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Dennis Lehane, Mystic River, traduit de l'anglais par Isabelle Maillet, éd. Rivages, coll. Rivages/Noir, 2005, 583 pages, 9,50 €.

Du même auteur : Shutter Island

07/02/2007

Jeanne d'Arc fait tic-tac - Iegor Gran (2005)

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medium_jeannedarc.gifChaque soir, au village, les habitués se retrouvent au bistrot pour écouter les histoires incroyables de l'oncle Guillaume. Car l'oncle Guillaume, il sait les raconter, les histoires. Celle de la chaussure Nike par exemple, chaussure qui, dotée d'une volonté propre, a piégé p'tit Louis. Les Nike de calamité le poussent vers des modes de consommation dont il ne veut pas, des plans pas nets, venus de là-bas, dont le restau rapide est la partie émergée. Les Nike le tirent aussi vers des salles de cinéma où l'on passe de grosses productions de là-bas dégoulinantes d'effets spéciaux. Maudites Nike ! L'oncle Guillaume raconte aussi l'histoire de M. Palissy, l'instituteur qui croise un revenant, John Fitgerald Kennedy en personne, 35e président de là-bas, qui a mis en scène son assassinat et vit incognito dans une banlieue française. L'oncle Guillaume raconte encore l'histoire du remplaceur, ce sournois qui cherche à anéantir notre langue. Son objectif est de nous faire oublier nos mots français bien de chez nous et de les remplacer par des mots fantoches venus de là-bas. A chaque fois que l'un de nous dit «t’as un drôle de look», le remplaceur se frotte les mains... C'est peu dire qu'on les aime au village, ces soirées entre habitants du coin, où la fraternité se mélange aux vapeurs de vin pour donner ce liquide sémiotique où flotte le bien-être.
Mais un jour, à force de se raconter des histoires, la France déclare la guerre à l'Amérique afin de libérer le monde de la domination des dollars (comprendre les américains, aussi familièrement nommés les Big Mac) et de briser les chaînes de la mondialisation. Des troupes françaises débarquent en Floride et progressent vers Atlanta. Au passage, on démonte un Disneyland, on remplace les statues d'Elvis à Memphis par des statues de Johnny, on substitue Signoret à Monroe, Douillet à Schwarzenegger, le jambon-beurre au hamburger...

J'ai choisi ce livre pour son titre, Jeanne d'Arc fait tic-tac, c'est un titre plein de promesses ça ! Alors ? Promesses tenues ? Mmmoui, un peu mitigé mon avis...
La première partie du roman (les histoires de l'oncle Guillaume) constitue un joyeux morceau de dérision autour des clichés antiaméricains véhiculés dans l'Hexagone, sans que toutefois les Etats-Unis ne sont jamais directement nommés puisqu'il s'agit toujours du royaume de là-bas. Gran ne manque pas d'humour dans cette série d'histoires, bien que tout ne soit pas d'une élégance folle. On trouve là-dedans un bon nombre de lieux communs et de facilités langagières inutiles (du style "Busherie"). Toutefois la verve de l'auteur et la drôlerie de l'antiaméricanisme primaire qu'il façonne au gré des racontars de l'oncle Guillaume font qu'on se laisse prendre sans hésiter, du moins au début. Car si les 4 ou 5 premières histoires font mouches, j'ai trouvé le procédé légèrement agaçant à la huitième, puis franchement énervant et réchauffé à la onzième mais néanmoins dernière histoire (on va enfin pouvoir passer à autre chose, me suis-je dit).
Dans la seconde partie du récit, on vire dans un surréalisme total mais toujours loufoque : la vieille France, exaspérée par l'arrogance tous azimuts du pays de l'Oncle Sam, confie à ses soldats la lourde tâche d'exporter la culture aux Etats-Unis (de la même manière que les Etats-Unis exportent la démocratie hors de chez eux, aujourd'hui en Irak). Visiblement moins inspiré qu'au départ, Gran étire son récit dans en torrent verbal pour évoquer les sans-grades transformés en chair à canon, version comédie militaire, mais on finit par se lasser.

Derrière son titre bizarroïde, Jeanne d'Arc fait tic-tac est donc un roman inégal et un peu foutraque, truffé de surprises et de facilités narratives, d'inventions verbales mais aussi de blagues à deux balles, et qui renvoie dos à dos la morgue de l'hydre impérialiste et le chauvinisme baguette-camembert.

«Deux nations en colère ne suffisent pas pour faire une guerre. Il faut en plus un sentiment d'invulnérabilité. Qui en donne mieux que la culture ?»

 

BlueGrey

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Iegor Gran, Jeanne d'Arc fait tic-tac, éd. P.O.L, 2005, 343 pages, 21 €.