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07/02/2007

Jeanne d'Arc fait tic-tac - Iegor Gran (2005)

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medium_jeannedarc.gifChaque soir, au village, les habitués se retrouvent au bistrot pour écouter les histoires incroyables de l'oncle Guillaume. Car l'oncle Guillaume, il sait les raconter, les histoires. Celle de la chaussure Nike par exemple, chaussure qui, dotée d'une volonté propre, a piégé p'tit Louis. Les Nike de calamité le poussent vers des modes de consommation dont il ne veut pas, des plans pas nets, venus de là-bas, dont le restau rapide est la partie émergée. Les Nike le tirent aussi vers des salles de cinéma où l'on passe de grosses productions de là-bas dégoulinantes d'effets spéciaux. Maudites Nike ! L'oncle Guillaume raconte aussi l'histoire de M. Palissy, l'instituteur qui croise un revenant, John Fitgerald Kennedy en personne, 35e président de là-bas, qui a mis en scène son assassinat et vit incognito dans une banlieue française. L'oncle Guillaume raconte encore l'histoire du remplaceur, ce sournois qui cherche à anéantir notre langue. Son objectif est de nous faire oublier nos mots français bien de chez nous et de les remplacer par des mots fantoches venus de là-bas. A chaque fois que l'un de nous dit «t’as un drôle de look», le remplaceur se frotte les mains... C'est peu dire qu'on les aime au village, ces soirées entre habitants du coin, où la fraternité se mélange aux vapeurs de vin pour donner ce liquide sémiotique où flotte le bien-être.
Mais un jour, à force de se raconter des histoires, la France déclare la guerre à l'Amérique afin de libérer le monde de la domination des dollars (comprendre les américains, aussi familièrement nommés les Big Mac) et de briser les chaînes de la mondialisation. Des troupes françaises débarquent en Floride et progressent vers Atlanta. Au passage, on démonte un Disneyland, on remplace les statues d'Elvis à Memphis par des statues de Johnny, on substitue Signoret à Monroe, Douillet à Schwarzenegger, le jambon-beurre au hamburger...

J'ai choisi ce livre pour son titre, Jeanne d'Arc fait tic-tac, c'est un titre plein de promesses ça ! Alors ? Promesses tenues ? Mmmoui, un peu mitigé mon avis...
La première partie du roman (les histoires de l'oncle Guillaume) constitue un joyeux morceau de dérision autour des clichés antiaméricains véhiculés dans l'Hexagone, sans que toutefois les Etats-Unis ne sont jamais directement nommés puisqu'il s'agit toujours du royaume de là-bas. Gran ne manque pas d'humour dans cette série d'histoires, bien que tout ne soit pas d'une élégance folle. On trouve là-dedans un bon nombre de lieux communs et de facilités langagières inutiles (du style "Busherie"). Toutefois la verve de l'auteur et la drôlerie de l'antiaméricanisme primaire qu'il façonne au gré des racontars de l'oncle Guillaume font qu'on se laisse prendre sans hésiter, du moins au début. Car si les 4 ou 5 premières histoires font mouches, j'ai trouvé le procédé légèrement agaçant à la huitième, puis franchement énervant et réchauffé à la onzième mais néanmoins dernière histoire (on va enfin pouvoir passer à autre chose, me suis-je dit).
Dans la seconde partie du récit, on vire dans un surréalisme total mais toujours loufoque : la vieille France, exaspérée par l'arrogance tous azimuts du pays de l'Oncle Sam, confie à ses soldats la lourde tâche d'exporter la culture aux Etats-Unis (de la même manière que les Etats-Unis exportent la démocratie hors de chez eux, aujourd'hui en Irak). Visiblement moins inspiré qu'au départ, Gran étire son récit dans en torrent verbal pour évoquer les sans-grades transformés en chair à canon, version comédie militaire, mais on finit par se lasser.

Derrière son titre bizarroïde, Jeanne d'Arc fait tic-tac est donc un roman inégal et un peu foutraque, truffé de surprises et de facilités narratives, d'inventions verbales mais aussi de blagues à deux balles, et qui renvoie dos à dos la morgue de l'hydre impérialiste et le chauvinisme baguette-camembert.

«Deux nations en colère ne suffisent pas pour faire une guerre. Il faut en plus un sentiment d'invulnérabilité. Qui en donne mieux que la culture ?»

 

BlueGrey

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Iegor Gran, Jeanne d'Arc fait tic-tac, éd. P.O.L, 2005, 343 pages, 21 €.

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