29/08/2008
Quelques-uns des cent regrets – Philippe Claudel (2000)
C'est une histoire simple et triste, une histoire empreinte de mélancolie et de nostalgie, une histoire d'amour filial qui n'a pas su s'exprimer. C'est un roman touchant qui explore avec délicatesse et réserve une douleur intime, un acte manqué, un regret...
« Il n'a fallu que quelques pauvres secondes au commis pour dévoiler ce qui m'avait été caché si longtemps, le visage de ma mère, son visage, son beau visage que je n'avais pas revu depuis seize ans. Seize longues années, seize minces années qui m'avaient fait devenir un homme déjà las, un peu amer.
Elle portait des cheveux un peu plus longs que par le passé. Sa blondeur s'était mêlée d'argent. Son visage gardait la beauté simple qui en était la marque. A peine les rides l'avaient-elles tissé d’un mince réseau de blessures. Le temps s'était déposé en elle, avec sa fatigue et son poids, comme une poussière. [...]
Etaient-ce les années vécues sans la voir qui me faisaient la croire plus jeune qu'elle n'était en vérité ? La mort lui allait comme un curieux vêtement. »
Le fils est revenu, trop tard bien sûr. Il est revenu dans son village natal, triste bourgade inondée du nord de la France, pour enterrer sa mère. Il va y passer trois jours, trois jours pour rappeler les ombres de son enfance, trois jours pour transformer sa peine et sa culpabilité en un douloureux apaisement.
La langue est belle et riche, la construction du récit, solide, l'histoire teintée d'amertume. Lentement, par petites touches qui paraissent de prime abord insignifiantes, Philippe Claudel dépeint, derrière le sourire de façade et le quotidien le plus sinistre, les drames qui jalonnent une existence. Il évoque les faiblesses et les errements d'un homme, mais a suffisamment de compassion et d'empathie pour ne jamais juger. Il nous propose ainsi un récit tristement beau, empreint d'une émotion juste et parsemé de petites griffes de douleur, celles des souvenirs qui font mal.
BlueGrey
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Philippe Claudel, Quelques-uns des cent regrets, éd. Gallimard, coll. folio, 2005 (2000), 180 pages, 5,30 €.
Du même auteur : La petite fille de Monsieur Linh
18:15 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature, roman, livre, deuil, mort
26/08/2008
Chagrin d'école – Daniel Pennac (2007)
« Commençons par l'épilogue : Maman, quasi centenaire, regardant un film sur un auteur qu'elle connaît bien. »
Encore un livre sur l'école pensez-vous ? Non, un livre sur le cancre ! Et c'est bien plus réjouissant ! Dans la lignée de Comme un roman, Chagrin d'école aborde donc la question de l'école, mais du point de vue de l'élève, et en l'occurrence du mauvais élève, du "cancre" que Daniel Pennac fut lui-même avant de devenir professeur. Un livre sur la douleur de ne pas comprendre.
« Ah ! Terribles sentinelles, les majuscules ! Il me semblait qu'elles se dressaient entre les noms propres et moi pour m'en interdire la fréquentation. Tout mot frappé d'une majuscule était voué à l'oubli instantané : villes, fleuves, batailles, héros, traités, poètes, galaxies, théorèmes, interdits de mémoire pour cause de majuscule tétanisante. Halte là, s'exclamait la majuscule, on ne franchit pas la porte de ce nom, il est trop propre, on n'en est pas digne, on est un crétin ! »
Le livre mêle ainsi des souvenirs autobiographiques à des réflexions sur l'école, les profs, la pédagogie, sur le rôle des parents et de la famille, sur la société actuelle, le jeunisme ambiant, le rôle de la télévision. Le tout donne un livre un peu fouillis, un joyeux fourre-tout aux chapitres courts qui rassemble un paquet d'idées à la profondeur inégale : banales et un peu faibles quand l'auteur s'insurge contre la société de consommation et le diktat des marques chez les jeunes, beaucoup plus intéressantes quand il met en parallèle son expérience de prof idéaliste et le mauvais élève qui le hante toujours.
Parfois un brin verbeux et presque moralisateur dans le dernier tiers du livre, Daniel Pennac le professeur, jamais dupe de lui-même, est alors judicieusement rappelé à l’ordre par le cancre Pennacchioni (le vrai nom de Pennac) en un dialogue entretenu avec l'enfant qu'il fut :
« - Moi, un jeune obèse désincarné ?
(Oh ! Bon dieu, le revoilà...)
- Qui te permet de parler à ma place ?
Nom d'un chien, pourquoi l'ai-je évoqué, ce cancre que je fus, cet indécrottable souvenir de moi-même ? J'arrive enfin à mes dernières pages, il me fichait la paix depuis cette conversation avec Maximilien, et voilà que je le rappelle à mon bon souvenir !
- Réponds-moi ! Qu'est-ce qui t'autorise à penser que si j'étais né il y a une quinzaine d'années, je serais le cancre hyperconsommateur que tu dis ?
Aucun doute, c'est bien lui, toujours à exiger des explications au lieu de fournir des résultats. Bon, allons-y :
- Et depuis quand ai-je besoin de ton autorisation pour écrire quoi que ce soit ?
- Depuis que tu dégoises sur les cancres ! En matière de cancrerie c’est moi l’expert, il me semble ! »
L'écriture spontanée, drôle et touchante de Daniel Pennac, associée à un style qui possède une malice et une tendresse piquante, font de son livre un témoignage à la fois léger et grave, potache et sérieux, à la nostalgie voilée. Un agréable moment de lecture.
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Daniel Pennac, Chagrin d'école, éd. Gallimard, 2007, 304 pages, 19 €.
Du même auteur : Messieurs les enfants
08:25 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature, livre, roman, autobiographie, école, élève, cancre
23/08/2008
[expo] Night Nursery – Ceux qui désirent sans fin
Avoir peur et rêver
Un ancien hôtel particulier du XVIIIe siècle, en plein centre d'Avignon, l'Hôtel de Forbin La Barben. Pas le plus bel hôtel particulier de la ville sans doute, mais on devine que derrière ses volets clos se joue quelque chose de beau et de mystérieux. Car c'est ce lieu que les frères Quay (cinéastes maîtres du film d'animation excentrique et bizarre) ont investi le temps du 62e festival d'Avignon pour une installation qui décline leur univers fantasmagorique, entre installation miniaturiste, marionnettiste et audiovisuelle. Découvrir la suite...
23:10 Publié dans Musées / Expositions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : exposition, vidéo, avignon, festival avignon in
20/08/2008
La fausse veuve – Florence Ben Sadoun (2008)
« Aujourd'hui je suis plus vieille que toi alors que j'avais neuf ans de moins que vous. »Le livre débute ainsi et plonge d'emblée le lecteur dans la perplexité : qui est "je" ? Qui est "tu" ? Qui est "vous" ? "Je", la narratrice, est-ce l'auteur elle-même, Florence Ben Sadoun, directrice de la rédaction de Première, journaliste à ELLE et chroniqueuse cinéma à France Culture ? Et cet homme tuvoyiez et voutoyez à l'envie, qui est-il ? Cet homme, c'est l'amant de la narratrice, victime il y a une dizaine d'année d'un accident vasculaire qui l'a plongé dans un coma profond et dont il est sorti atteint du "locked-in syndrome", esprit prisonnier de son propre corps. Cet homme, on finit par le deviner même si son nom n'est jamais cité, c'est Jean-Dominique Bauby, l'auteur de Le scaphandre et le papillon qu'il rédigea par battements de paupière. Derrière la destinée largement médiatisée d'un personnage, Florence Ben Sadoun raconte l'homme, son homme, et l'histoire qui leur a été volée. Ce que furent leur amour, leurs moments de bonheur, et aussi les doutes et le désespoir des tête-à-tête muets à l'hôpital. Plus qu'un roman, ce livre est un témoignage, une revendication de l'auteur afin de se réapproprié leur histoire.
Ce livre est particulièrement déroutant : tutoyant et vouvoyant dans la même phrase son amant disparu et ne le désignant jamais par son nom, sur-stylisant son écrit, juxtaposant sans chronologie des bribes éparses d'anecdotes décontextualisées, l'auteur sème le trouble et la confusion. Il est bien difficile de s'impliquer dans cette histoire décousue et de se sentir en empathie. En outre, plus que l'amour qu'elle portait à cet homme et sa douleur de l'avoir perdu, c'est la colère de l'auteur qui prédomine son récit. Son dépit et son amertume d'avoir été "écartée" de la biographie officielle de son amant, son écoeurement et son désarroi face à la récupération médiatique de leur histoire (« Qui a autorisé des inconnus qui ne t'ont jamais connu debout, ni parlant, ni touchant, à s'approprier ta vie et tes secrets, à malaxer la mienne au passage dans le sens qui les arrange, pour en faire leur œuvre ? ») et son besoin de reconnaissance, elle qui ne fut "que" la maîtresse, la fausse femme, donc aujourd'hui la fausse veuve.
Ce témoignage est fondamentalement dichotomique : d'un côté l'auteur dénonce la surmédiatisation de l'accident de son amant (articles de presse, livres, documentaires et adaptation cinématographique), d'un autre côté elle y participe de fait avec ce récit qui va forcément relancer l'attention des médias. Alors, quel est le but réel de ce livre et a qui s'adresse-t-il ? Certainement pas au lecteur lambda placé de force dans la position inconfortable du voyeur mis en accusation. Il s'agit plutôt d'une lettre ouverte à son amant disparu, entre déclaration d'amour, auto-justification et récrimination. Un exutoire, un cahier de doléances péremptoire, plein d'aigreur et passablement égocentré. Dans sa revendication certes justifiée au statut de victime du drame, l'auteur semble parfois oublier qu'elle n’a pas été la seule victime. Je ne doute pas de sa sincérité, mais son récit manque de douceur et de tendresse. C'est un trop plein de douleur, d'amertume et de ressentiment.
Extraits
« Un soir chaud de juin, quand tu as quitté votre femme, vous m'avez dit : "Attention, pas de blague, vous et moi, c'est pour la vie." Et ce fut pour la mort. Sans blague. »
« Alors ces inconnus que je n'aurai pas aimé croiser dans un dîner parlent de vous. Parlent de toi. Non pas du vrai toi mort depuis dix ans, mais d'un toi vulgarisé. C'est ton nom qui sonne comme une carcasse vide, devenu celui d'un personnage de film, un héros qu'ils ont l'impression de connaître. Ils en sont convaincus. Je ne le supporte pas. J'ai la chair de poule. Je ne bouge pas, j'écoute comme si mon esprit sortait de mon corps et allait s'asseoir à leur table pour entendre, décortiquer, vomir sur ce qu'ils disent. Le bruit m'empêche de tout saisir. Je réagis à des mots clés : "C'est dingue, toutes ces femmes autour de lui, il paraît qu'il avait beaucoup d'humour ? Quel drame horrible ! Moi je préférerai mourir ! Et tu as vu le dévouement extraordinaire de sa femme ?" Sa femme ? Laquelle ? Je pleure, me cache derrière mes lunettes de vue qui grossissent l'effet des larmes. Ce sont des larmes de perte, perte de mon histoire intime, des larmes de braise sur mon deuil réactivé, des larmes mouillées de tristesse infinie, qui coulent toutes seules hors de moi. Qui a le droit de nous déposséder de notre histoire en émiettant notre intimité autour d'un club sandwich ? Qui gagne quoi et surtout combien en falsifiant la réalité ? »
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Florence Ben Sadoun, La Fausse Veuve, éd. Denoël, 2008, 107 pages, 13 €.
Ce livre m'a été offert par Chez les filles et les éditions Denoël.
Les avis de Frisette, Cathulu, Valdebaz et Cécile de Quoide9.
11:20 | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : la fausse veuve, florence ben sadoun, littérature française, autobiographie, deuil, maladie, amour, maîtresse
17/08/2008
Le parfum d'Adam – Jean-Christophe Rufin (2007)
Pologne, printemps 2005. Juliette, jeune écolo française fragile et idéaliste, libère des animaux de laboratoire. Cette action militante apparemment relativement innocente va l'entraîner au coeur d'un complot sans précédent qui, au nom de la sauvegarde de la planète, prend pour cible l'espèce humaine. En parallèle deux ex-agents de la CIA passés dans le privé, Paul et Kerry, enquêtent sur un groupe d'écolo-terroristes baptisés les Nouveaux Prédateurs...
En France, l'écologie est considérée comme une cause acquise et sympathique. Pourtant le FBI considère l'écologie radicale comme la deuxième source de terrorisme mondial, après le fondamentalisme musulman. Entendons-nous bien, nous parlons ici d'une forme dure d'écologie, la "deep ecology", encore méconnue en France. Cette idéologie considère l'être humain comme le "prédateur suprême" et envisage son éradication au nom de la sauvegarde de la planète. Le roman de Jean-Christophe Ruffin a donc le mérite de rappeler au lecteur français, généralement ignorant de ce phénomène, l'histoire des mouvements théoriciens et des groupes d'action se rattachant à ce mouvement. Jean-Christophe Rufin dévoile les paradoxes et les dérives d'une pensée écologique radicale qui irait jusqu'à l'extrême bout de sa logique. Rufin explore ainsi les nouvelles réalités contemporaines, au carrefour de l'écologie, de la médecine, de l'extrémisme, du terrorisme et de la politique internationale.
Mais si je reconnais l'habileté de Rufin dans sa manière à la fois didactique et légère de faire comprendre les enjeux, j'avoue avoir trouvé le tout un brin longuet et pas vraiment haletant. En effet le livre à thèse affleure parfois de façon encombrante sous le roman d'espionnage. Et pour un roman qui se revendique "thriller", cela manque cruellement de souffle et de suspens. L'intrigue s'étire sur plus de 500 pages en une enquête effarante de facilité : les indices sont évidents, les intuitions des enquêteurs toujours exactes et, malgré la barbarie monstrueuse du complot, il est finalement déjoué sans trop de difficultés et sans une goutte de sang versée...
Si le roman de Jean-Christophe Ruffin présente un intérêt documentaire indiscutable, les sept pages de postface auraient suffi à nous sensibiliser à la problématique développée dans ce "thriller" trop fade pour être crédible.
BlueGrey
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Jean-Christophe Rufin, Le parfum d'Adam, éd. Flammarion, 2007, 538 pages, 20 €.
Florinette a elle beaucoup aimé.
13:45 | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : littérature, roman, thriller, écologie, terrorisme, enquête