Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/12/2010

Un bûcher sous la neige – Susan Fletcher [2010]

Un bûcher sous la neige.gifNous sommes à la fin du XVIIe siècle, en Ecosse, au cœur d'une période de rois rivaux, de désordre politique et religieux et de massacres. Corrag, jeune fille accusée de sorcellerie, emprisonnée, attend le bûcher.

Chaque jour, dans le clair-obscur de son cachot putride, le révérend Charles Leslie, venu d'Irlande, l'interroge sur le massacre de Glencoe dont elle a été témoin, persuadé qu’elle sait quelque chose d'essentiel. Mais avant d'en arriver à cette chose essentielle, Corrag va lui raconter plus que ce qu'il est venu chercher, elle lui raconte sa vie... Une vie de proscrite, condamnée par les hommes et leurs préjugés à vivre "en marge", à fuir, et qui n'a qu'entrevu l'amour.

Chaque soir, dans ses lettres à sa femme restée en Irlande, le révérend fait un résumé de son enquête. Ses premières missives sont concises, son style assez froid : il semble obsédé par la seule idée de prouver que Guillaume d'Orange est un imposteur et de ramener sur le trône le roi Jacques. Au fil du temps, ses lettres se font plus longues et plus personnelles, traduisant par la forme ses changements intérieurs : il laisse transparaître son amour pour sa femme et son manque d'elle, il lui raconte aussi l'énigmatique Corrag qui a fini par le toucher et par ébranler ses convictions.

Ce roman à deux voix présente donc deux individus a priori sans point commun qui vont pourtant se rejoindre, apprendre à se connaître, et se comprendre... Car insensiblement le regard de l'homme d'église sur la maudite évolue ; au-delà des légendes de sorcières, par-delà ses haillons et sa tignasse sauvage, il entrevoit une âme pure. Son mépris et son dégout initial cèdent petit à petit la place à la compassion et même à une certaine admiration pour ce petit bout de femme solitaire, frêle mais forte, cet esprit libre qui lui fait entrevoir les beautés du monde.

Car le vrai pouvoir de sorcière de Corrag est sans doute dans son talent de conteuse. Ne sachant ni lire ni écrire, elle a acquis un extraordinaire sens de la nature qui donne à son récit une ampleur poétique envoûtante. Par ses mots, elle entraîne le révérend (et le lecteur !) à travers les Highlands enneigés, sous les cascades où elle lave sa peau poussiéreuse des heures de chevauchée solitaire, à l'extrémité de la corniche où elle contemple la vallée qui s'éclaire et s'assombrit sous les nuages... Elle sait percevoir les menus détails de la vie que la plupart d'entre nous ne perçoivent pas, et y prendre plaisir : une abeille dans une corolle, les reflets roux du plumage d'une poule...

« Quoique je fusse dans la pénombre, et elle sur la paille humide, elle a déployé la vallée devant moi avec toutes ses brumes et ses collines, si bien que je me serais cru là-haut sur les rochers. »

Outre le lyrisme captivant du récit de Corrag, Susan Flechter a l'habileté de détailler le contexte historique par petites touches, au fur et à mesure. Elle distille très judicieusement des éléments d'information qui permettent de comprendre la lutte entre Orangistes et Jacobites et les guerres entre clans écossais des Lowlands et des Highlands. Et en les entremêlant ainsi au récit romanesque, elle nous offre bien plus qu'un roman historique !

______________________________

e%2040.gifSusan Fletcher, Un bûcher sous la neige (Corrag), traduit de l'anglais par Suzanne Mayoux, éd. Plon, coll. Feux croisés, 2010, 400 pages, 22 €.

13/01/2010

Fendragon - Barbara Hambly [1985]

5241f3784ad62eec1a01a08d1ab59ef3.gif 5241f3784ad62eec1a01a08d1ab59ef3.gif 5241f3784ad62eec1a01a08d1ab59ef3.gif 5241f3784ad62eec1a01a08d1ab59ef3.gif

 

Fendragon.gifJenny Waynest, guérisseuse et sorcière de son état, mène une vie tranquille dans son petit village des marches du Nord, une terre ravagée par les rudes conditions climatiques et par les pillages incessants, une région du Royaume que les forces royales ont oublié de visiter (et accessoirement de défendre) depuis des décennies. Dans son village vit également quelqu'un de parfaitement unique, l'un de ces héros mythique que célèbrent les ballades : Lord John Aversin dit le Fendragon, un tueur de dragon, le dernier encore vivant ! Il est aussi le seigneur du lieu, le compagnon de Jenny et le père de ses garçons. Alors, quand un dragon sème la panique à la capitale, le roi dépêche le gentilhomme Gareth, un gringalet dégingandé à peine sorti de l'adolescence et un peu gauche, quérir l'aide de Lord Aversin et le convaincre de se charger du problème...

La grande réussite de ce roman est de détourner avec humour les codes traditionnels de la fantasy. Ainsi, à la vision idéalisée du héros forcément beau, valeureux, courageux, charismatique et invincible véhiculée par les contes et ballades qu'affectionne Gareth, ce dernier se retrouve face à un Lord Aversin bien loin des chevaliers de légendes : un grand gaillard plus tout jeune, aux manières pour le moins rustiques, myope, passionné de livres d'histoire, grand connaisseur de la race porcine et père de famille ! De plus Lord Aversin ne semble pas plus enthousiaste que cela à l'idée de devoir à nouveau affronter un dragon... Incompréhensible !

L'autre personnage central du roman, et la véritable héroïne de cette histoire, est Jenny Waynest, une femme qui a sacrifié ses ambitions de magicienne pour Lord Aversin, afin de lui donner deux fils, et qui est toujours partagée entre son amour pour sa famille et la nécessité de se consacrer à la méditation et à l'étude de la magie pour parfaire et accroitre ses talents. Une petite touche féministe inattendue et bienvenue dans un univers de la fantasy traditionnellement plutôt machiste !

Enfin, le dragon lui-même, loin d'être une simple symbolisation monstrueuse du "mal", est lui aussi traité avec finesse. C'est non seulement une créature fabuleuse et majestueuse, mais c'est également une créature complexe et ambivalente, qui fascine tout autant qu'elle terrorise. Ses intentions et ses motivations sont révélées petit à petit et vont au-delà du simple plaisir de massacrer des humains et d'amasser de l'or, elles s'avèrent bien plus profondes... C'est aussi l'occasion pour Barbara Hambly de quelques envolées lyriques à la gloire des dragons : « Il était d'une noirceur lumineuse, avec une crinière de rubans de sang, des yeux comme des anneaux de métal encerclant des puits de nuit éternelle. Il était le danger et la mort. Il faisait chanter l'or et il crachait le feu. Il était le dragon des légendes. »

Ajoutez à cela des personnages secondaires tout aussi décalés et bien croqués ; une atmosphère particulière, entre nostalgie et poésie, mâtinée de pragmatisme ; un style moins grandiloquent et plus intimiste que celui des grands cycles traditionnels de fantasy ; une bonne dose d'humour (les scènes de cour, les désillusions de Gareth qui voit le monde à travers le prisme des récits épiques et qui se retrouve confronté à une réalité désenchantée) ; et vous obtenez ce Fendragon, un roman de fantasy au traitement intelligent, original, inattendu et très agréable.

______________________________

Barbara Hambly, Fendragon (Dragonsbane), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michel Demuth, éd. Seuil, coll. Points fantasy, 2006 (1985), 360 pages, 6,50 €.

petit livre.gif

Un livre proposé par Fashion.

Les avis de Yueyin, Isil, Levraoueg, Armande, Keisha, Chimère, Pascale, Goelen, Yoshi & Leiloona.

09/11/2009

La sorcière de Salem – Elisabeth Gaskell (1861)

5241f3784ad62eec1a01a08d1ab59ef3.gif5241f3784ad62eec1a01a08d1ab59ef3.gif5241f3784ad62eec1a01a08d1ab59ef3.gif

 

La sorcière de Salem.gifEn 1691, à la mort de ses parents, Loïs Barclay, jeune anglaise de 18 ans, rejoint la famille de son oncle en Nouvelle-Angleterre, à Salem, où s'est établi une petite communauté puritaine très stricte. Très vite, Loïs est confrontée au rejet et à la solitude : son oncle décède peu de temps après son arrivée, sa tante est d'une totale froideur envers elle, son cousin la poursuit de ses assiduités, sa cousine Faith la jalouse, quant à la petite Prudence, sa perversité va mener au drame... Car dans la petite ville, l'hystérie gagne la population persuadée que des sorcières vivent parmi eux.

En s'appuyant sur des faits historiques, comptes rendus des procès et suites de l'affaire, Elizabeth Gaskell retrace les événements réels concernant la condamnation et l'exécution d'une vingtaine de personnes accusées de sorcellerie en 1692 dans le Massachussetts : la fameuse affaire des sorcières de Salem. Elizabeth Gaskell, dans un style clair et joliment désuet, décrit avec talent l'implacable paranoïa qui saisit la petite ville. Elle parvient à rendre magistralement la montée de la peur, de la suspicion et de la haine, et l'atmosphère de jalousie, de délation et de folie collective qui vont balayer Salem. Elizabeth Gaskell dénonce et condamne ainsi avec finesse les excès du puritanisme.

Un petit bémol toutefois : les personnages restent rudimentaires et manquent de profondeur, à l'image de l'héroïne, Loïs Barclay, archétype de l'ingénue-tête-à-claques : douce jeune fille naïve, innocente, franche, bonne, honnête, vertueuse, croyante, qui reste gentille et digne, même quand on lui fait du tort. Bref, parfaite, et parfaitement agaçante ! Elle parait bien falote, un peu sotte et manque de caractère.

______________________________

Elisabeth Gaskell, La sorcière de Salem (Loïs the Witch), traduit de l'anglais par Roger Kann et Bertrand Fillaudeau, éd. José Corti, coll. romantique, 1999 (1861), 210 pages, 15,25 €.

petit livre.gif

Un livre proposé par Isil.

Les avis de Levraoueg, Armande, Keisha, Chimère, Pascale, Yoshi, Leiloona & Restling.