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14/05/2007

L'ombre du vent – Carlos Ruiz Zafón (2001)

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medium_OmbreDuVent.gifCarlos Ruiz Zafón est un prodigieux raconteur d'histoires et si vous avez le malheur (ou plutôt le bonheur !) de lire les premières pages de son tourbillonnant roman, vous n'avez plus aucune chance de lui échapper ! Il vous entraîne sur près de 40 ans et 500 pages dans la Barcelone d'après guerre, à la rencontre de Daniel...

Daniel Sempere, le narrateur, est un gamin de 10 ans que son père emmène un matin de 1945 accomplir un rite initiatique, dans un endroit étrange et secret : le Cimetière des Livres Oubliés. Dans ce lieu mystérieux et labyrinthique, dont on aimerait, sitôt décrit, qu'il existe vraiment, sont conservés des milliers d’ouvrages : « Quand une bibliothèque disparaît, quand un livre se perd dans l'oubli, nous qui connaissons cet endroit et en sommes les gardiens, nous faisons en sorte qu'il arrive ici. Dans ce lieu, les livres dont personne ne se souvient, qui se sont évanouis avec le temps, continuent de vivre en attendant de parvenir un jour entre les mains d'un nouveau lecteur, d'atteindre un nouvel esprit ». Daniel est donc convié a "adopter" l’ouvrage de son choix et il rencontre alors le livre qui semble l'avoir attendu des années durant, avec patience, et qui va changer le cours de sa vie, le marquer à jamais et l'entraîner dans de palpitantes aventures au cœurs de sombres secrets : L'ombre du vent d'un certain Julián Carax. A partir de ce jour Daniel ne va plus avoir qu'une obsession qui va gouverner sa vie entière : Julián Carax. Cet écrivain qui a grandi sur les Ramblas dans les années 1920, avant de s'exiler à Paris, a depuis disparu sans laisser de traces, et tous les exemplaires de ses livres, où qu'ils soient, sont brûlés, comme si quelqu'un s'acharnait à effacer toute trace de Carax. Et plus Daniel avance dans son enquête sur Carax, plus sa propre vie ressemble à celle du romancier maudit, jusqu'à se confondre avec elle. A une génération de distance Julián Carax et Daniel Sempere marchent sur les mêmes trottoirs, croisent les mêmes hommes, subissent le charme des mêmes femmes, vivent les mêmes évènements... Il faudra évidemment attendre la toute fin du livre pour élucider tous ces mystères.

Ce livre est terriblement envoûtant, toujours à la frange entre réel et fantastique, roman historique et fiction, énigme policière, roman d'apprentissage et d'aventures. Et surtout ce livre est un formidable hommage à la littérature, un roman sur l'amour du roman. Bien sûr, une fois le livre refermé, le sens critique reprend le dessus : Carlos Ruiz Zafón abuse par moment de certaines ficelles du roman-feuilleton (épisodes gigognes, rebondissements improbables, crimes sanguinaires, ambiance brumeuse, personnages diaboliques...). Mais qu'importe, une fois immergé dans les labyrinthes du quartier gothique de Barcelone, l'amateur de belles histoires n'a plus aucune envie d'en sortir !

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Carlos Ruiz Zafón, L'ombre du vent (La sombra el viento), traduit de l'espagnol par François Maspero, éd. Grasset, 2004 (2001), 524 pages, 21,50 €.

Du même auteur : Le jeu de l'ange

06/03/2007

Léviathan – Paul Auster (1993)

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medium_léviathan.gifLe roman commence par la mort de Benjamin Sachs, tué par sa propre bombe. Car Sachs, ex-écrivain prometteur, a tout abandonné pour devenir le Fantôme de la Liberté, personnage devenu célèbre dans tous les Etats-Unis des années Reagan en dynamitant l'une après l'autre les multiples statues de la Liberté ornant les villes américaines. Mais comment et pourquoi cet écrivain plein de promesses en est-il arrivé à devenir un terroriste ? C'est à cette question que cherche à répondre son ami Peter Aaron, lui-même écrivain (et double littéraire de Paul Auster), dans ce récit traité à la manière d'une biographie.

Mais Léviathan, ce n'est pas seulement l'histoire de Benjamin Sachs, c'est aussi une réflexion sur le métier d'écrivain au travers du couple Peter/Benjamin, deux visions complémentaires de l'écrivain. D'un côté Peter, écrivain qui a réussi et veut croire aux valeurs de la création littéraire. Il veut trouver et écrire la vérité à propos de Sachs avant que le FBI ne découvre qu'il était le Fantôme de la Liberté et que la réputation de Sachs ne soit entachée à jamais. Aaron se trouve alors confronté à la tentation de la fictionnalisation, la tendance qu'il pourrait avoir à déformer l'histoire, à changer certains faits pour les conformer à SA réalité. De l'autre côté Benjamin, celui qui n'y croit plus et cesse d'écrire pour se lancer dans l'action. Des actions un peu dérisoires (attenter aux statues de la Liberté, sans pouvoir s'en prendre à la principale) mais courageuses et d'une grande portée symbolique. Sachs cherche ainsi à éveiller les consciences, à mettre en garde son pays qui a perdu de vue ses valeurs. Dans Léviathan nous assistons donc à un double combat : celui de Sachs contre son pays, et celui d'Aaron contre lui-même.

J'ai trouvé ce roman parfois très lent (surtout dans les deux premiers tiers) mais aussi généreux, le second aspect faisant que l'on poursuit sa lecture en dépit du premier.

 

BlueGrey

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Paul Auster, Léviathan, traduit de l'anglais par Christine Le Boeuf, éd. Actes Sud, 1999, 309 pages, 21,04 €.

Du même auteur : Moon Palace

12/10/2006

L'Epopée du buveur d'eau - John Irving (1972)

medium_lepopee_du_buveur_deau.gifFred "Bogus" "Boggle" "Thump-Thump" Trumper est un fieffé menteur, un mystificateur farfelu. Il a abandonné sa femme et son fils, qui vivent aujourd'hui avec son meilleur ami, sa nouvelle compagne veut un bébé dont il n'est pas sur de vouloir, un ami cinéaste veut réaliser un documentaire sur l'échec en s'inspirant de sa vie, et, comble du désarroi, Thump-Thump à un urètre trop étroit qui a la fâcheuse manie de se boucher lorsqu'il est contrarié et qui l'oblige à boire des litres d'eau pour pouvoir avoir des rapports sexuels sans trop de souffrance. Malgré tout et vaille que vaille, Bogus s'obstine à croire qu'il pourrait bien, un jour, réussir quelque chose.

Le narrateur, parfois Bogus lui-même, parfois un "il" générique lorsqu'il devient urgent de mettre un peu de distanciation, nous entraîne dans une succession d'aventures burlesques, amoureuses et sexuelles qui aboutissent l'une après l'autre et irrémédiablement à autant d'échecs. Car il s'agit bel et bien du roman d'un raté, un loser sympathique, un bon à rien touchant et assez souvent cocasse dans sa gaucherie, un raté qui se moque de lui-même en se mettant en scène dans une stupéfiante série de mésaventures et de gags invraisemblables. C'est parfois gros, énorme, démesuré et ça ne cesse de gonfler, parfois c'est presque réel et crédible, à tel point qu'on ne sait pas toujours où Bogus en est... Car si Bogus est le narrateur, il est aussi sujet et objet du récit, acteur et spectateur de sa propre vie. Il joint au récit de sa triste vie des extraits de la traduction qu'il réalise pour sa thèse d'un conte écrit en nordique primitif, il mêle aussi descriptions objectives et élucubrations fantasmagoriques, bref, il fuit la réalité pour un ailleurs géographique ou imaginaire évanescent. Ainsi Bogus ne semble pas être décisionnaire dans sa vie mais simple spectateur impuissant de son destin. Il en ressort un fatalisme assez douloureux et pourtant inséparable du personnage.

Si, dans un premier temps, le récit paraît obscur et confus, on se prend vite d'amitié pour le désabusé mais attachant Bogus, ainsi que pour ses bourdes et déboires tant professionnels que relationnels ou sentimentaux. On en vient à apprécier à sa juste valeur le rythme syncopé du récit et les nombreux allers-retours entre passé et présent, entre fiction et réalité, qui au début de l'ouvrage perdent un peu le lecteur mais qui retranscrivent précisément l'état d'esprit trouble de Bogus. Enfin certains passages sont réellement hilarants, notamment les lettres que Bogus envoie à ses créanciers, sommet de mauvaise foi vraiment irrésistible.

Ecrit en 1972, ce second roman d'Irving est emblématique de son style et précurseur du monde selon Garp sorti en 1978. Tous les ingrédients sont déjà là : le héros, un homme d'une trentaine d'années vaguement écrivain et éternel étudiant, normal en apparence mais avec de grosses faiblesses morales, qui aime mais ne sait pas l'exprimer, sa relation maritale faite d'amour et de tension, ses relations extra-maritales, ses angoisses de père, son caractère instable, ses amis improbables frôlant l'aliénation... Le tout saupoudré d'un humour unique et de jeux de mots succulents.

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e%2030.gif John Irving, L'Epopée du buveur d'eau, éd. du Seuil, coll. Cadre Vert, 1988, 367 pages.

Du même auteur : Le monde selon Garp, Une veuve de papier & Dernière nuit à Twisted River.

11/06/2006

Le monde selon Garp - John Irving (1978)

medium_Garp.gifLe monde selon Garp est l'histoire d'un grand écrivain, pétri de talents, mais aussi bourré d'incertitudes, de complexes et de peurs. Garp insère dans le récit tragico-burlesque de sa vie des extraits de son oeuvre, mêlant ainsi la réalité à la fiction au sein même de la fiction. Ce procédé révèle que le monde est pour Garp un univers où c'est l'imagination qui règne. Le monde selon Garp montre un univers où les références sont inversées sans tabous : la mère a une virilité d'homme, Robert devient Roberta, les hommes mordent les chiens... Cependant, il reste quelque chose de sacré, un havre de paix : la famille.

Le monde selon Garp est donc le roman d'un romancier, mais un romancier fréquemment atteint de leucoselophobie chronique qui l'empêche d'écrire. Alors, de quoi donc peut parler un roman dont le personnage principal est un écrivain qui n'arrive pas à écrire ?

De la "concupiscence" d'abord. Dans Le monde selon Garp les personnages (surtout les hommes) sont malades de concupiscence et la concupiscence mène à peu près tous les personnages à une triste fin. Qu'ils en soient coupables ou victimes, ils en perdent des yeux, des bras, des langues, quand ce n'est pas le pénis. Discours hautement répressif de l'auteur sur la concupiscence ? Non. Plutôt discours totalement décalé, légèrement déjanté, à la fois burlesque et jubilatoire !

Ce roman traite aussi du "Crapaud du Ressac", métaphore de cette angoisse sourde qui rode toujours dans nos vies, qui se fait oublier parfois, dans un moment heureux, pour mieux ressurgir et nous nouer les tripes... Cette peur de la mort ou plus précisément cette peur de voir mourir ceux que l'on aime. Tout, jusqu'au détail le plus infime, dans ce roman, est une expression de la peur. Alors, comment s’étonner que Garp définissent le romancier comme un médecin qui ne voit que des incurables ? Dans Le monde selon Garp, nous sommes tous des Incurables.

Si Le monde selon Garp m'a autant marqué, c'est sans doute parce que, à grand renfort de péripéties facétieuses et d'incidents rocambolesques, Irving nous y montre une réalité toute simple, pétrie d'espoir, de rêve et de désillusion, tout ce qui fait grandir les hommes dans le monde d'aujourd'hui. Ce réalisme s'accompagne souvent de sexe, de violence, d'amour et de haine, de tendresse et de poésie aussi, le tout enrobé d’un humour irrésistible, teinté de dérision et d'un petit grain de folie. Les personnages sont singuliers, subtils et complexes, les sentiments qu'ils expriment, simples et exacts, l'histoire est drôle, touchante et déchirante en même temps. Bref, une fois le livre finit, Le monde selon Garp vous trotte longtemps dans la tête... Signe d'un grand roman !

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e%2040.gif John Irving, Le monde selon Garp, éd. du Seuil, coll. Points, 1998, 680 pages, 8,50 €.

Du même auteur : L'Epopée du buveur d'eau, Une veuve de papier & Dernière nuit à Twisted River.