28/08/2010
La Vie meurtrière – Félix Vallotton [1907-1908]
Si les toiles de l'artiste suisse Félix Vallotton (1865-1925), graveur sur bois et peintre post-impressionniste, frappent par leur style avant-gardiste et leurs couleurs profondes, son unique roman, La Vie meurtrière, publié pour la première fois de manière posthume en 1927, est lui, au contraire, de facture classique, et imprégné d'une inquiétante noirceur.
Jacques Verdier, critique d'art de vingt-huit ans, s'est suicidé à son domicile, à Paris. Il a laissé à l'attention du commissaire qui constatera les faits une courte lettre et un pli. Dans ce pli, un manuscrit au titre intrigant, Un amour, récit-confession de sa vie. Car Jacques Verdier était persuadé de porter en lui un "fatal pouvoir", une malédiction qui condamnait à mort ses proches. Et en effet, bien malgré lui, le défunt semble avoir provoqué depuis sa plus tendre enfance d'épouvantables événements : crises cardiaques, chutes, empoisonnements, brûlures... les accidents mortels se sont multipliés autour de lui jusqu'à ce que la question lancinante de sa propre responsabilité l'accule à envisager une solution radicale. Jacques portait-il en lui, comme il le croyait, un "principe de mort" ?
L'histoire de cet homme persuadé de porter en lui un "principe de mort" est angoissante et aurait pu être terrifiante et tragique. Hélas ! Le style froid, guindé, assez laborieux par moment, place le lecteur à distance du récit. De plus le héros s'avère assez méprisable. Il est veule, larmoyant, d'un égoïsme tel qu'il s'indigne et s'apitoie uniquement sur son propre sort, ce qui empêche le lecteur d'éprouver une quelconque empathie pour lui. Enfin, la fin du roman paraît bâclée, inachevée, et est assez décevante.
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Félix Vallotton, La Vie meurtrière, éd. Phébus, coll. Libretto, 2009 (1907-1908), 205 pages, 10 €.
11:13 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : félix vallotton, mort, paris, accidents, malédiction
01/10/2008
Le Fiancé de la lune – Eric Genetet (2008)
Toujours entre deux hôtels, deux filles, deux missions, deux avions, Arno Reyes, la quarantaine, vit libre et sans attaches. Jusqu'au jour où il tombe fou amoureux de Giannina, jeune chanteuse de jazz. Rencontre, coup de foudre, passion, vie commune, bébé, routine et usure...
Avec «quand l'amour s'emballe» en exergue sur la couverture, j'étais assez méfiante en prenant ce livre. Mais le titre, Le Fiancé de la lune, poétique et intriguant, m'a fait l'ouvrir malgré mes réticences. Et puis, une belle histoire d'amour, de temps en temps, ça fait du bien... Hélas ! L'histoire est d'une banalité affligeante et le style télégraphique, d'une pauvreté navrante. Certes, on est tous un peu niais quand on est amoureux, mais cela ne peut en aucun cas justifier des dialogues d'une telle inconsistance :
« - J'aime Paris. Avait dit Arno.
- J'aime la vie à Paris, la nuit, quand le vent souffle sur les toits. Avait dit Giannina.
- J'aime Paris. Avait répété Arno.
- J'aime aussi... Le goût de l'Aspégic dans tes baisers.
- Je deviendrai le souffle sur ta peau, sur ton ventre, sur tes seins, sur tes pieds.
- Tu vois mes pieds dans la glace ?
- J'aime tes pieds dans la glace Giannina.
- J'aime les pieds de Paris dans la glace.
- J'aime le goût de l'Aspégic. Avait répondu Arno.
- J'aime aussi... Le goût de la pluie.
- Je suis la pluie sur ta peau.
- Tu es la pluie sur ma peau.
- Je suis la nuit sur Paris. »
?!!??? Vraiment, les mots me manquent... De plus je suis totalement réfractaire au style SMS parfois employé dans la première partie du roman et utilisé afin d'ancrer le récit dans l'époque actuelle.
Le personnage principal, Arno donc, n'est en outre pas sympathique : toujours fuyant, jamais satisfait, vite rassasié. Son "amour fou" retombe aussi vite qu'un soufflet. Décevant. Le personnage de Giannina (mais qu'est-ce qu'elle lui trouve ?) m'a paru plus intéressant, mais pas assez développé pour s'y attacher réellement (ce n'est pas elle le sujet de l'histoire, mais ce cher Arno, très égocentré).
La seule raison qui m'a retenue de refermer ce livre avant la fin est que dès le début on sent une ombre planer sur cette histoire... La concrétisation de cette ombre rend la seconde partie du roman plus intéressante, quoique franchement prévisible.
BlueGrey
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Eric Genetet, Le Fiancé de la lune, éd Héloïse d’Ormesson, 2008, 123 pages, 15 €.
Les avis de Clarabel et Argantel.
Merci à Chez les filles et aux Editions Héloïse d'Ormesson de m'avoir envoyé ce livre.
12:30 | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : littérature, livre, roman, amour, paris
01/11/2007
[théâtre] Mes meilleurs ennuis
Genre : mes amis, mes amours, mes emmerdes
Comme vous avez pu le constater ces derniers temps, je ne suis pas très présente ni sur ce blog, ni sur les vôtres : je suis prise par le boulot et l'organisation de mon déménagement qui est pour la fin du mois et avant ça je pars bientôt pour une semaine en Chine... Donc, pas mal de trucs à gérer en même temps ! J'ai aussi du faire un aller-retour flash-éclair sur Paris en début de semaine pour mon boulot. Mais j'en ai tout de même profité pour aller voir une pièce de théâtre (choisie complètement au hasard) au Café d'Edgar, une toute petite salle où l'on se retrouve à 2 mètres de distance des acteurs.
Ça s'appelle donc Mes meilleurs ennuis et c'est le récit d'une matinée bien agitée dans la vie de frères jumeaux. Au matin du mariage de leur sœur les deux frères voient un par un les problèmes s'écrouler dans leur appartement : la copine se croit enceinte, la sœurette ne veut plus se marier, la concierge vient faire du music-hall dans leur salon, les huissiers vont débarquer, un copain rechercher par la police vient se cacher, la commissaire débarque, un autre copain déprime et la maman téléphone chaque 5 minutes à ses fils chéris... Bref, les catastrophes s'accumulent dans une joyeuse pagaille !
Il s'agit donc d'une comédie délirante au rythme soutenu dans laquelle les portes claquent, les quiproquos s'enchaînent et les amis d'hier deviennent les ennuis d'aujourd'hui. C'est foutraque et bruyant, surjoué parfois, ça part dans tous les sens et le tout vire rapidement au délire collectif d'une galerie de personnages un peu dingos, interprétés par une joyeuse bande de comédiens hyper dynamiques qui s'éclatent sur scène. Au final donc, une comédie sympathique, quoiqu'un peu brouillonne, mais tout de même de quoi passer une bonne soirée.
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Mes meilleurs ennuis
Comédie écrite et mise en scène par Guillaume Mélanie
Avec Julie Capronnier, Caroline Desfêtes, Mélanie Kah, Arnaud Allain, Jérôme Paza et Francis Prieur
Chorégraphie de Lydie Muller
Pièce vue le 30/10/2007 au Café d'Edgar, 58 boulevard Edgar Quinet, 75014 Paris
19:10 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : théâtre, paris, amis
24/01/2007
Le Parfum, Histoire d'un meurtrier - Patrick Süskind (1985)
«Au XVIIIe siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus abominables de cette époque qui pourtant ne manqua pas de génies abominables. C'est son histoire qu'il s'agit de raconter ici. Il s'appelait Jean-Baptiste Grenouille et si son nom, à la différences de ceux d'autres scélérats de génie comme par exemple Sade, Saint-Just, Fouché, Bonaparte, etc., est aujourd'hui tombé dans l'oubli, ce n'est assurément pas que Grenouille fût moins bouffi d'orgueil, moins ennemi de l'humanité, moins immoral, en un mot moins impie que ces malfaisants plus illustres, mais c'est que son génie et son unique ambition se bornèrent à un domaine qui ne laisse point de traces dans l'histoire : au royaume évanescent des odeurs.»
Le parfum est le récit d'un parcours initiatique, c'est l'histoire d'une quête, la quête de son identité par le “héros”, Jean-Baptiste Grenouille, le dément, terrifiant, abominable, pitoyable et touchant nabot Grenouille...
Grenouille est né dans la puanteur du quartier le plus nauséabond de Paris, dans «son haleine mauvaise, immense et aux milles nuances». Il est né sans parents, ni amour, ni odeur, mais avec un don hors norme : un odorat extraordinairement fin. Grenouille perçoit le monde uniquement avec son nez, qui est sa seule source de jouissance. Son nez absolu lui permet de saisir les exhalaisons les plus imperceptibles et sans distinction hiérarchique, il se pénètre de la moindre senteur. Tout d'abord frénétiquement, puis avec méthode, il capte les odeurs, les reconnaît, les mémorise, les classifie, les emmagasine et les assemble mentalement. A la recherche d'un moyen pour exister aux yeux des autres, mais aussi à ses propres yeux, il voue sa vie à un projet démiurgique : créer LE parfum unique, le principe supérieur d'un parfum apothéotique, car «qui maîtrisait les odeurs maîtrisait le cœur des hommes». Et pour trouver la source odoriférante du parfum absolu qu'il veut créer, le monstre Grenouille ne connaît aucune limite, quitte à tuer pour capter et s'approprier le doux parfum des jeunes filles.
L'auteur nous plonge dans un monde inattendu, à la fois grotesque et magique, poétique et morbide, et surtout captivant. Chaque page de ce roman exhale une odeur particulière, chaque page est saturée de senteurs : essences raffinées de fleurs, puanteur de Paris, délicate fragrance de jeunes filles, tout est mêlé, avec une extraordinaire virtuosité. Les pages de ce roman défilent en une cascade olfactive jusqu'à l'ultime expérimentation quasi-mystique de Grenouille, un final déroutant et surréaliste.
«Lui, Jean-Baptiste Grenouille, né sans odeur à l'endroit le plus puant du monde, issu de l'ordure, de la crotte et de la pourriture, lui qui avait poussé sans amour et vécu sans la chaleur d'une âme humaine, uniquement à force de révolte et de dégoût, petit, bossu, boiteux, laid, tenu à l'écart, abominable à l'intérieur comme à l'extérieur, il était parvenu à se rendre aimable aux yeux du monde. Se rendre aimable était trop peu dire ! Il était aimé ! Vénéré ! Adoré !»
BlueGrey
Patrick Süskind, Le Parfum, Histoire d'un meurtrier, traduit de l'allemand par Bernard Lortholary, éd. LGF, coll. Le Livre de Poche, 2006, 279 pages, 5,50 €.
19:55 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, roman, parfum, Paris, Grasse
06/11/2006
Gros-Câlin - Romain Gary (Emile Ajar) [1974]
Michel Cousin vit à Paris, travaille dans les statistiques et rêve d’une idylle avec Melle Dreyfus, une collègue. Mais surtout Michel Cousin souffre atrocement de solitude. Alors, pour combler le vide de son existence et à défaut de trouver l’amour chez ses contemporains, il adopte un serpent python, Gros-Câlin, capable de l’enlacer dans une puissante étreinte affectueusement. Mais élever un python de deux mètres vingt dans un 20m2 parisien n’est pas chose aisée...
Progressivement le lecteur comprend que le reptile est en fait une projection ou un prolongement de Michel Cousin lui-même. Il matérialise l’inadéquation du personnage à son environnement, sa peur de la solitude et son besoin d’affection et de liberté, son récit étant un poignant cri d’angoisse.
Ce livre repose à la fois sur l’histoire et sur le langage. En effet dès les premières lignes de ce livre-monologue inattendu Romain Gary met en garde le lecteur sur le langage employé par Michel Cousin : « Je dois donc m’excuser de certaines mutilations, mal-emplois, sauts de carpe, entorses, refus d’obéissance, crabismes, strabismes et immigrations sauvages du langage, syntaxe et vocabulaire. » Oui mais voilà, ces calembours, légers délires, mots employés pour d’autres, incorrections langagières volontaires et insensées, et autres figures de style, bien qu’ayant une vertu comique, m’ont passablement ennuyés et même agacés par leur surabondance. Honnêtement, j’ai eu du mal à finir ce récit.
Malgré cela j’ai relevé certains passages particulièrement farfelus, corrosifs, tendres ou simplement rigolots que j’ai bien apprécié et qui m’ont permis de persister et de finir la lecture de ce récit saugrenu :
« Il ne s’agit pas seulement de tirer votre épingle du jeu, mais de bouleverser tous les rapports du jeu avec des épingles. »
« Moi, j’étais ailleurs, avec mon sourire qui était content de me revoir. »
« D’ailleurs, mon problème principal n’est pas tellement mon chez-moi mais mon chez-les-autres. La rue. Ainsi qu’on l’a remarqué sans cesse dans ce texte, il y a dix millions d’usagés dans la région parisienne et on les sent bien, qui ne sont pas là, mais moi, j’ai parfois l’impression qu’ils sont cent millions qui ne sont pas là, et c’est l’angoisse, une telle quantité d’absence. J’en attrape des sueurs d’inexistence. »
« Beaucoup de gens se sentent mal dans leur peau, parce que ce n’est pas la leur. »
« Le fauteuil, surtout, m’est sympathique, avec son air décontracté, qui fume la pipe, en tweed anglais ; il semblait toujours se reposer après de longs voyages et on sentait qu’il avait beaucoup de choses à raconter. »
« L’amour est peut-être la plus belle forme du dialogue que l’homme a inventé pour se répondre à lui-même. »
« Peut-être qu’il entendait une musique intérieure formidable, avec caisses, violons et percussions et il voulait la faire écouter au monde entier dans un but de générosité, mais il faut un public, des amateurs, de l’attention, et des moyens d’expression, les gens n’aiment pas s’habiller et se déranger pour rien. C’est ce qu’on appelle, justement, de concert. La musique à l’intérieur est une chose qui a besoin d’aide extérieure, sans quoi elle fait un bruit infernal parce que personne ne l’entend. »
« Chacun de vous est entouré de millions de gens, c’est la solitude. »
« Jaime les coquelicots à cause du nom qu’ils portent, co-que-li-cots. C’est gai et il y a même là-dedans des rires d’enfants heureux. »
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Romain Gary, Gros-Câlin, éd. Gallimard, coll. folio, 1977, 214 pages, 5,10 €.
Du même auteur : L'angoisse du roi Salomon
22:15 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, roman, paris, python, serpent, solitude