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14/08/2008

Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie – Yôko Ogawa (1990-1991)

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29914a0230d231dd9e8b7ee235bc8036.gifVoici donc un petit recueil de deux nouvelles, deux histoires de rencontres.

Dans la première nouvelle, Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, quelques temps avant son mariage, la narratrice rencontre un enfant et son père, tous deux plongés dans la contemplation d'un restaurant scolaire. La conversation s'installe et l'homme lui raconte pourquoi l'image d'un réfectoire le soir évoque pour lui le souvenir d'une piscine sous la pluie.

Dans Un thé qui ne refroidit pas, la narratrice retrouve un camarade de classe lors d'un enterrement. Invitée chez lui quelques jours plus tard, elle y rencontre sa femme, fascinante et troublante : « [...] elle était belle à couper le souffle. D'une beauté qui risquait de disparaître si l'on essayait de la saisir. »

Situés dans un contexte social et quotidien bien établi (un mariage et un enterrement), ces deux récits prennent rapidement une dimension toute autre, vers quelque chose d'abstrait et d'impalpable, de l'ordre de l'indéfinissable qui se produit lors d'une rencontre. Avec finesse et subtilité Yôko Ogawa effleure l'intime et l'inconscient de personnages vivant des instants simples mais précieux, des instants comme hors du temps, parenthèses de leur existence.

Si la première histoire m'a laissée indifférente, j'ai par contre beaucoup aimé la seconde, au charme discret et quelque peu désuet. Il ne se passe pour ainsi dire rien dans ce récit, ou pas grand-chose, aucune "action", et pourtant il se passe quelque chose malgré tout, quelque chose en nous, on "ressent" beaucoup. Une sensation de fragilité et de mélancolie, difficile à déterminer, émane du récit et lentement submerge le lecteur. Avec ces mots précis pour évoquer un amour tel une évidence, Yôko Ogawa nous offre un récit limpide et simplement beau.

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Yôko Ogawa, Le réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, éd. Actes Sud, coll. Babel, 1998 (1190-1991), 105 pages, 6,50 €.

Les avis de Tamara et Lou.

21/07/2007

Soie – Alessandro Baricco (1996)

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bb850bf6e6c10f0d6bdbe79dfd4cdeee.gif Soie, c'est un promesse de douceur et d'évanescence, un petit mot qui contient tout un univers... L'intégralité du roman ressemble à ce petit mot ténu et évanescent. Soie c'est, à première vue, une histoire de rien du tout, un tout petit roman, une centaine de pages, 65 courts chapitres. L'histoire ? Simple. Dans les années 1860, pour sauver les élevages de vers à soie de Lavilledieu (bourgade du sud de la France) contaminés par une épidémie, Hervé Joncour entreprend quatre expéditions au Japon pour acheter des œufs sains. La loi nippone en interdisant le commerce, il fait affaire avec le trafiquant Hara Kei et croise ainsi la mystérieuse et fascinante compagne du bandit.

Le récit des quatre voyages entrepris par Joncour est chaque fois identique. Une page pour l'aller, une pour le retour. Toujours les mêmes, à un mot près. Façon d'indiquer que l'essentiel n'est pas dans le voyage, long et monotone, mais dans ces quelques jours permettant à Joncour d'apercevoir la belle ensorceleuse. Jamais Joncour et sa belle n'échangeront une parole, juste quelques regards, d'infimes effleurements de doigts... Amour impossible qui se poursuit sans jamais avoir réellement commencé. A quatre reprises Joncour se rendra au Japon, à quatre reprises il reviendra vers son épouse, Hélène, et jusqu'au bout Joncour et Hélène recouvriront cette infidélité virtuelle, entêtante, d'un voile de silence. Et finalement, c'est Hélène qui lui offrira la plus belle preuve d'amour.

Ce qui fascine et séduit dans ce roman, ce n'est pas tant l'intrigue que l'aisance, la légèreté du style, aérien, qui tend à l'épure, plein de mystères, de non-dits, de silences et de retenu. Les personnages sont faits de désirs et de passions contenus, variation infiniment légère et subtile sur le thème de la trahison. Un très beau roman, tout en douceur et en évocations faites à mi-voix...

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Alessandro Baricco, Soie (Seta), traduit de l'italien par Françoise Brun, éd. Albin Michel, 1997 (1996), 120 pages, 12 €.

Du même auteur : Océan mer et Sans sang

27/06/2007

Le dernier souper – Shûsaku Endô (1959-1985)

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2a593137400f94bc5a22d61b3a2ad72a.gifShûsaku Endô est né à Tokyo en 1923 et lorsque ses parents divorcent il est élevé par sa mère, une femme très catholique qui le fait baptiser en 1935 sous le nom de Paul. Mais être catholique au Japon dans les années 1930 n'était pas très bien perçu et donc pas toujours facile à vivre. A leur lecture on sent que c'est de son vécu et de son expérience que Shûsaku Endô a nourrit les trois nouvelles de ce court recueil dans lequel il questionne la place de la foi chrétienne au Japon, pays aux traditions ancestrales mais résolument tourné vers l'avenir.

Dans le premier récit, Les ombres, le narrateur rédige une lettre au prêtre qui a fait son éducation, une lettre entre amertume et admiration pour un homme en apparence fort de sa religion, mais qui a fauté. «Je ne sais pas si je vous enverrai cette lettre. Je vous en ai déjà écrite trois, mais ou je me suis arrêté en route, ou je les ai fourrés dans le tiroir de mon bureau sans jamais les poster.» Au final, on ne sait si le narrateur blâme ou comprend son ancien mentor, sans doute ne le sait-il pas vraiment lui-même...

Dans la seconde histoire, Le retour, le narrateur, à l'occasion de l'exhumation de sa mère, s'interroge sur la place que notre vie laisse à la mort, sur les choix qui déterminent nos vies, et sur la nécessité du retour pour les expatriés. «A droite de la pierre étaient gravés le nom et la date du décès de ma mère et, à côté, ceux de mon frère. Je contemplai avec émotion les deux inscriptions et remarquai qu'il restait un grand vide sur la gauche... Oui, un jour, mon nom gravé près des leurs.»

Enfin dans la troisième nouvelle, Le dernier souper, on se demande quel secret Tsukada tente d'oublier – ou d'expier – dans l'alcool. «Etre médecin ne constitue pas une profession, c’est la même chose qu’être prêtre, avec la mission de porter la misère du monde.» Malheureusement son épilogue mélodramatique a ôté tout l'intérêt que j'avais retrouvé pour ce livre grâce à cette nouvelle.

L'écriture sobre de Shûsaku Endô mêle fiction et introspection mais n'évite malheureusement pas l'écueil du pathétique dans ces trois nouvelles, marquées par la souffrance d'un catholicisme vécu tel un fardeau par le narrateur, entre péché et obsession du rachat.

 

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Shûsaku Endô, Le dernier souper, traduit du japonais par Minh Nguyen-Mordvinoff, éd. Denoël, coll. Folio, 2003 (1959-1985), 107 pages, 2 €.

19/12/2006

Chroniques de l'oiseau à ressort - Haruki Murakami (1994)

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medium_chroniquesdeloiseau.gifLe personnage principal de ces chroniques, Toru Okada, est un jeune homme ordinaire vivant dans la banlieue de Tokyo. C'est un chômeur à la vie bien rangée qui s'occupe petitement durant la journée en attendant le retour du travail de sa femme qu'il adore, Kumiko. Il est un peu englué dans son existence banale mais il en est heureux, de son existence banale. Du moins, c'est comme ça que ça nous parait au début, avant que le quotidien de Toru ne dérape dans l'absurde. Son chat disparaît, une inconnue joue de ses charmes au téléphone, puis sa femme le quitte sans raison apparente, et l'on comprend que la grisaille du contexte n'était là que pour mieux souligner le surgissement du fantastique. Car ces évènements anodins suffisent à faire basculer la vie de Toru à la frontière entre réel et imaginaire. L'espace limité de son quotidien devient alors le théâtre d'une quête où rêves, réminiscences et réalités se confondent. Petit à petit toute la vie de Toru va basculer dans un univers parallèle, sans jamais lâcher totalement prise avec la vraisemblance, tout en s'en éloignant concentriquement. Car autour de Toru, homme ordinaire et seul, vrombissent des forces occultes : les femmes disparaissent, profèrent des sentences médiumniques, errent avec un chapeau de plastique rouge sur la tête, jouent les lolita ou deviennent des prostituées de la conscience.

« Sans aucun doute, ma vie prenait un tour étrange. Le chat avait disparu. Des femmes bizarres me donnaient des coups de fil insensés. J'avais fait la connaissance d'une femme étrange, j'étais entré dans le jardin de la maison vide de la ruelle, appris que Noboru Wataya avait violé Creta Kano. Malta Kano avait prédit que je retrouverais ma cravate. Ma femme m'avait dit que ce n'était plus la peine que je cherche du travail. J'éteignis la radio, remis les «Carnets de la ménagère» sur l'étagère, bus une autre tasse de café. »

Toru aborde ces évènements avec placidité, et le lecteur, à sa suite, accepte les étrangetés du récit en les incluant dans la normalité. Alors, quand Toru descend au fond d'un puits pour y faire l'expérience de la mort, on l'y suit, sans hésitation, en trouvant ça presque normal et anodin.

Qualifié de "surréalisme soft", le style de Haruki Murakami est envoûtant et son écriture est magistrale, capable de nous horrifier totalement pour nous désarçonner juste après, et cela sans jamais se départir d'un humour où perce la détresse. Haruki Murakami emmène doucement le lecteur de la réalité vers l'imaginaire, voire le fantastique, dans un récit labyrinthique à la profusion de sens noyauté par l'absurde où, toujours plus fuyante, la réalité n'en devient que plus envoûtante.

« Cela me rappelait les films d'art et d'essai que j'allais voir quand j'étais étudiant, où rien de ce qui se passait n'était jamais expliqué. Toute explication logique risquait de porter atteinte au "réalisme" du film. C'était une façon de voir, une philosophie comme une autre. Mais pour moi, homme réel et non de pellicule, c'était étrange de me trouver plongé dans ce monde-là. »

Le lecteur se délecte de chaque mot, chaque phrase, chaque intrigue entremêlée, et, au fil des pages, est pris de vertige au point qu'il lui devient franchement difficile d'en démêler le sens final. Et c'est précisément dans cette forme d'égarement que se trouve une partie de la magie de l'écriture de Haruki Murakami.

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Haruki Murakami, Chroniques de l'oiseau à ressort, traduit du japonais par Corinne Atlan et Karine Chesneau, éd. du Seuil, coll. Points, 2004, 847 pages, 10 €.

Du même auteur : Kafka sur le rivage

18/09/2006

Naufrages - Akira Yoshimura (1982)

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medium_naufrages.gifIsaku, jeune garçon de neuf ans, apprend la vie en grandissant au cœur d'un village de pêcheurs coincés entre mer et montagnes. Son père est parti "se louer" comme force de travail laissant à son fils aîné mais pourtant si jeune la lourde responsabilité de sa famille. Pour échapper à la misère omniprésente les villageois se soumettent à une étrange coutume en se faisant naufrageurs : les nuits de tempêtes ils allument de grands feux sur la plage, attendant que des navires en difficulté, trompés par la lumière, viennent s'échouer sur les récifs, afin de les piller après en avoir tué l'équipage. Hors du temps, hors du monde, le village ne survit que par sa monstruosité. Bien sûr, il devra en payer le prix...

Akira Yoshimura nous propose ici un conte philosophique inspiré d'une légende japonaise. Sombre et cruel, ce récit parabolique épouse avec mélancolie le rythme lent des saisons au fil desquelles Isaku découvre le destin violent dévolu à ses semblables. A la fois sublime, triste et rude ce récit d'une grande intensité est souligné par une écriture austère, épurée à l'extrême, à la limite de l'exsangue et d'une remarquable précision.

 

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Akira Yoshimura, Naufrages, traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle, éd. Acte Sud, coll. Babel, 2004, 192 pages, 7,50 €.