15/09/2010
Bohémiens
« Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la Haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre. C’est la haine qu’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. »
Gustave Flaubert, lettre à George Sand, 12 juin 1867.
09:24 Publié dans Citations | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : gustave flaubert, george sand, citation, bohémiens
09/09/2010
Nagasaki – Eric Faye [2010]
Cinquantenaire célibataire à la vie sans aspérités ni éclats, Shimara-San constate de minuscules changements dans son logis : des objets très légèrement déplacés en son absence, des aliments qui disparaissent de son réfrigérateur... à peine de quoi attirer son attention, mais suffisamment pour qu'insidieusement un doute s'installe dans son esprit. Shimara-San redouble alors de vigilance et installe une webcam dans sa cuisine pour pouvoir la surveiller de son bureau, à la station météo locale. Il découvre alors qu'en son absence une femme habite, littéralement, chez lui, et ce depuis presque un an ! La police interviendra, bien sûr, puis il y aura, inévitablement, un procès...
D'un fait divers paru dans un quotidien de Nagasaki, Eric Faye à fait un court roman qui, plutôt qu'à l'étrangeté fantastique de l'évènement (dont le mystère est levé dès les premières pages, dommage) s'intéresse aux personnages, à leurs failles. En effet cet homme et cette femme qui occupe le même logis, l'un en propriétaire, l'autre en clandestine, mais qui s'ignorent, s'avèrent étrangement semblables, bien plus proches l'un de l'autre que l'homme ne voudrait l'admettre : sous l'apparence d'une vie simple et discrète, même solitude, même détresse qui se tait.
L'auteur à donc pris le parti d'évincer la dimension fantastique du récit pour se consacrer à la psychologie des personnages. Malheureusement celle-ci reste très superficielle. En effet, exprimer le sentiment d'intrusion, presque de viol, ressenti par l'homme, tient de l'évidence. Quant au parallèle établi entre l'homme et l'intruse, il aurait pu être intéressant s'il avait été réellement développé et pas simplement décrété. Il est dommage d'ainsi sous-exploiter une intrigue potentiellement riche ! De plus le style improbable, un mélange d'épure japonaise, d'oralité et de lourdeur syntaxique, s'avère trop décousu pour être plaisant. Enfin le retournement final est totalement stérile ; il n'apporte absolument rien au récit, et au lecteur, juste un peu plus d'exaspération.
______________________________
Eric Faye, Nagasaki, éd. Stock, coll. La Bleue, 2010, 112 pages, 13 €.
08:37 | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : nagasaki, eric faye, japon, intrusion
06/09/2010
L'Echappée belle – Anna Gavalda [2001]
Simon, Garance et Lola, trois frères et sœurs devenus grands (vieux ?), s'enfuient d'un mariage de famille assommant pour aller rejoindre Vincent, le petit frère, devenu guide saisonnier dans un château perdu au fin fond de la campagne tourangelle. Oubliant pour quelques heures marmaille, conjoint, divorce, soucis et mondanités, ils vont s'offrir une dernière vraie belle journée d'enfance volée à leur vie d'adulte.
L'idée du récit, une dernière « tartine d'enfance » pour une fratrie nouvellement trentenaire, façon "tranche de vie", a de quoi séduire. Hélas, Anna Gavalda additionne les clichés avec une sorte de délectation déconcertante (à ce titre, la scène des parisiens débarquant au mariage campagnard, chez les ploucs donc, est ahurissante : une collection de stéréotypes égrainés avec une sorte de condescendance naïve confondante). Quant aux personnages, ils sont tous caricaturaux (l'héroïne jeune femme cultivée, libérée et fière d'elle, le frère parfait qui a pourtant épousé la parfaite chieuse, le benêt du village pervers, le beauf aux blagues douteuses...). De plus, les souvenirs d'enfance, qui auraient pu servir de liant au récit, ne sont évoqués que sous forme d'énumérations façon listes de courses : 3 pages sur les chansons qu'on écoutait quand on était jeune !
Enfin, et pour en finir, on a parfois l'impression d'avoir en main non un roman, mais plutôt un catalogue de VPC : j'ai compté pas moins de 36 noms de marque cités ! Qui a dit « n'importe quoi » ? La preuve par la liste (oui, je les ai tous noté, on s'occupe comme on peut quand une lecture nous em...nnuie) : Persol, Clinique, Guerlain, Estée Lauder, Biotherm, Tod’s, Kaufman & Broad, Meetic, Célio, La Caisse d’Epargne, Castorama, Leroy Merlin, McDonald’s, Pokémon, Casino, Audi, Téfal, Kleenex, Meccano, Lego System, Nesquik, Ovomaltine, Babybel, Caran d’Ache, Kellogg’s, Club Mickey, Ténormine, Paris Match, Closer, Ralph Lauren, Playmobil, Benco, Malabar, Gucci, Uncle Ben’s, Valstar. Un vrai tunnel publicitaire ! Madame Gavalda toucherait-elle des commissions pour les placements de marques dans son roman ?
______________________________
Anna Gavalda, L'Echappée belle, coll. Le Dilettante, 2009 (2001), 164 pages, 10 €.
Du même auteur : Je l'aimais, Ensemble, c'est tout.
08:36 | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : anna gavalda, littérature française, littérature contemporaine, fratrie, enfance
03/09/2010
Série Z – J. M. Erre [2010]
Félix Zac, trentenaire glandeur nouvellement père de famille, vit aux crochets de Sophie, prof de sciences naturelles dans un collège classé ZEP. Sophie a de nombreuses qualités, la plus remarquable étant sans conteste de supporter Félix ! Bien qu'il lui arrive souvent d'émettre de sérieux doutes sur la santé mentale de son ami qui a tendance à mélanger fiction et vie réelle... En effet Félix, cinéphile passionnée, collectionne tous les chefs-d'œuvre du septième art navrant : de « l'érotico-fantastique, du western spaghetti, de la comédie franchouillarde, de l'horreur fauchée, du giallo italien, du film d'action post apocalyptique... »
En outre, Félix écrit des scénarios. De nanars bien sûr. Mais qu'il n'achève jamais. Jusqu'au jour où, mystérieusement inspiré, il met le point final à L'Hospice de l'Angoisse, un thriller macabre et improbable dont l'intrigue se situe dans une non moins étrange résidence gériatrique, La Niche-Saint-Luc, où de vieux acteurs de "séries Z" terminent leur existence. Et les ennuis commencent pour Félix lorsqu'on découvre que la maison de retraite de La Niche-Saint-Luc existe vraiment et que les cadavres s'y ramassent à la pelle...
A cette intrigue déjà totalement rocambolesque s'ajoute des extraits du scénario de Félix ; des citations des carnets de l'inspecteur (un peu benêt) Galachu, enquêtant sur les disparus de la Niche-Saint-Luc ; les hypothétiques réactions d'un lecteur du livre, M. Hubert C. de Knokke-le-Zoute, dont on se demande s'il va poursuivre sa lecture navrante ; sans oublier les articles du blog tenu par Félix, Les Zélucubrations du docteur Z, consacré à la réhabilitation des nanars. Dans ce dernier on trouve, entre autre, une analyse portant sur les sagas des morts-vivants, dont voici un extrait, juste pour le plaisir :
« Du sang, du pus, des morceaux de chair décomposés, le verdict est sans appel pour une majorité de spectateurs : le zombie est trop dégoûtant. Aux morts-vivants, on préfère de loin le romantisme de Dracula, le délire scientiste de Frankenstein ou l'érotisme trouble des sorcières poursuivies par l'Inquisition qui leur brûle les tétons au fer rouge. On peut le comprendre (surtout pour les tétons des sorcières), mais il n'est pas interdit de voir plus loin. Si le film de zombies fait peur, c'est qu'il nous parle d'une réalité qu'on cherche à fuir tout notre vie : la vieillesse.
Que sont les films de zombies sinon l'irruption de la vieillesse sous sa forme la plus angoissante dans un univers marqué par la jeunesse et l'insouciance ? Qui se fait bouffer dans ces films-là ? Toujours des ados ahuris qui ne pensent qu'à picopuler (picoler et copuler en même temps). Les garçons sont athlétiques, les filles ont la poitrine gonflée, ils sont une injure au temps qui passe. Mais celui-ci les rattrape ! Sous la forme de morts-vivants qui les harcèlent et les dévorent. Vous avez remarqué que les jeunes qui courent super vite se font toujours rattraper par des cadavres disloqués qui se déplacent à trois mètres à l'heure ? Qu'est-ce que cela montre sinon qu'on ne peut pas lutter contre le temps qui nous ronge ?
La conclusion, c'est que les gens rejettent les films de zombies non parce qu'ils sont trop dégoûtants, mais parce qu'ils sont trop métaphysiques.
Même si ça ne se voit pas tout de suite. » (p. 127-128)
Série Z est une comédie littéraire décontractée, totalement loufoque et déjantée, qui joue avec le lecteur : c'est truffé de facilités langagières, d'incohérences narratives, de rebondissements improbables, d'énigmes palpitantes, de pièges diaboliques et de chausse-trappes alambiquées, ce qui, d'habitude, serait tout à fait impardonnable, mais qui ici correspond totalement à l'esprit du genre, et fait de ce roman un bel hommage à l'univers si peu (re)connu du "cinéma bis". C'est cocasse et absurde, mais c'est aussi tendre et plus sérieux quand sous la farce pointe la bienveillance de l'auteur qui nous parle aussi bien de la difficulté de devenir un adulte responsable que de la tristesse liée au vieillissement. Bref, un excellent divertissement, drôle et malin, qui mêle habilement humour, humanité et légèreté.
Pour finir, encore quelques extraits, parce que décidément j'aime ça!
« Le cinéma bis est une expérience artistique révolutionnaire scandaleusement incomprise. […] Le cinéma bis déstabilise le spectateur en remettant en question la notion même de genre cinématographique. Ainsi, dans le bis, le film comique ne fait pas rire et le film d'horreur ne fait pas peur. Mieux encore : dans le bis, le film d'horreur fait rire et le film comique finit par angoisser les esprits les plus résistants. […] L'accusation de médiocrité ne sert donc qu'à masquer la peur d'esprits petits-bourgeois installés dans leur conformisme culturel face à un art fondamentalement libre. » Et toc ! (p. 30-31)
Et enfin, un extrait de dialogue entre Félix et sa compagne Soso :
« - Tu oses prétendre que L'Attaque de la moussaka géante est "quelque chose d’important" ?
- C'est un film qui dénonce la malbouffe avec beaucoup d'humour ! Il en dit long sur les effets de la mondialisation dans le domaine culinaire.
- Et ça ? Mon curé chez les nudistes ! C'est essentiel ?
- Derrière la farce gauloise, on peut voir une métaphore de la difficile adaptation de l'Église catholique au monde post-soixante-huitard. » (p. 82) Pfff ! Je me marre !
______________________________
J. M. Erre, Série Z, éd. Buchet-Chastel, 2010, 368 pages, 20 €.
10:30 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : j. m. erre, cinéma bis, humour