30/01/2011
Le roman d’Oxford – Javier Marías [1989]
Venu enseigner la littérature espagnole à Oxford, le narrateur, un madrilène quarantenaire, se retrouve désœuvré (il a peu d'heures de cours) et désorienté (Oxford étant un microcosme très particulier). L'homme traverse une crise (simple ennui ? Déprime ?), appelée "perturbation", qu'il tente de dominer : il entame une liaison avec Clare, une collègue mariée ; discute avec Cromer-Blake, son seul ami anglais, gravement malade ; fouille chez les bouquinistes à la recherche des œuvres d'un auteur oublié, Gasworth... et ironise sur les us et coutumes oxfordiens (le milieu universitaire délétère, les conflits de personnalités, les ragots diffusés avec délectation, et même les traditions en espionnage).
Ce roman raconte donc les deux années que le narrateur passa à Oxford, en une suite d'anecdotes et de moments de vie, parsemés de quelques réflexions sur le devenir de l'Homme, la vieillesse, la maladie ou encore l'amour... Si certains (malheureusement trop peu) de ces épisodes oxfordiens sont irrésistibles d'ironie et de drôlerie (par exemple la description d'un dîner en "high table", tradition oxfordienne guindée et barbante où les universitaires, en toges, se retrouvent autour d'un repas officiel et pantagruélique, mais qui vire au vaudeville à force d'alcool) le tout est assez décousu et inégal. De plus le style, lourd et alambiqué (les phrases sont interminables et les redondances abondent), et l'écriture froide et sèche excluent la moindre empathie pour le narrateur. On reste donc très extérieur à toute cette histoire et petit à petit on est tout simplement gagné par l'ennui...
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Javier Marías, Le roman d'Oxford (Todas las almas), traduit de l'espagnol par Anne-Marie Geninet et Alain Keruzoré, éd. Gallimard, coll. Folio, 2006 (1989), 329 pages, 7,30 €.
Un livre proposé par Lune de pluie.
Les avis de Karine, Doriane, Hathaway, Stephie, Fashion, Yueyin, Isil, Armande, Keisha, Chimère & Yoshi73.
19:39 Publié dans => La chaîne des livres | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : javier marías, littérature espagnole, oxford, angleterre, désoeuvrement, liaison, gasworth, université, la chaîne des livres
06/10/2009
Le jeu de l'ange – Carlos Ruiz Zafón (2008)
Barcelone, années 1920. David Martin est un jeune écrivain famélique, esclave d'un roman-feuilleton qu'il produit pour un tadem d'éditeurs-escrocs et dont il ne retire ni argent, ni gloire. Jusqu'à ce qu'il rencontre un éditeur parisien énigmatique qui lui propose un pacte méphistophélique : contre argent et santé, il devra écrire « une histoire pour laquelle les hommes seraient capables de vivre et de mourir, de tuer et d'être tués, d'offrir leur âme, de se sacrifier et de se damner ». Bref, une nouvelle religion ! Mais du jour où il accepte ce contrat, la vie de David bascule vers le drame... Ajoutez à cela une maison gothique, une chambre secrète, des courses-poursuites dans les ruelles de Barcelone, des morts violentes et sanglantes, un soupçon d'ésotérisme, une histoire d'amour absolu et, en "special guest star", le célébrissime Cimetière des Livres Oubliés, et vous aurez un bon aperçu de ce qui fait le piment de ce thriller fantastique et baroque.
Après L'ombre du vent, livre magique et ensorcelant que j'avais adoré, j'étais très impatiente de découvrir le nouveau roman de Carlos Ruis Zafon, Le jeu de l'ange, qui n'est pas la suite du premier, mais qui le précède de 20 ans. Et ce nouveau roman s'avère à la hauteur du premier : même maîtrise du récit à la composition impeccable et implacable, même style foisonnant (enflé diront certains), même Barcelone brumeuse et mortifère, même typologie de personnages attachants, même "piquant" dans les dialogues... Il est donc vrai que cela peut paraître un brin répétitif par rapport au précédent roman, et que le style, quant à lui, peu paraître hâtif, approximatif même parfois (mais n'est-ce pas en partie dû à la traduction ?). Il s'avère toutefois suffisamment efficace pour nous faire tourner page après page, fébrilement, pris par un suspens savamment distillé. Quant au dénouement, bien que trop "fantastique" à mon goût, il n'est pas parvenu à me faire oublier ma jubilation montante au fil des pages.
Enfin, ce livre est aussi un questionnement sur le travail d'écriture – ses affres et ses plaisirs – ainsi qu'un ardent plaidoyer pour la littérature, de petite ou grande facture. Presque tous les personnages de ce roman sont atteints de cette maladie rare, aussi virulente qu'improbable, dont nous autres LCA sommes aussi frappés : l'amour des livres. Entre obsession, fétichisme, vice, ou folie, les livres leur sont aussi précieux que l'oxygène. C'est dire si ce roman est délirant, car un monde où la littérature est aussi essentielle ne saurait être qu'extraordinaire ou farfelu !
« Un écrivain n'oublie jamais le moment où, pour la première fois, il a accepté un peu d'argent ou quelques éloges en échange d'une histoire. Il n'oublie jamais le moment où il a senti dans ses veines le doux poison de la vanité et cru que si personne ne découvrait son absence de talent, son rêve de littérature pourrait lui procurer un toit sur la tête, un vrai repas chaque soir et ce qu'il désirait le plus au monde : son nom imprimé sur un misérable bout de papier qui, il en est sûr, vivra plus longtemps que lui. Un écrivain est condamné à ce souvenir de ce moment, parce que, dès lors, il est perdu : son âme a un prix. »
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Carlos Ruiz Zafón, Le jeu de l'ange (El juego del ángel), traduit de l'espagnol par François Maspero, éd. Robert Laffont, 2009 (2008), 536 pages, 22 €.
Je remercie BoB et les éditions Robert Laffont pour l'envoi de ce livre.
Du même auteur : L'ombre du vent
12:19 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature espagnole, thriller, fantastique, barcelone