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05/11/2009

La convocation – Herta Müller (1997)

Si, comme a moi, le nom du dernier prix Nobel de littérature, Herta Müller, romancière allemande d'origine roumaine, vous était totalement inconnu, et si, comme moi, vous avez tenté d'en savoir plus, vous avez dû, comme moi, être assez désappointés. Car sur les dix-neuf livres qu'elle a publiés, seuls trois sont traduits en français ! Difficile donc de se faire sa propre opinion sur son œuvre... Mais puisqu'il faut bien commencer par quelque part, et puisque, dans les rayonnages de ma médiathèque, seul un de ses titres était disponible, voici donc ma chronique de La convocation. Puisse ma modeste contribution permettre d'éclairer un peu d'autres lecteurs potentiels de la dame. Car, si ce genre de Prix a une quelconque utilité, c'est bien de faire découvrir des auteurs méconnus...

 

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La convocation.gifUn jour, elle a glissé un message, un appel au secours enfantin, dans la poche des pantalons qu'elle confectionnait pour une grande maison de couture italienne : Ti aspetto. Ses petits papiers découverts, on les condamna, les qualifiant de prostitution sur le lieu de travail. Depuis, elle est régulièrement convoquée. Et dans le tramway qui la mène une fois de plus au bureau de la Securitate, la narratrice lutte pour ne pas se laisser entraîner par son angoisse et ne pas perdre la tête.

Ainsi, au grès de ses pensées, trois types de narration se succèdent et s'entremêlent : le regard de la narratrice sur le conducteur et les autres passagers du tramway, le retour sur les épisodes marquants de sa propre vie, et l'anticipation de son prochain interrogatoire. Car, bien qu'elle tente de la maintenir à distance, la réalité imminente est trop forte et s'impose par intermittence : la narratrice se voit devant son inquisiteur, le commandant Albu, un homme qui, chaque fois, lui écrase les doigts quand il lui baise la main et y laisse une trace mouillée, humiliante, et qui lui pose sans cesse les mêmes questions auxquelles elle ne sait plus quoi répondre.

Dans ce récit, l'attention est d'abord portée aux détails, à ce qui fait que la liberté des personnages se rétrécit inexorablement, que leur existence est comprimée par des humiliations quotidiennes, que leur humanité est niée avec une cruelle permanence. Herta Müller décrit avec finesse la réalité intime et journalière de la dictature, la peur rampante coutumière qu'elle impose sur chaque individu, sur chaque événement, moment et geste de la vie de tous les jours, et qui, insidieusement, influe sur tout et tout le monde, rendant chacun paranoïaque. Une dénonciation forte et habile de l'oppression vécue au quotidien.

Cette position résolument politique est servie par une langue comprimée, souvent difficile, et qui emprunte à la fois à la poésie et au langage populaire. En effet, la langue d'Herta Müller est ardue, caractérisée par des phrases courtes, mais aussi très imagée et riche en métaphores. Ces déambulations allégoriques perdent parfois un peu le lecteur dans leurs méandres, mais donnent aussi une certaine musicalité au récit. Cette forme singulière de l'écriture de Herta Müller surprend, déroute et finalement, quoique difficilement, conquiert.

« Dans mon désir de savoir comment marche la vie, en revenant de chez le cordonnier, je passai en revue toutes les possibilités d'en avoir assez du monde. La première et la meilleur : comme la plupart des gens, ne jamais être convoqué et ne jamais perdre la tête. La deuxième : ne jamais être convoqué mais perdre la tête, comme la femme du cordonnier et Madame Micu au rez-de-chaussée, près de l'entrée. La troisième : être convoqué et perdre la tête comme ces deux femmes que l'on avait rendues folles dans cet établissement. Être convoqué et ne jamais perdre la tête, comme Paul et moi, est la quatrième. Elle n'est pas particulièrement bonne, mais s'agissant de nous, c'est la meilleure. Sur le trottoir, il y avait une prune écrasée, des guêpes s'en gavaient, des petites qui venaient à peine de naître et des vieilles. Si une famille entière trouve place sur une prune, qu'est-ce que cela doit donner... Le soleil quittait la ville, attiré vers les champs. A première vue, il était fardé de couleurs criardes pour le soir, mais à bien y regarder, il était fusillé, rouge comme une masse de coquelicots, aurait dit l'officier de Lilli. Oui, c'est la cinquième possibilité : être jeune, belle plus que de raison, ne pas avoir perdu la tête mais être morte. Et pour cela, point besoin de s'appeler Lilli. »

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Herta Müller, La convocation (Heute wär ich mir lieber nicht begegnet), traduit de l'allemand par Claire de Oliveira, éd. Métaillé, coll. Bibliothèque allemande, 2001 (1997), 207 pages, 18,50 €.

04/09/2007

L'autobus - Eugenia Almeida (2005)

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c19e64e034bd4931d89ac933049ee413.gifIl existe des livres, comme celui-ci, qui n'ont l'air de rien : une centaine de pages, une couverture quelconque, un titre anodin... Mais c'est souvent quand on ne s'y attend pas que l'on se retrouve estomaqué. Et justement L'autobus est l'un de ces petits romans dont l'aspect inoffensif dissimule en réalité une force tragique et une puissance critique insoupçonnées.

L'intrigue paraît banale : dans une petite ville perdue en Argentine, l'autobus passe tous les soirs, mais depuis trois soirs, il ne s'arrête plus. Et cela fait trois soirs que l'avocat Ponce accompagne sa sœur pour prendre cet autobus qui passe devant eux sans s'arrêter. Trois soirs qu'un couple attend lui aussi cet autobus qui ne s'arrête pas. Alors que Ponce ramène sa sœur chez lui dans l'attente du prochain bus, le couple, excédé, décide de partir à pieds le long de la voie ferrée. Car le train non plus ne passe plus, la barrière du passage à niveau est baissée et un wagon posé sur la voie empêche toute circulation. Le village s'interroge, le soupçon et la confusion s'installent. La radio parle d'une jeune fille en fuite, d'un couple de subversifs, d'exercices militaires, d'une fusillade à la nuit tombée... Et l'autobus s'arrête de nouveau alors que personne ne l'attend plus.

Une écriture minimaliste, des dialogues elliptiques, un récit théâtralisé, un nombre réduit de personnages et un périmètre d'action très restreint : ce roman étrange se caractérise par sa sobriété et son détachement sous lesquelles couve une atmosphère de terreur larvée. Et même si ce roman reste un peu "en deçà", il révèle sous son apparence anecdotique une vraie force critique en illustrant la contamination rampante des actes et des esprits par la perversité du pouvoir dictatorial.

  

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Eugenia Almeida, L'autobus (El colectivo), traduit de l'espagnol (Argentine) par René Solis, éd. Métailié, 2007 (2005), 124 pages, 15 €.

Merci à Cuné de m'avoir offert ce livre à l'occasion du swap !

Voici aussi les avis de Flo et YueYin.