30/05/2010
Le boxeur manchot – Tennessee Williams [1945-1954]
Jeune homme mis à la porte de l'entrepôt qui l'employait pour avoir griffonner des poèmes sur les couvercles des cartons à chaussures ; jeune fille qui reste enfermée dans sa chambre, les volets clos, avec pour seule compagnie celle de sa collection de bibelots en verre coloré qui brillent de mille éclats dans l'obscurité ; jeune femme qui gifle son excentrique pasteur de père et va courir les lieux de plaisir de la Nouvelle-Orléans ; poète qui vit dans un baraque en bois, sur une plage, et qui distille de l'alcool de racines tout en prêchant aux jeunes gens ; vieille fille en quête d'amis qui s'immisce dans la relation des deux jeunes hommes partageant la chambre voisine ; jeune matelot et boxeur devenu manchot et prostitué puis meurtrier...
Tennessee Williams dépeint un univers chaotique peuplé de gentils cinglés, d'êtres détraqués, de doux rêveurs, de poètes, de vagabonds, de marginaux, de mystiques, de criminels... tous oscillant entre l'amour et la mort, à la frontière du désastre. Pas des monstres, non, mais des "inadaptés", des êtres d'exception qui échappent, ou tentent d'échapper à l'ordre social, et qui s'offrent en expiation de toutes les imperfections du monde (la métaphore christique revient régulièrement).
Dans chacune des nouvelles composant ce recueil, on retrouve des motifs récurrents : homosexualité latente, sexualité refoulée, excentricité voire douce folie, violence, solitude... Tennessee Williams dissèque les failles du genre humain, se montrant tour à tour cruel et fraternel envers ses personnages, envers ses congénères, sur lesquels il porte un regard à la fois caustique, compassionnel et amical. Car finalement, c'est bien à ces êtres "à la marge", ces exclus du monde moderne, que va la tendresse de Tennessee Williams, une tendresse fraternelle qui transparaît de chacune de ses pages, de chacune de ses lignes. Ces êtres "à part", Tennessee Williams les érige en martyrs, il les sanctifie. Il leur offre l'éternité.
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Tennessee Williams, Le boxeur manchot, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Maurice Pons, éd. Robert Laffont, coll. Pavillons poche, 2005 (1945-1954), 215 pages, 7,90 €.
19:58 Publié dans => Challenge 100 ans de littérature américaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : tennesse williams, le boxeur manchot, littérature américaine, nouvelles, etats-unis, homosexualité, sexualité
17/05/2010
1974 – David Peace [1999]
Nous sommes en 1974, dans la région de Leeds. Noël approche. Après Jeanette Garland et Susan Ridyard, la jeune Clare Kemplay vient de disparaître sur le chemin de l'école. Son cadavre sera bientôt retrouvé dans une tranchée, sur un chantier. Edward Dunford, reporter à l'Evening Post, est encore un néophyte qui fait ses premières armes dans l'ombre du journaliste vedette de la rédaction, Jack Whitehead. Mais ni le choc lié à la mort de son père, ni les coups bas de ce sale con de Jack Whitehead ne mettront à mal sa détermination : écrire enfin un article-scoop, un de ceux qui le propulseront à la une du journal, un de ceux qui lanceront sa carrière! Alors, au volant de la vieille voiture de son père, il sillonne les routes de l'Ouest du Yorkshire à la recherche d'indices susceptibles d'éclairer les meurtres de ces trois fillettes. Au début, il croit seulement chasser le scoop, mais plus il enquête, plus il découvre que bien des choses sont pourries au royaume d'Angleterre : crimes sordides, policiers corrompus, entrepreneurs véreux, élus complices... L'enquête d'Eddie va le conduire à une véritable descente aux enfers... Découvrir la suite...
12:50 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : 1974, david peace, littérature anglaise, roman noir, thriller, angleterre, yorkshire
10/05/2010
Sukkwan Island – David Vann [2008]
Au départ, il y a le désir d'un père désorienté qui veut se réconcilier avec la vie, et avec son fils. Jim décide donc de plaquer son existence trop morne et dissolue et d'emmener son fils de 13 ans, Roy, vivre un an sur une île sauvage d'Alaska, façon trappeur : une cabane, des outils, quelques provisions, des armes... Jouer aux Robinson volontaires. Pour quoi ? Pour un nouveau départ, pour découvrir et apprendre ensemble, pour renouer avec ce garçon qu'il connaît si mal.
Ils sont donc seuls, Jim et Roy, éloignés de tout être vivant, au milieu de la nature, superbe et inquiétante. Ils construisent un abri pour le bois, chassent, pêchent, explorent l'île, se perdent... Ils se cherchent, s'affrontent, s'engueulent, se comprennent, s'apprivoisent... Mais très vite la situation se détraque et ce qui pouvait ressembler à une belle aventure se transforme en quelque chose d'inquiétant : le père, qui pensait solder dans la solitude arctique ses échecs sentimentaux et professionnels, sanglote la nuit, et le fils, très vite, regrette sa chambre douillette, sa mère et sa sœur, supporte mal la rigueur de cette vie et son père défaillant, et ne se sent plus exister... Le huis clos entre père et fils devient obsédant et toxique, la relation entre eux se désagrège, mais la profonde dépression dans laquelle se noie Jim, sa détresse patente, son extraordinaire égoïsme, sa lâcheté inouïe, le rendent inapte à toute décision rationnelle, interdisent tout retour en arrière, jusqu'au drame : un geste désespéré, une rédemption impossible...
Un style brut, dont les phrases sobres contrastent avec la nébuleuse psychologique du père et les ténèbres du décor, une angoisse sourde qui va crescendo, un récit où, en permanence, on est dans l'attente d'événements dévastateurs, pour, à l'arrivée, roman noir, intense, violent, déroutant, troublant, émouvant, captivant, haletant, suffoquant, écœurant : tout bonnement sidérant ! Et qui vous marquera longtemps...
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David Vann, Sukkwan Island, traduit de l'américain par Laura Derajinski, éd. Gallmeister, coll. Nature writing, 2010 (2008), 191 pages, 21,70 €.
Du même auteur : Désolations
12:32 Publié dans => Challenge 100 ans de littérature américaine | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : sukkwan island, david vann, littérature américaine, nature writing, alaska, huis clos, relations père-fils, île, suicide
07/05/2010
Un homme – Philip Roth [2006]
« Ce n'est pas une bataille, la vieillesse, c'est un massacre. » (p.132)
Le narrateur, dont on ignore le nom, est un homme, un homme parmi d'autres, à la fois unique et universel. Un homme et une vie, sa vie (et celle de tout un chacun), qu'il nous livre en un long flash-back, depuis son enfance jusque dans son vieil âge, quand l'accablent la déchéance physique, la douleur, la maladie et les opérations successives, la retraite, l'ennui, la solitude, l'absence d'illusions désormais, les derniers espoirs si désespérément vains et pathétiques pour séduire, les regrets de sa vie (ses trois mariages calamiteux) et, inéluctablement, la mort au bout de la route... Car le roman commence précisément par les obsèques du héros !
Dépouillée, tragiquement lucide, cette "confession" du narrateur est déchirante. Cette angoisse, cette peur, cette attente de la fin, ce désespoir désolé, ce sentiment surtout que les vies ne sont que d'immenses gâchis, tapissées de regrets inutiles… Roman fluide, à la fois triste et léger, Un homme est une fable mélancolique et désabusée sur la mort, la terreur de la vieillesse et de la maladie.
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Philip Roth, Un homme (Everyman), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par José Kamoun, éd. Gallimard, coll. Du monde entier, 2007 (2006), 152 pages, 15,50 €.
Du même auteur : La tache, Exit le fantôme & Indignation.
12:25 Publié dans => Challenge 100 ans de littérature américaine | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : philip roth, un homme, littérature américaine, mort, maladie