28/10/2009
Mille morceaux – James Frey (2003)
James à 23 ans. Il est « Alcoolique, Toxicomane et Délinquant » comme il se définit lui-même. Son avenir ? La prison ou la mort. Mais après un énième de ses "trous noirs", ses parents l'obligent à entrer en cure de désintoxication dans une clinique du Minnesota. Sa dernière chance de s'en sortir en somme.
« Je suis profondément, physiquement, mentalement et émotionnellement dépendant de ces deux substances. Je suis profondément, physiquement, mentalement et émotionnellement dépendant d'un certain mode de vie. Je ne connais rien d'autre, rien de plus, et je ne me souviens de rien d'autre. Je ne sais pas si je peux faire quoi que ce soit d'autre à ce stade. J'ai la trouille d'essayer. J'ai une putain de trouille bleue. J'ai toujours cru que j'avais le choix entre la prison et la mort. Je n'ai jamais songé que je pouvais avoir le choix d'arrêter parce que je n'ai jamais cru que je pouvais y arriver. J'ai une putain de trouille bleue. »
Le récit est organisé selon le déroulé de la cure, un quotidien très règlementé et structuré pour des êtres qui justement n'ont plus de repères : le réveil, la douche, les taches quotidiennes, les repas, le tableau des objectifs, les conférences obligatoires, les entretiens médicaux... Par réminiscence, le narrateur dévoile aussi sa vie d'avant, son enfance dissoute dans l'alcool et sa jeunesse cramé au crack.
De l'effroyable douleur du manque à la volonté de tenir bon, de la solitude abrutissante à la renaissance amoureuse, du désir de reconstruction à celui de l'autodestruction, de la Fureur qui balaie les bonnes résolutions aux amitiés improbables (celle d'un gangster, d'un juge ou d'un boxeur) qui permettent de s'accrocher, le narrateur nous livre tout, crument, sans concessions ni tabous. Sur 600 pages se déploient le doute, la douleur, le manque, la Fureur, l'horreur, le désarroi, la déprime, la frustration, les crises d'angoisse, la paranoïa, les hallucinations, les hurlements... Une descente aux enfers incandescente, puis une très lente remontée vers la vie.
Initialement présenté comme autobiographique, Mille morceaux a, à la suite du passage de son auteur à l'émission télévisuelle d'Oprah Winfrey, rencontré un succès phénoménal aux Etats-Unis. Jusqu'au jour où il a été révélé que cette autobiographie était beaucoup plus romancée que son auteur et son éditeur ne l'avaient dit. Et après un incroyable lynchage médiatique de l'auteur, la maison d'édition est allée jusqu'à proposer de rembourser les lecteurs qui se seraient sentis floués !
Or, autobiographie ou pas, ce Mille morceaux est un véritable choc ! Pour moi, peu importe sa part de fiction et de vérité, l’essentiel est le texte lui-même. Et ce texte, cru, intense, et parfois halluciné, s'avère d'une grande puissance : utilisant une écriture brute, une syntaxe malmenée, un style nerveux et syncopé, et le procédé du flux de conscience, le phrasé de James Frey est une musique scandée au rythme obsédant, qui rend compte avec exactitude de la violence prosaïque du narrateur, de sa situation et de son environnement. Certes, le récit aurait pu éviter certaines longueurs ou répétitions, et l'usage intensif de Majuscules Ironiques peut être lassant, mais l'exercice de style (ce travail sur le rythme et les mots et le dosage entre humour et vitriol) aboutit à un texte uppercut dont on sort indubitablement sonné.
______________________________
James Frey, Mille morceaux (A Million Little Pieces), traduit de l'américain par Laurence Viallet, éd. 10/18, coll. domaine étranger, 2006 (2003), 601 pages, 12 €.
Un livre proposé par Levraoueg.
Les avis de Armande, Keisha, Chimère, Pascale, Yoshi & Leiloona.
13:00 Publié dans => La chaîne des livres | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature américaine, roman, autobiographie, alcool, alcoolisme, drogue, toxicomanie, cure
Commentaires
Je sens que je vais être ridicule avec ma simple envie d'arrêter de fumer... En tout cas, je suis très contente que tu aies apprécié ce livre, ça fait plaisir car les avis sont quand même assez mitigés, à cause des scènes assez dures. Pour ma part, dès que je verrai le mot "dentiste" je sais qu'il faudra que je saute des pages !
Écrit par : Ys | 28/10/2009
Oui, on ne peut qu'être bouleversé par ce récit, et la syntaxe mime très bien l'émotion du personnage.
Écrit par : Leiloona | 28/10/2009
Ton commentaire ravive mon envie à son égard.
Écrit par : Stephie | 28/10/2009
Ys: il a avoué que la portion chez le dentiste n'était pas tout à fait vraie! J'ai été déçue lorsque j'ai appris qu'il avait exagéré beaucoup de chose! Une vraie polémique aux USA sur ce livre a eu lieu...
Écrit par : Jules | 28/10/2009
@ Ys : oui, le passage chez le dentiste est terriblement douloureux, et s'étale sur plusieurs pages en plus !
@ Leiloona : tout à fait, la syntaxe traduit bien l'état d'esprit troublé du narrateur.
@ Stephie : j'en suis heureuse !
@ Jules : en effet, l'auteur à reconnu avoir largement romancé son expérience en cure de désintoxication... Mais n'est-ce pas le propre de tout écrivain de s'inspirer très librement de son vécu ?
Écrit par : BlueGrey | 29/10/2009
À mon avis, pas lorsque tu passes tes journées à faire les shows de télé américaine pour te vanter d'avoir vécu tout cela et que les gens s'appitoient sur ton sort... et que 6 mois après tu admets que ce n'était pas la vérité... je me suis sentie trahie par cet auteur, car j'ai cru à sa "biographie" et j'étais épatée par son courage et sa détermination...
Écrit par : Jules | 29/10/2009
J'ai une "putain de trouille bleue" vis-à-vis des livres qui abordent ces thèmes. La délinquance, l'alcoolisme et la toxicomanie.
Et pourtant, j'ai une envie dévorante de courir acheter ce bouquin. Pourquoi?
Il va tout me casser à l'intérieur. Je vais en ressortir comme un zombie, mortifiée.
Et pourtant j'ai envie de lire ce livre.
L'écriture me parle en tout cas. Extrait très bien choisi... et critique fameuse !
Écrit par : Reka | 29/10/2009
J'aime beaucoup ton billet. Comme toi, "peu m'importe la part de fiction et de vérité" . Si le livre me touche, c'est l'essentiel .
Écrit par : Hathaway | 31/10/2009
@ Jules : étant donné que je savais en ouvrant ce livre qu'il s'agissait d'une autobiographie romancée, je n'ai pas eu la même réception de l'œuvre, puisque je l'ai bel et bien appréhendé dès le départ en tant que roman...
@ Reka : c'est un récit dur il est vrai, un récit dont on ne ressort pas indemne, mais que je ne regrette absolument pas d'avoir ouvert et lu dans son intégralité !
@ Hathaway : c'est un livre qui remue, assurément. Tu devrais y être sensible !
Écrit par : BlueGrey | 02/11/2009
Le problème de la polémique dont tu parles est qu'un témoignage a une valeur toute différente d'un récit de fiction... Mais effectivement cela n'enlève rien aux qualités littéraires... Je l'ai déjà noté chez Leiloona du fait de ma fascination poru les mécanismes de l'addiction...
Écrit par : La Nymphette | 04/11/2009
@ La Nymphette : il est sûr que je n'aurais pas appréhender ce livre de la même façon si je n'avais pas su dès avant sa lecture qu'il ne s'agissait pas d'un témoignage véridique mais bien d'un roman...
Écrit par : BlueGrey | 05/11/2009
Waouh ! Pardon de découvrir ce billet en retard, mais je suis bien contente car je reconnais mon impression de lecture dans ton billet. Un choc, c'est exactement ça !
Écrit par : levraoueg | 06/11/2009
@ Levraoueg : oui, un vrai choc, souvent difficile et parfois dérangeant, mais tout de même une belle lecture.
Écrit par : BlueGrey | 07/11/2009
Les commentaires sont fermés.