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19/12/2006

Chroniques de l'oiseau à ressort - Haruki Murakami (1994)

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medium_chroniquesdeloiseau.gifLe personnage principal de ces chroniques, Toru Okada, est un jeune homme ordinaire vivant dans la banlieue de Tokyo. C'est un chômeur à la vie bien rangée qui s'occupe petitement durant la journée en attendant le retour du travail de sa femme qu'il adore, Kumiko. Il est un peu englué dans son existence banale mais il en est heureux, de son existence banale. Du moins, c'est comme ça que ça nous parait au début, avant que le quotidien de Toru ne dérape dans l'absurde. Son chat disparaît, une inconnue joue de ses charmes au téléphone, puis sa femme le quitte sans raison apparente, et l'on comprend que la grisaille du contexte n'était là que pour mieux souligner le surgissement du fantastique. Car ces évènements anodins suffisent à faire basculer la vie de Toru à la frontière entre réel et imaginaire. L'espace limité de son quotidien devient alors le théâtre d'une quête où rêves, réminiscences et réalités se confondent. Petit à petit toute la vie de Toru va basculer dans un univers parallèle, sans jamais lâcher totalement prise avec la vraisemblance, tout en s'en éloignant concentriquement. Car autour de Toru, homme ordinaire et seul, vrombissent des forces occultes : les femmes disparaissent, profèrent des sentences médiumniques, errent avec un chapeau de plastique rouge sur la tête, jouent les lolita ou deviennent des prostituées de la conscience.

« Sans aucun doute, ma vie prenait un tour étrange. Le chat avait disparu. Des femmes bizarres me donnaient des coups de fil insensés. J'avais fait la connaissance d'une femme étrange, j'étais entré dans le jardin de la maison vide de la ruelle, appris que Noboru Wataya avait violé Creta Kano. Malta Kano avait prédit que je retrouverais ma cravate. Ma femme m'avait dit que ce n'était plus la peine que je cherche du travail. J'éteignis la radio, remis les «Carnets de la ménagère» sur l'étagère, bus une autre tasse de café. »

Toru aborde ces évènements avec placidité, et le lecteur, à sa suite, accepte les étrangetés du récit en les incluant dans la normalité. Alors, quand Toru descend au fond d'un puits pour y faire l'expérience de la mort, on l'y suit, sans hésitation, en trouvant ça presque normal et anodin.

Qualifié de "surréalisme soft", le style de Haruki Murakami est envoûtant et son écriture est magistrale, capable de nous horrifier totalement pour nous désarçonner juste après, et cela sans jamais se départir d'un humour où perce la détresse. Haruki Murakami emmène doucement le lecteur de la réalité vers l'imaginaire, voire le fantastique, dans un récit labyrinthique à la profusion de sens noyauté par l'absurde où, toujours plus fuyante, la réalité n'en devient que plus envoûtante.

« Cela me rappelait les films d'art et d'essai que j'allais voir quand j'étais étudiant, où rien de ce qui se passait n'était jamais expliqué. Toute explication logique risquait de porter atteinte au "réalisme" du film. C'était une façon de voir, une philosophie comme une autre. Mais pour moi, homme réel et non de pellicule, c'était étrange de me trouver plongé dans ce monde-là. »

Le lecteur se délecte de chaque mot, chaque phrase, chaque intrigue entremêlée, et, au fil des pages, est pris de vertige au point qu'il lui devient franchement difficile d'en démêler le sens final. Et c'est précisément dans cette forme d'égarement que se trouve une partie de la magie de l'écriture de Haruki Murakami.

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Haruki Murakami, Chroniques de l'oiseau à ressort, traduit du japonais par Corinne Atlan et Karine Chesneau, éd. du Seuil, coll. Points, 2004, 847 pages, 10 €.

Du même auteur : Kafka sur le rivage