Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/09/2012

Dernière nuit à Twisted River – John Irving [2009]

Dernière nuit à Twisted River, John Irving« Le jeune Canadien – quinze ans, tout au plus – avait eu un instant d’hésitation fatal. »

New Hampshire, 1954. Dominic, dit le Cuistot, cuisine pour les draveurs qui conduisent les trains de bois sur les rivières périlleuses et vit parmi eux avec son fils de douze ans, Dany, qu’il élève seul. Jusqu’au jour où, voyant son père allongé sous une forme énorme et velue, le fils le croit dévoré par un ours : il tue le monstre supposé à coups de poêle. Hélas, l’ours en question s’avère être Jane l’indienne, la maîtresse obèse du père. Suite à cette malencontreuse méprise, père et fils fuient la vengeance obstinée du Cow-Boy "l’officiel" de la dame, crétin aviné et violent qui est aussi shérif adjoint du comté. Ils changent d’identité et bourlinguent de villes en pays, protégés de loin par Ketchum, meilleur ami du père, homme des bois archétypal, bourru, ivrogne, querelleur, à l’épithète incisif et aux idées anarchistes, porté sur la bouteille, les femmes et les flingues. Par la suite, l’enfant deviendra un écrivain célèbre, auteur de romans semi-autobiographiques dans lesquels il insère les péripéties de sa vie de cavale…

John Irving est un formidable raconteur d'histoires et un inventeur de personnages hors pair ! Ainsi le cuisinier boiteux et son fils trop imaginatif vont croiser, durant leur cavale, une foultitude de personnages excentriques : Katie, qui fait des enfants pour éviter le Vietnam à ses amants ; Tombe-du-Ciel, ange à temps partiel et parachutiste-nudiste ; Pam Pack-de-six, hommasse forte en gueule…

John Irving est aussi un virtuose de la construction romanesque et il bâtit ici une intrigue réglée au millimètre, foisonnante et impossible à résumer. Et si, pendant les premières pages, on se demande où il veut en venir avec cette histoire de bûcherons rustres qui met du temps à démarrer, on se retrouve vite totalement ferré ! Car Irving s’amuse, il joue avec le lecteur pour mieux le surprendre. Il fait des clins d’œil à ses livres précédents, il enchevêtre le grave et le loufoque, il désamorce les scènes les plus tragiques par l’incongruité des situations et la gouaille des personnages, et il couvre trois générations de l'histoire des Etats-Unis, du Vietnam à Bush Jr…

On retrouve dans ce roman les thèmes récurrents chez Irving : l’absence d’un parent, la perte de l’être aimé, ou plutôt la crainte de la perte de l’être aimé, la sexualité (toujours très troublée chez John Irving), et la condition de l’écrivain. Car ce roman est aussi une superbe réflexion sur le métier de romancier et sur le rapport insaisissable entre fiction et réalité.

Dernière nuit à Twisted River est un roman bourré de tragédies, mais fondamentalement optimiste ; une œuvre loufoque qui à la fois permet de divertir et de donner matière à penser, sur le monde tel qu’il va, ou tel qu’il ne va pas.

Du grand Irving, comme je l’aime.

« J'écris des fictions de désastre et je le revendique. J'en ai assez que des gens conventionnels, sans problèmes, jugent mes romans "bizarres". Ces gens qui vivent des petites vies rangées, à l'abri du chaos du monde, ne peuvent imaginer que le chaos puisse troubler l'existence de gens moins favorisés. » John Irving

______________________________

e%2045.gif John Irving, Dernière nuit à Twisted River (Last Night In Twisted River), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, éd. Seuil, 2011 (2009), 561 pages, 23.10 €.

Du même auteur : L'Epopée du buveur d'eau, Le monde selon Garp & Une veuve de papier.