19/03/2011
Indignation – Philip Roth [2008]
En 1951, alors que les forces armées américaines sont engagées en Corée, Marcus Messner a 19 ans. C'est un garçon de bonne volonté, sérieux, honnête et droit, sincère et un peu naïf, qui ne rechigne pas à aider son père dans la boucherie kasher familiale. C'est un "bon garçon". Jusqu'au jour où sa vie dérape. Jusqu'au jour où il décide de quitter Newark et sa famille pour poursuivre ses études de droit dans une université du Middle West. En réalité, il veut ainsi échapper à la domination de son père qui, fou d'angoisse à l'idée que son fils unique affronte les périls de l'existence, le surveille constamment et l'étouffe d'un amour paranoïaque. En s'éloignant de ses parents, Marcus veut tenter sa chance dans une Amérique encore inconnue de lui, riche de surprises et de plaisirs, mais aussi pleine d'embûches et de difficultés, « série de mésaventures dont la conclusion fut ma mort à l'âge de 19 ans » nous apprend Marcus dès la page 55.
C'est donc d'outre-tombe que Marcus nous narre sa courte vie. Depuis un au-delà pensé par Philip Roth comme vide et morne où chacun, solitaire, est condamné à ressasser, éternellement, les menus détail de toute une vie. Marcus rumine donc l'inexorable enchaînement d'événements a priori anodins qui ont pourtant rendu sa mort inéluctable. Petit à petit son récit se charge d'amertume, puis de fureur, quand il raconte comment, pour échapper à l'emprise familiale, il s'est trouvé confronté à une autre forme de tyrannie, celle des conventions (morales, religieuses, communautaires, sociétales...). Autant d'obligations qui menèrent Marcus jusqu'à l'indignation (d'où le beau titre, fort et juste, du roman), indignation qui le submergea et conduisit au désastre ce jeune homme non sans qualités.
« Oui, le bon vieux défi américain, "Allez vous faire foutre", et c'en fut fait du fils de boucher, mort trois mois avant son vingtième anniversaire - Marcus Messner, 1932-1952 -, le seul de sa promotion à avoir eu la malchance de se faire tuer pendant la guerre de Corée, qui se termina par la signature d'un armistice le 27 juillet 1953, onze mois pleins avant que Marcus, s'il avait été capable d'encaisser les heures d'office et de fermer sa grande gueule, reçoive son diplôme consacrant la fin de ses études à l'université de Winesburg - très probablement comme major de sa promotion -, ce qui aurait repoussé à plus tard la découverte de ce que son père, sans instruction, avait tâché de lui inculquer depuis le début : à savoir la façon terrible, incompréhensible dont nos décisions les plus banales, fortuites, voire comiques, ont les conséquences les plus totalement disproportionnées. »
On retrouve ainsi, dans ce récit d'apprentissage à la fois caustique et grave, les thèmes familiers de l'univers de Philip Roth : la famille juive, les relations filiales problématiques, les tabous religieux, la sexualité comme énergie vitale, l'histoire moderne des Etats-Unis et l'hypocrisie puritaine de l'Amérique... Le tout, comme souvent chez Roth, porté par une écriture nerveuse et rageuse, est d'une cocasserie désespérée.
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Philip Roth, Indignation (Indignation), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire Pasquier, éd. Gallimard, coll. Du monde entier, 2010 (2008), 195 pages, 17,90 €.
Du même auteur : La tache, Un homme & Exit le fantôme.
21:45 Publié dans => Challenge 100 ans de littérature américaine | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : philip roth, littérature américaine, etats-unis, guerre de corée, années 1950