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11/02/2011

Sanctuaires ardents – Katherine Mosby [1995]

Sanctuaires ardents, Katherine MosbyDans les années 1930 le couple Daniels, Willard et Vienna, s'installe sur les terres familiales, à Winsville, petite bourgade de Virginie. L'intense beauté de Vienna la newyorkaise, sa déroutante culture, son fort tempérament, intriguent, suscitent l'admiration des uns, la désapprobation des autres, les commentaires de tous. Un jour Willard s'en va, laissant Vienna élever seule leurs deux enfants, Willa et Elliott, deux sauvageons pétris de curiosité et de connaissances. Dès lors, les rumeurs déjà persistantes enflent, jalousies et médisances se multiplient, les tensions se cristallisent, et le destin semble s'acharner sur la famille Daniels...

« Addison avait entendu dire qu'elle avait essayé de tuer son mari, qu'elle s'adressait au diable dans une langue inconnue, et que les soirs de pleine lune elle se baignait dehors dans une baignoire en fer-blanc et attirait sur sa peau la luminosité céleste. Elle était socialiste ou peut-être communiste, Addison ne se rappelait pas lequel des deux, mais la différence importait aussi peu qu'une morsure de charançon, parce que ce n'étaient pas des étiquettes qu'on voulait se voir coller sur le dos. En plus elle aimait les Nègres et elle fumait des cigarettes. Voilà ce qui arrive, disait-on, quand on lit trop de livres : ça ramollit le cerveau, et Addison imaginait alors la texture spongieuse des champignons des bois ou des crackers détrempés. On racontait qu'elle possédait des milliers de livres. » (p. 12)

Voilà un roman très réussi ! Sa force vient à la fois de l'écriture de Katherine Mosby (une écriture fluide, très agréable, et très visuelle quand il s'agit de dépeindre la nature) et aussi de ses personnages, très bien définis, surtout son héroïne Vienna.

Car ce roman est, en tout premier lieu, un très beau portrait de femme, une femme éprise de liberté, une intellectuelle, une grande lectrice, une "originale" qui repeint la grange en lapis-lazuli, qui donne des friandises à son pur-sang sans jamais le monter... Une anticonformiste qui se moque éperdument des convenances et du qu'en-dira-t-on, qui, très vite, après seulement quelques rencontres avec les femmes des notables de la petite ville, se fait haïr de tous ces bourgeois engoncés, ce qui d'ailleurs l'indiffère totalement. Et l'hostilité des gens du cru ne vient pas à bout de ses excentricités : elle parle aux arbres, rédige une épopée et élève ses enfants comme bon lui semble, en quasi-liberté... Au fil des années, les ragots vont se multiplier, mais aussi les gestes d'hostilité envers Vienna et ses enfants, jusqu'au drame, poignant et saisissant.

Bien que centré sur le personnage captivant de la belle fantasque, libre, farouche et indépendante, ce roman présente une foule d'autres caractères bien trempés, à commencer par les enfants, très attachants, curieux et cultivés ; Willa, aussi sauvage que sa mère, et Elliott, lutin lunaire passionné d'oiseaux. Katherine Mosby sait tout aussi bien exprimer les sentiments qui agitent le cœur d'une mère célibataire livrée aux commérages, que ceux d'un petit garçon sensible ou d'une petite fille indocile, d'un mari un peu veule, d'un voisin taiseux transi d'amour, ou d'un vieille tante revêche...

En arrière plan, ce roman dresse aussi un portrait dur et sans concession d'un sud marqué par la ségrégation raciale. Un livre donc à la fois bien écrit, passionnant, émouvant, et qui dit quelque chose. Un roman délicatement féministe et une ode magnifique à la singularité, à la tolérance et à la liberté.

« Souviens-toi, être différent ne fait pas de vous quelqu'un de spécial, mais être spécial fait de vous quelqu'un de différent. »

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e%2040.gif Katherine Mosby, Sanctuaires ardents (Private Altars), traduite de l'anglais (Etats-Unis) par Cécile Arnaud, éd. La Table Ronde, coll. Quai Voltaire, 2010 (1995), 381 pages, 23 €.