28/07/2010
La Chambre aux échos – Richard Powers [2006]
Suite à un grave accident de la route, Mark Schluter, 27 ans, tombe dans le coma. Quand il se réveille, il se trouve dans un étrange état : s'il retrouve peu à peu la mémoire et l'usage de la parole, pour lui désormais ses proches, et sa sœur Karin en particulier, pourtant accouru à son chevet pour prendre soin de lui, ne sont que des imposteurs. Il pense qu'il s'agit d'une étrangère voulant se faire passer pour sa sœur et l'accuse dans les détours de son cerveau abimé de n'être qu'une "copie carbone" de la vraie Karin. Il est d'accord pour admettre qu'elle lui ressemble, constate avec perplexité qu'elle sait sur lui des choses que seule une sœur peut savoir, mais ne veut pas démordre de l'idée qu'elle est un sosie, l'actrice d'une machination dont les objectifs lui échappent. « Mon frère sait qu'il a une sœur, explique-t-elle. Il dit que je lui ressemble. Mais il affirme que ce n'est pas moi. »
Déroutée, Karin continue pourtant de tenir son rôle de grande sœur responsable : elle prend soin de son frère qui la rejette et fait appel au plus célèbre neurologue de New York, Gerald Weber, auteur de best-sellers de vulgarisation où il évoque sous une forme romancée les étranges cas cliniques qu'il a traités dans sa carrière.
Et c'est avec l'entrée en scène du neurologue que le texte prend toute son ampleur : on suit alors avec délectation ses passionnantes investigations médicales pour découvrir la pathologie dont souffre Mark et s'il est possible de le soigner ; l'expertise de Weber sur le cas de Mark débouchant sur des réflexions presque métaphysiques (En quoi le "moi" consiste-t-il ? Existe-t-il un libre-arbitre ?). Mais La Chambre aux échos va bien au-delà du « roman scientifique » : Powers y distille aussi, petit à petit, les éléments d'une intrigue policière (comment Mark a-t-il quitté la route, qui est l'auteur du billet anonyme qu'il a trouvé auprès de lui à sa sortie du coma ?), des préoccupations écologiques, ou encore des questionnements individuels quand la quête thérapeutique de Weber se transforme en crise introspective et en critique de l'activité scientifique.
Si la densité de ce roman, son sérieux, sa rigueur, son application, peuvent intimider certains lecteurs, de même que la lenteur du récit, qui prend son temps, c'est aussi ce qui fait la qualité de ce livre, à la fois roman intimiste, précis écologique, polar, thriller psychologique et petit traité de vulgarisation des sciences cognitives. La puissance de ce roman réside en grande part dans cette maîtrise dont Richard Powers fait usage pour nous parler à la fois du vol des grues, d'assemblage neuronal et d'amour (filial, marital ou fraternel). A tout cela, il faut encore ajouter l'humour de Powers, son regard à la fois tendre et piquant sur ses personnages, son art du dialogue et du rythme, et son écriture tantôt rigoureuse, tantôt poétique... Sans oublier, à la toute fin de ce livre magistral, la résolution de l'énigme, qui a à voir avec le libre-arbitre et la (mauvaise) conscience.
Dans La Chambre aux échos, Richard Powers explore donc ce qui est peut-être l'une des dernières grandes inconnues scientifiques aujourd'hui : le cerveau humain. Et il le fait dans un roman virtuose qui mêle avec habileté érudition scientifique et destins individuels et qui, en dépit de sa complexité, tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre !
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Richard Powers, La chambre aux échos (The Echo Maker), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Yves Pellegrin, éd. Le Cherche Midi, coll. Lot 49, 2008 (2006), 470 pages, 23 €.
Commentaires
Il est dans ma pile, j'adore Powers et je devrais m'en sortir avec tous les trucs neuros... tu me redonnes le goût de m'y plonger, là!!
Écrit par : Karine:) | 28/07/2010
J'ai Le temps où nous chantions dans ma PAL depuis des lustres. Il faut absolument que je découvre cet auteur. Tous ses livres me font envie, avec ce mélange science, histoire, musique et des intrigues complexes. J'espère être séduite et je note déjà ce titre pour la suite.
Écrit par : zarline | 28/07/2010
@ Karine :) : et moi je suis impatiente de lire un autre de ses livres ! "Trois fermiers s'en vont au bal" et "Le temps où nous chantions" me tentent bien...
@ zarline : pour une première découverte de cet auteur, j'ai fait "bonne pioche" avec ce livre !
Écrit par : BlueGrey | 28/07/2010
Ouch là! Le temps où nous chantions est génial (euh oui, carrément), j'ai lu aussi cette chambre aux échos et L'ombre en fuite. Restent les trois fermiers...Quel auteur!
Écrit par : keisha | 28/07/2010
@ keisha : bon, je pense que je vais poursuivre avec "Le temps où nous chantions" alors ! :-)
Écrit par : BlueGrey | 29/07/2010
Celui-ci est dans ma PAL depuis des lustres. J'attends toujours le bon moment pour m'y plonger, sachant qu'avec Powers il vaut mieux être concentré dans sa lecture.
Comme Keisha, je te conseille vivement "Le temps où nous chantions" (en revanche, j'ai moins aimé les "Trois fermiers")
Écrit par : In Cold Blog | 29/07/2010
@ In Cold Blog : en effet, c'est une lecture qui demande tout de même un minimum d'attention, mais qui vaut tout à fait ce petit effort. Et je vois qu'il y a consensus autour de "Au temps où nous chantions" : très bien, ce sera donc ma prochaine lecture ! ;-)
Écrit par : BlueGrey | 30/07/2010
Là aussi, un auteur qui m'impressionne, je ne suis pas du tout "entrée" dans 'Le temps où nous chantions' alors que j'en avais vraiment très envie... Je l'ai gardé pour réessayer, mais pour le moment j'en reste là!
Écrit par : la nymphette | 04/08/2010
@ la nymphette : j'ai commencé hier "Le temps où nous chantions", je n'en suis donc qu'au tout début, mais je crois bien que je vais aimer !
Écrit par : BlueGrey | 04/08/2010
Pas intimidée, non au contraire, très intéressée, il faut juste que je trouve le temps pour ce pavé.
Écrit par : Ys | 12/08/2010
@ Ys : un pavé certes, mais qui mérite que l'on s'y intéresse !
Écrit par : BlueGrey | 23/08/2010
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