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05/12/2009

La route – Cormac McCarthy [2006]

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La route.gifCormac McCarthy revisite avec La route le roman d'anticipation post-apocalyptique. Il y propose une réflexion sur le devenir de l'homme, il y interroge aussi les thèmes de la filiation et de la transmission.

L'apocalypse a donc eu lieu. Le monde est dévasté, dépeuplé, couvert de cendres, et on ne sait rien des causes de ce cataclysme. Un père et son fils errent sur une route, marchent vers le Sud (sans doute les choses ne vont pas mieux là-bas, mais il y fait moins froid), inlassablement, en poussant devant eux un caddie rempli d'objets hétéroclites devant assurer leur survie : couvertures, conserves, eau, lampe... Ils ont froid, ils ont faim, ils ont peur. Ils sont sur leurs gardes, car le danger guette : l'humanité est retournée à l'état sauvage, à la barbarie, le monde est livré aux hordes de pilleurs, esclavagistes et anthropophages.

La route est avant tout un récit initiatique, un récit de transmission, de père à fils. Mais dans un monde sans Dieu, ni justice ou morale auxquels se raccrocher, et à l'heure où l'humanisme le plus primaire n'est plus qu'un souvenir, que faut-il inculquer à son enfant, au-delà du simple instinct de survie ? Un semblant de morale sans religion (le tabou, c'est manger l'autre), une vague foi en soi, en la vie, en l'esprit humain... Ainsi, quand l'enfant interroge son père, c'est uniquement pour vérifier s'ils sont bien, père et fils, "du côté des gentils", et non de celui des monstres.

On peut ainsi relever dans ce récit les obsessions et hantises de McCarthy déjà révélées dans son précédent roman, Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme : la violence des hommes, le rude combat que se livrent en ce monde le Bien et le Mal, et la victoire de plus en plus manifeste de ce dernier.

Mais La Route s'offre aussi à lire comme un roman d'amour, cet amour qui unit l'adulte et l'enfant, cette folle tendresse du père qui s'escrime à préserver une braise d'innocence dans le cœur de son enfant, ce qui, peut-être, préserve l'homme de glisser vers la barbarie. Ce sentiment, McCarthy lui confère une intensité telle que les ténèbres alentours ne parviendront pas à l'étouffer et l'éteindre.

La route est un récit d'une lugubre beauté. Son style dépouillé, son austère lenteur, son rythme particulier et la scansion singulière de la phrase de McCarthy lui confèrent une grâce spécifique, funeste et envoûtante. Sous ses dehors désincarnés, La route est une histoire humaine et brûlante, de celles qui vous serrent à la gorge, de celles qui vous ébranlent, de celles qui vous dévastent.

« La route traversait un marécage desséché où des tuyaux de glace sortaient tout droits de la boue gelée, pareils à des formations dans une grotte. Les restes d'un ancien feu au bord de la route. Au-delà une longue levée de ciment. Un marais d'eau morte. Des arbres morts émergeant de l'eau grise auxquels s'accrochait une mousse de tourbière grise et fossile. Les soyeuses retombées de cendre contre la bordure. Il s'appuyait au ciment rugueux du parapet. Peut-être que dans la destruction du monde il serait enfin possible de voir comment il était fait. Les océans, les montagnes. L'accablant contre-spectacle des choses en train de cesser d'être. L'absolue désolation, hydropique et froidement temporelle. Le silence. »

« C'était encore plus dur qu'il ne l'aurait imaginé. Au bout d'une heure ils avaient peut-être parcouru un peu plus d'un kilomètre. Il fit halte et se retourna vers le petit. Il s'était arrêté et attendait.
Tu crois qu'on va mourir, c'est ça ?
J'sais pas.
On ne va pas mourir.
D'accord.
Mais tu ne me crois pas.
J'sais pas.
Pourquoi tu crois qu'on va mourir ?
J'sais pas.
Arrête de dire j'sais pas.
D'accord.
Pourquoi tu crois qu'on va mourir ?
On n'a rien à manger.
On va trouver quelque chose.
D'accord.
Combien de temps tu crois qu'on peut tenir sans manger ?
J'sais pas.
Mais combien de temps à ton avis ?
Peut-être quelques jours.
Et qu'est-ce qui arrive après ? On tombe mort d'un seul coup ?
Oui.
Et bien non. Ça prend longtemps. On a de l'eau. C'est le plus important. On ne tient pas très longtemps sans eau.
D'accord.
Mais tu ne me crois pas ?
J'sais pas.
Il ne la quittait pas des yeux. Debout dans la neige les mains dans les poches du veston rayé trop grand pour lui.
Tu crois que je te mens ?
Non.
Mais tu crois que je pourrais te mentir quand tu me demandes si on va mourir.
Oui.
D'accord. Je pourrais. Mais on ne va pas mourir.
D'accord. »

______________________________

Cormac McCarthy, La route (The Road), traduit de l'anglais (Etats-Unis) par François Hirsch, éd. de l'Olivier, 2008 (2006), 244 pages, 21 €.

Du même auteur : Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme

Commentaires

Tu as raison de souligner que La route est aussi (peut-être même avant tout) un roman d'amour, d'un père pour son fils, mais aussi d'un mari pour sa femme, même si celle-ci a disparu. C'est cet amour qui donne au roman sa seule étincelle d'espoir.
Un livre bouleversant.

Écrit par : In Cold Blog | 05/12/2009

j'ai bien aimé ce roman ou on suit un père et son fils lié par la peur et le survie, par contre le film ne m'attire pas.

Écrit par : pom' | 06/12/2009

Entièrement d'accord avec toi, c'est un livre magnifique, j'espère que le film "tiendra la route" !

Écrit par : Ys | 06/12/2009

Oh je viens de le finir aujourd'hui, ma critique arrive cette semaine :) Quel texte! Une beauté lugubre, c'est tout à fait ça. Les échanges entre père et fils sont dépouillés, très courts, ce qui rajoute encore plus de solitude aux deux personnages. C'est un très grand roman.

Écrit par : Bouh | 07/12/2009

Oui, la route est aussi un roman d'amour. Très joli portrait de famille, même si celle-ci est bien chamboulée. Un grand roman.

Écrit par : Leiloona | 07/12/2009

Je sors tout juste du film sans avoir lu le roman, comme cela, je ne pouvais être déçue. Quelques fausses notes tout de même... il me tarde de lire le roman!

Écrit par : La Nymphette | 07/12/2009

@ In Cold Blog : en effet, je n'en ai pas parlé, mais la mère est aussi évoqué malgré son absence. Ce que je regrette un peu c'est qu'on ne comprend pas vraiment les raisons de son abandon (est-ce dû au désespoir ?) et comment son compagnon n'arrive-t-il pas à la retenir auprès de leur fils ?

@ pom' : j'ai vu le film hier, il est vraiment très bien, très fidèle au livre.

@ Ys : il la tient ! ;-)

@ Bouh : en effet les dialogues minimalistes renforcent ce sentiment de solitude inhérent à ce roman.

@ Leiloona : un roman marquant, assurément !

@ La Nymphette : je ne peux que te conseiller la lecture du roman ! ;-)

Écrit par : BlueGrey | 08/12/2009

Voilà un roman qui est dans ma PAL depuis... tuuuuuuuuuut. Mais heureusement Bouh est là avec son challenge qui va me mettre le pied à l'étrier !

Écrit par : Theoma | 13/12/2009

@ Theoma : vive les challenges qui nous motivent à faire baisser nos PAL et nous permettent de belles découvertes ! ;-)

Écrit par : BlueGrey | 13/12/2009

Beau billet. Je viens de lire celui de Cécile Qd9 qui n'a pas aimé du tout... Ce livre va faire partie de mes prochains achats.

Écrit par : liliba | 09/01/2010

@ liliba : les avis sont assez tranchés sur ce livre : soit on adore, soit on déteste ! J'espère que tu feras partie de la première catégorie.

Écrit par : BlueGrey | 11/01/2010

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