27/02/2007
Blind Lake – Robert Charles Wilson (2003)
A Blind Lake, Minnesota, «même les chiens de prairie ont un laissez-passer». Car Blind Lake est une zone protégée, un complexe scientifique d'observation astronomique qui, grâce à une «technologie quantique auto-évolutive», observe et étudie la vie quotidienne d'un extraterrestre, à des années lumières de là. Trois journalistes privilégiés ont été autorisés à effectuer un reportage sur la base quand celle-ci est soudain mise en quarantaine par les militaires. Blocus total, strict et sévère, voire mortel pour qui tente de le briser. Le blocus se maintenant plusieurs jours, puis plusieurs semaines, et même plusieurs mois et le huis-clos devient étouffant. Les esprits s'échauffent, se lassent, s'impatientent et se questionnent alors qu'aucun danger n'est explicitement défini. Pendant ce temps, au fin fond d'une galaxie lointaine, un être solitaire, "le Sujet" observé, jusqu'alors sédentaire et routinier, se met en marche pour une destination inconnue.
Ce roman est un questionnement intelligent sur l'incommunicabilité et les rapports conflictuels entre la science et l'humanisme.
Le premier questionnement est celui, intrinsèque, de l'existence même de l'extraterrestre, désinvoltement surnommé «le Homard» par les profanes à cause de son apparence physique, et prudemment «le Sujet» par les scientifiques. Son quotidien, ses faits et gestes sont scrutés et analysés à son insu par des observateurs qualifiés. Ce qui exige persévérance et circonspection. Car comment le comprendre en évitant tout anthropomorphisme ? Ou comment accepter de ne pas chercher à le comprendre, au nom de cette vérité absolue qui rappelle que nos catégories de perception et d'intellection sont humaines, et que le non-humain nous est donc par nature impossible à déchiffrer ?
Le second mystère est celui de la technologie qui permet de surveiller «le Sujet». Une «technologie quantique consciente» faite «d'architectures organiques» et «d'ordinateurs quantiques à réseaux neuronaux adaptatifs». En vérité, nul ne peut expliquer comment cet «Œil» fonctionne exactement. Cette technologie reste en grande partie incompréhensible et les scientifiques de Blind Lake la subissent plus qu'ils ne la maîtrisent. De quoi rendre paranoïaques les plus avertis. En effet, qu'est-ce qui prouve que les images procurées par «l'Œil» renvoient à une réalité... objective ? Que doit faire la raison humaine face à une intelligence qu'elle a créée, et qui la dépasse ?
Pour autant ce roman ne consiste pas en une quête de réponses, mais son charme tient justement dans ce déploiement des questions, des contradictions, en leur mise en crise, en jeu et en scène, Robert Charles Wilson gardant tout au long du récit son regard résolument tourné vers l'Homme, ses interactions avec son environnement, sa place dans l'Univers, et son regard sur l'Autre, quel qu'il soit. Un roman de science-fiction qui remplit impeccablement son rôle de divertissement intelligent. Pas plus, mais pas moins.
BlueGrey
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Robert Charles Wilson, Blind Lake, traduit de l'anglais (Canada) par Gilles Goullet, éd. Denoël, coll. Lunes d'encre, 2005, 415 pages, 23 €.
13:50 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, roman, SF, extraterrestre
Commentaires
Je LALle ce titre, il y a longtemps que je n'ai lu de SF et ton commentaire me convint.
Écrit par : Michel | 27/02/2007
@ Michel : Heureuse de t'avoir convaincu ! ;o)
Il y avait longtemps que moi aussi je n'avais lu de SF, et là, coup sur coup, j'ai fait 2 jolies découvertes dans 2 styles de SF complètements différents : "Le Guide galactique" de Douglas Adams, de la SF humoristico-déjantée, et ce "Blind Lake" intelligent. Ce qui m'incite à poursuivre dans ma redécouverte de la SF...
Écrit par : BlueGrey | 01/03/2007
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