20/11/2009
L'angoisse du roi Salomon – Romain Gary (Emile Ajar) [1979]
Jean, vingt-cinq ans, est taxi. Un jour monte dans son taxi monsieur Salomon, octogénaire ancien roi du prêt-à-porter qui lutte contre l'angoisse de la mort, qu'il refuse : « Je vous préviens que ça ne se passera pas comme ça. Il est exact que je viens d'avoir quatre-vingt-cinq ans. Mais de là à me croire nul et non avenu, il y a un pas que je ne vous permets pas de franchir. Il y a une chose que je tiens à vous dire. Je tiens à vous dire, mes jeunes amis, que je n'ai pas échappé aux nazis pendant quatre ans, à la Gestapo, à la déportation, aux rafles pour le Vél' d'Hiv', aux chambres à gaz et à l'extermination pour me laisser faire par une quelconque mort dite naturelle de troisième ordre, sous de miteux prétextes physiologiques. Les meilleurs ne sont pas parvenus à m'avoir, alors vous pensez qu'on ne m'aura pas par la routine. Je n'ai pas échappé à l'Holocauste pour rien, mes petits amis. J'ai l'intention de vivre vieux, qu'on se le tienne pour dit ! »
Monsieur Salomon se prend d'amitié pour Jean et l'engage dans son association d'aide aux personnes désespérées. La mission de Jean sera de porter des cadeaux, fleurs, ou messages que monsieur Salomon envoie aux gens seuls et âgés. Un matin monsieur Salomon envoie Jean porter des fruits confits à mademoiselle Cora Lamenaire, une ancienne chanteuse réaliste, une femme que monsieur Salomon à jadis aimé...
Je dois avouer que, suite à ma déconvenue face à Gros-Câlin du même Emile Ajar / Romain Gary, j'étais quelque peu circonspecte en ouvrant ce livre-ci. Mais je dois reconnaître que, malgré ma réticence initiale, je me suis très vite attachée à ce récit et à ses héros et j'ai pris énormément de plaisir à cette lecture ! Les raisons de mon engouement sont multiples et je ne sais par quoi commencer pour vous donner envie de vous aussi découvrir ce roman !
On est tout d'abord saisi par le charme qui émane de chacun des protagonistes : Jean, monsieur Salomon et mademoiselle Cora bien sûr, mais aussi tous les personnages secondaires, tous étonnants et farfelus, et tous éminemment bien croqués. On ne peut que ressentir une infinie tendresse pour tout ce petit monde où la lutte pour la vie et la fraternité semblent être un acte de foi.
L'histoire ensuite, totalement incongrue (et c'est un compliment !), déborde de tendresse (sans sombrer pour autant dans la mièvrerie) et aborde, avec finesse et humour, des thématiques essentielles : l'amour et ses paradoxes, l'angoisse de la vieillesse, les préjugés (formidable Monsieur Tapu, summum de bêtise crasse !) et, envers et contre tout, le refus farouche du renoncement et du désespoir.
Quant au style, si je reprochais à Gros-Câlin une surabondance exaspérante de figures de style et jeux de mots qui égaraient quelque peu le lecteur, j'ai trouvé ce livre-ci tout à fait bien dosé et équilibré. Ce roman est truffé d'aphorismes et d'habiles inventions langagières, mais il reste efficace grâce à la précision de son style et de sa langue, sa verve, son ton faussement naïf et décontracté et son optimisme porté par un rythme lent et débonnaire.
Ce roman, d'une irrésistible drôlerie et d'une grande humanité, charme, émeut et force à croire que « Au fond de chaque homme se cache un être humain et tôt ou tard, ça finira bien par sortir... »
Une vraie et belle découverte, enchanteresse ! Un livre que l'on savoure, le sourire aux lèvres...
Et, pour le plaisir, un petit extrait : « Chuck était très intéressé par ces largesses. Pour lui, le roi Salomon faisait du remplacement, de l'intérim. Intérim : espace du temps pendant lequel une fonction est remplie par un autre que le titulaire. C'est dans le petit Larousse. Pour Chuck, le roi Salomon fait du remplacement et de l'intérim, vu que le titulaire n'est pas là et il se venge de lui en Le remplaçant, pour Lui signifier ainsi son absence. J'avais essayé de ne pas continuer cette conversation avec Chuck, on ne sait jamais ce qu'il va en sortir, et des fois ça vous affole complètement, ses trucs. Pour lui, le roi Salomon faisait de l'intérim pour donner une leçon à Dieu et Lui faire honte. Pour monsieur Salomon, Dieu aurait dû s'occuper des choses qu'Il ne s'occupait pas et comme monsieur Salomon avait des moyens, il faisait de l'intérim. Peut-être que Dieu, en voyant qu'un autre vieux monsieur faisait pleuvoir ses bontés à Sa place serait piqué au vif, cesserait de se désintéresser et montrerait qu'Il peut faire beaucoup mieux que le roi du prêt-à-porter, Salomon Rubinstein, Esq. Voilà comment Chuck expliquait la générosité de monsieur Salomon et sa munificence. Munificence : disposition qui porte aux libéralités. Je m'étais bien marré à l'idée que monsieur Salomon faisait des signaux lumineux à Dieu et essayait de Lui faire honte. »
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Romain Gary (Emile Ajar), L'angoisse du roi Salomon, éd. Gallimard, coll. folio, 1987 (1979), 349 pages, 7 €.
Du même auteur : Gros-Câlin
Un livre proposé par YueYin.
Les avis de Isil, Levraoueg, Armande, Keisha, Chimère, Pascale, Yoshi & Leiloona.
11:07 Publié dans => La chaîne des livres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature française, angoisse, vieillesse, solitude, amour